C’était samedi soir, le 21 février, au Teatro 25 de Mayo, dans le quartier de Villa Urquiza. Le bandonéoniste et compositeur Juan José Mosalini, argentin naturalisé français, présentait un disque déjà bien diffusé ici mais encore inédit à Buenos Aires, où il vient d’être repris par le label Aqua Records pour le marché sud-américain.
Ce disque, Juan José Mosalini l’avait enregistré en 1996 à Paris avec le Quinteto Mosalini-Agri, qui était un quinteto típico, composé du violoniste Antonio Agri, du pianiste Osvaldo Caló, de Roberto Tomo à la contrebasse et de Leonardo Sánchez à la guitare, Mosalini tenant le bandonéon, bien entendu. Le concert de samedi dernier reprenait tous les morceaux du disque mais Pablo Agri avait remplacé son père (aujourd’hui décédé) et le piano était tenu par Cristian Zárate, celui-là même qui tenait l’instrument aux côtés de Rubén Juárez lors de la soirée de clôture du 10ème Festival de Tango de Buenos Aires en août dernier (voir article sur ce concert dans Barrio de Tango).
Juan José Mosalini vit en France depuis l’époque où Isabel Perón régnait à la Casa Rosada (voir les dates de l’histoire argentine, dans la rubrique Petites Chronologies, dans la Colonne de droite). En Argentine, il était un militant comme cela était fréquent dans les années 60 et 70 dans les milieux artistiques, tant au nord qu’au sud de notre planète. L’organisation terroriste Triple A (Alianza Argentina Anticomunista), au service d’Isabel Perón, pourchassait alors toute la gauche non péroniste (et même certains péronistes un peu trop exigeants à son goût, comme les montoneros) et Mosalini s’est retrouvé dans le collimateur de cette redoutable police parallèle. Il a alors préféré quitté l’Argentine pour Paris, comme le firent nombre de ses compatriotes. C’était juste avant que l’accession au trône du roi Juan Carlos installe la démocratie en Espagne. Après la mort de Franco et le vote de la nouvelle constitution espagnole, les Argentins ont plus volontiers trouvé refuge outre-Pyrénées. A commencer par Isabel Perón elle-même après le coup d’Etat militaire qui l’a renversée en 1976 (1). Juan José Mosalini a été l’un des bandonéonistes de la Orquesta Típica Osvaldo Pugliese (lui-même grand communiste devant l’Eternel et fortement tracassé par la Triple A et toutes les dictatures argentines de 1930 à 1983, ce qui en fait un petit paquet). Mosalini a milité dans le syndicat des musiciens, que Pugliese avait fondé en 1936 (2). Après son départ d’Argentine, Juan José Mosalini a fondé à Paris plusieurs formations musicales de tango avec d’autres exilés comme lui et il est considéré comme l’un des musiciens d’avant-garde dans la musique de tango post-piazzollienne. Juan José Mosalini dispose d’un site web trilingue (français, espagnol et anglais, les trois langues étant symbolisées par des drapeaux de pays européens : ni drapeau argentin ni drapeau américain en vue !) où vous pouvez écouter 8 morceaux (seulement en écoute via Internet, aucun téléchargement possible).
Dans son édition de samedi, le quotidien Página/12 lui consacre un article à partir d’une interview accordée à Diego Fischermann. Pour lire ce papier, cliquez sur le lien. La photo ci-jointe est extraite de cet article de la version web du journal. On y voit Mosalini poser dans le Pasaje Enrique Santos Discépolo, une petite rue oblique donnant sur la Avenida Corrientes, dans le quartier des théâtres et cinéma, dont je vous avais montré une photo dans un article d’hommage au comédien-poète.
Les articles connexes dans Barrio de Tango : sur Osvaldo Pugliese, sur le quartier Villa Urquiza, bien éloigné du Pasaje Enrique Santos Discépolo (voir aussi rubrique Quelques quartiers, villes et lieux dans la Colonne de droite), sur les compositeurs, sur les Disques & livres (voir rubriques Les avenues-Las avenidas, dans la Colonne de droite).
(1) Malgré un ordre d’arrestation international émis contre elle par les autorités judiciaires argentines avant l’élection de Cristina Fernández à la Présidence argentine, Isabel Perón coule des jours tranquilles dans la banlieue de Madrid et n’est pour le moment pas véritablement inquiétée. Il est vrai aussi que Cristina Fernández a fait rétablir le portrait d’Isabel Perón dans la galerie des portraits des Chefs d’Etat à la Casa Rosada, ce qui fut fort commenté à l’époque. Isabel Perón est soupçonnée d’être la commanditaire de l’arrestation arbitraire de deux étudiants par la Triple A. Les deux étudiants ont disparu après leur arrestation. Officiellement, la Triple A a été créée par Isabel Perón lorsqu’elle était encore la Vice-Présidente de son mari. Certains historiens mettent prudemment en question cette version et avancent que la Triple A a été constituée par Perón lui-même, dans les six derniers mois de sa vie, qui furent aussi les six mois de sa dernière présidence.
(2) Pugliese en avait la carte n°3.
(2) Pugliese en avait la carte n°3.