mardi 24 février 2009

Marottes argentines... in utero - Spécial Mardi-Gras


Tout au long de l’été austral, Miguel Rep, l’autre dessinateur du quotidien Página/12, a développé toute une bande dessinée sur une naissance gémellaire. Je vous en avais déjà parlé en janvier, on en était alors à la fécondation (étape blastocyte). Et puis tout de suite après, il y a eu une deuxième fécondation, ce qui nous donne deux faux jumeaux adorables mais passablement tête à claque de temps en temps, un petit garçon, terriblement machiste, et une petite fille, déjà coquette et pontifiante...
A travers ces deux adorables futurs bambins, Rep s’est amusé à repasser quelques classiques des "beretines argentinos" (les tocades, les idées zinzins, en lunfardo).
Le 7 février dernier : la nostalgie (excellent pastiche du dialogue des deux vieux grigoux encore bien verts du tango Te acordas hermano, de Francisco Canaro et Manuel Romero, 1926, ici chanté par Carlos Gardel)

Elle : Comme le temps passe, frèrot !
Lui : Tu te souviens quand nous étions des blastocytes ? quelle force, quel dynamisme ! Personne ne pouvait nous arrêter. (1)
Elle : Quelle drôle d’époque !
Lui : Regarde-nous maintenant, bien tranquilles dans le liquide amniotique, en train d’attendre, sans bouger...
Elle : Le cours du temps est implaccable !
Lui : On n'est plus ce qu'on était !
(Traduction Denise Anne Clavilier)

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Le 9 février, Mademoiselle bâtit des châteaux en Espagne (comme la milonguita des tangos des années 30 et 40 ou comme les artistes de Tristezas de la calle Corrientes qui rêvent inlassablement de triomphes, ici par Libertad Lamarque en 1942) !

Elle : combien de temps il va falloir avant qu’on nous donne le jour ? Les lecteurs s’impatientent.
Elle : Les cases passent, les pages s’ajoutent les unes aux autres. Mais c’est qu’il n’y a pas de temps à perdre dans le monde contemporain.
Elle : Je veux naître. Pour briller. Je veux aller dans le monde déployer cette énergie que je porte en moi et illuminer la vie des autres et...
Lui : Beurk ! C’est d’un ringard !
Lui (ou eux) : Combien de temps il va falloir avant qu’on nous donne le jour ? Les lecteurs s’impatientent.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

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Le 12 février, Monsieur n'est pas né qu'il commence à critiquer !

Lui : Tiens, soeurette, ce pays est un vrai souk.
Elle : Et alors ?
Lui : Et alors, je veux naître en Europe. (1)
Elle : Moi, j’aime bien naître ici. C’est rigolo.
Lui : Fais ce que tu veux. Moi, je veux être civilisé et riche, je veux être du nord (2). Non mais sans blague. Je veux avoir un passeport comme tout le monde (3). Je veux naître en Europe. Emmenez-moi là-bas.
Elle : Tu es fou !
Lui : Je veux naître en Europe.
La mère : Gaspard, j’ai une autre envie.
Le père : Oh non !
La mère : et alors là, accroche-toi parce que ça va pas être simple !
(Traduction Denise Anne Clavilier)

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Le 17 février, le grand jour est arrivé.

Elle : Bon, alors, qui sort d’abord ?
Lui : Hein ? Quoi ? c’est déjà l’accouchement ? De toute façon, tu sais très bien ce que je pense.
Elle : Je sors la première.
Lui : Tchao (4)
........................
ça y est, il y a une Argentine de plus (5). Naître ici, moi ? tu m’as pas regardé ! J’ai le ventre pour moi tout seul, tout seul... Prévenez-moi quand on arrive en Europe.

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Après avoir fait mille manière et avoir presque réussi à rendre fous Papa et Maman ("los viejos", comme on dit en lunfardo), le bout de chou a fini par se résoudre à être Argentin. Faut dire qu’on ne lui a guère laissé le choix. Il est né cette nuit (si, si, c’est vrai, une semaine après sa frangine). Et elle qui ne se prive pas de se payer sa tête, pendant la têtée d'aujourd'hui...

Je vous laisse découvrir chaque épisode en allant directement sur le site de Página/12 et en jouant avec les petites flèches sous le titre pour remonter l’histoire (vous avez le lien dans la rubrique Actu, de la Colonne de droite, dans la partie inférieure consacrée aux liens externes)...

Bonne lecture ! Amusez-vous bien. Vous avez les 40 jours de Carême pour apprendre l’espagnol d’Argentine en vous amusant avec les loufoqueries de Rep. Avouez qu’il pourrait y avoir pire comme acte de pénitence en ce bas monde.

(1) Pour les Argentins, l'Europe est une entité indistincte. Certains pensent qu'il existe une nationalité européenne, puisqu'ils voient passer des passeports marqués Union Européenne.
(2) "primer mundo" : s’oppose à "tercer mundo" (tiers-monde). C’est le nord riche par opposition au tiers-monde situé plutôt au sud, ne serait-ce qu’on sud de l’hémisphère nord.
(3) Avoir un passeport a longtemps été un rêve presque impossible pour les Argentins, à cause des restrictions aux voyages en vigueur pendant les différentes périodes dictatoriales. Et au-delà du passeport, il y a les difficultés économiques pour voyager.
(4) "Au revoir" dans le texte. On trouve cette expression dans de nombreux tangos, dans ceux de Enrique Cadícamo (1900-1999) et dans ceux, très contemporains, d'Alejandro Szwarcman...
(5) le droit du sol : on est Argentin parce qu'on naît sur le sol national. Cela reste un fait politique très important pour une nation descendant d'un si grand mouvement d'immigration...