En Argentine comme en Europe, on observe depuis plusieurs années une avancée de l’âge des femmes à la naissance de leur premier enfant. Si la majorité d’entre elles ont leur première grossesse entre 20 et 29 ans, la période considérée comme la plus féconde dans la vie d’une femme, au cours des huit dernières années, le nombre des premières naissances intervenant dans cette tranche d’âge a baissé de 3 %. Et ce chiffre de 3% correspond exactement à l’augmentation des premières naissances chez les femmes de 30 à 45 ans. Selon le Ministère de la Santé, ce sont un peu plus de 36 000 bébés qui arrivent tous les ans chez des mamans au moins trentenaires, alors que l’ensemble du pays compte 740 000 naissances annuelles (sur une population d’environ 40 millions de personnes).
Le phénomène est concentré dans les grandes villes où les consultations médicales augmentent à cause des complications liées aux grossesses tardives, dans un pays où ni la surveillance des futures mères ni le suivi des nouveaux-nés n’est systématisé comme il l’est dans la plupart des pays de l’Union Européenne.
Cette évolution relève clairement d’un changement culturel et social encore timide mais effectif. Ainsi 10% des femmes qui consultent dans les hôpitaux publics (1) parce qu’elles souhaitent une grossesse vivent seules et n’ont pas de compagnon, ce qui était impensable il n’y a pas si longtemps. L’âge de la future mère est aussi en rapport étroit avec son niveau de formation initiale : les plus âgées sont celles qui ont la formation la plus longue. Les femmes qui ont quitté l’école après le cycle primaire (à 14 ans) ou après le cycle secondaire (avec ou sans baccalauréat) mettent au monde leurs enfants plus jeunes. En 1985, juste après le rétablissement de la démocratie, la différence d’âge, à la naissance du premier enfant, entre les femmes diplômées de l’Université et les autres était de 4 ans. Aujourd’hui, elle est de 6 ans. La différence est faible au regard de la rapidité de cette même évolution en Europe mais eu égard à la structure sociologique du pays, elle est importante.
Forts de l’expérience de leurs confrères en Europe et en Amérique du Nord où l’on sait ce qu’il en coûte de retarder les projets de maternité (grossesses à risques ou difficiles, diminution, voire perte de la fertilité et recours grandissant à des méthodes de procréation assistée très lourdes, sur les plans psychique, physique et financier, et aujourd’hui encore bien aléatoires), les médecins argentins commencent timidement à tirer le signal d’alarme. Les grandes campagnes de sensibilisation à la télévision, à la télévision, dans les journaux que nous connaissons ne sont pas pour tout de suite mais l’article que publie ce matin La Nación en donne un avant-goût.
Pourtant cette avancée en âge des futures mères est le fruit d’un phénomène dont on ne peut que se féliciter : l’émancipation intellectuelle, culturelle et professionnelle des femmes, là-bas comme ici, qui va de pair avec la baisse des grossesses non désirées, qui causent tant de ravages dans les classes populaires argentines, chez qui, en ville comme à la campagne, les méthodes de contraception sont largement inconnues (2).
(1) En Argentine, l’accès à l’hôpital public est gratuit. Le système de sécurité sociale ne prend pas en charge le remboursement des frais de santé mais l’Etat propose un service de santé publique gratuit qui fonctionne vaille que vaille, avec un personnel très qualifié, de bonne volonté, et des budgets qui dépendent des Provinces, qui administrent au nom de l’Etat. A Buenos Aires, par exemple, il est de notoriété publique que les dotations aux hôpitaux ont considérablement baissé depuis l’arrivée au Gouvernement de la ville du libéral Mauricio Macri mais que l’on continue de venir depuis la Province de Buenos Aires se faire soigner dans la capitale parce qu’elle compte de très nombreux établissements très réputés. Cette absence de système de remboursement au profit d’un service de santé gratuit fait que la plupart des gens consultent à l’hôpital ou dans les dispensaires (ceux des centres culturels et sociaux), quelle que soit l’affection, depuis la grippe jusqu’au cancer. Il existe bien sûr une médecine de ville, réputée chère (donc les gens n’y ont d’emblée pas recours) et des cliniques privés, où la médecine est pratiquée dans des conditions de confort bien différentes. Pendant une promenade à pied dans Buenos Aires, essayez donc de repérer une plaque de médecin libéral. Je vous parie que vous rentrerez bredouille... Cela ne sert à rien de signaler un cabinet médical, les gens de la rue ne viendront pas. Les gens aisés ou fortunés connaissent les médecins de manière informelle et cela reste une information beaucoup plus confidentielle qu’en Europe.
(2) En Argentine, l’avortement est strictement interdit. Il est donc pratiqué dans la clandestinité, dans des conditions hygiéniques et sociales sordides, par des personnes à la qualification aléatoire, avec un taux de mortalité et de morbidité chez les femmes similaire à ceux qui existaient en France avant la Loi Veil. Dans certaines affaires très particulières comme le viol ou l’inceste, il est possible de demander à un juge une autorisation d’avorter qu’on appelle là-bas aborto no punible (avortement non punissable). Le juge décide en son âme et conscience et s’il dit oui, il faut encore trouver, généralement dans l’urgence, un médecin qui accepte de procéder à l’intervention. Très souvent, ces demandes relèvent de cas absolument dramatiques. Il faut être dans une situation désespérée pour rompre le silence familial et faire un recours public aussi humiliant et aussi traumatisant devant un tribunal pénal. Les demandes sont donc souvent déposées par les mères ou les tutrices de très jeunes filles encore mineures, qui n’ont pas la capacité juridique pour le faire elles-mêmes, quand bien même elles en auraient la capacité intellectuelle. Et il n’est pas rare que, même dans ces cas-là, des juges, hommes ou femmes, n’accordent pas l’aborto no punible alors que la gamine est à peine pubère et qu’elle a été violée au sein de sa famille . Les associations féministes et la presse de gauche (surtout Página/12) se battent pour faire évoluer la législation et obtenir aussi que la justice engage systématiquement des poursuites à l’encontre des violeurs, y compris et surtout les violeurs incestueux. Sans beaucoup de résultats. Pourtant, les scandales de pédophilie qui secouent actuellement l’église catholique provoquent en Argentine les mêmes cris d’horreur qu’en Europe, où la répression du viol et du viol de mineurs est beaucoup plus ferme, tant dans la pratique des magistratures que dans l’arsenal législatif et la jurisprudence.
(2) En Argentine, l’avortement est strictement interdit. Il est donc pratiqué dans la clandestinité, dans des conditions hygiéniques et sociales sordides, par des personnes à la qualification aléatoire, avec un taux de mortalité et de morbidité chez les femmes similaire à ceux qui existaient en France avant la Loi Veil. Dans certaines affaires très particulières comme le viol ou l’inceste, il est possible de demander à un juge une autorisation d’avorter qu’on appelle là-bas aborto no punible (avortement non punissable). Le juge décide en son âme et conscience et s’il dit oui, il faut encore trouver, généralement dans l’urgence, un médecin qui accepte de procéder à l’intervention. Très souvent, ces demandes relèvent de cas absolument dramatiques. Il faut être dans une situation désespérée pour rompre le silence familial et faire un recours public aussi humiliant et aussi traumatisant devant un tribunal pénal. Les demandes sont donc souvent déposées par les mères ou les tutrices de très jeunes filles encore mineures, qui n’ont pas la capacité juridique pour le faire elles-mêmes, quand bien même elles en auraient la capacité intellectuelle. Et il n’est pas rare que, même dans ces cas-là, des juges, hommes ou femmes, n’accordent pas l’aborto no punible alors que la gamine est à peine pubère et qu’elle a été violée au sein de sa famille . Les associations féministes et la presse de gauche (surtout Página/12) se battent pour faire évoluer la législation et obtenir aussi que la justice engage systématiquement des poursuites à l’encontre des violeurs, y compris et surtout les violeurs incestueux. Sans beaucoup de résultats. Pourtant, les scandales de pédophilie qui secouent actuellement l’église catholique provoquent en Argentine les mêmes cris d’horreur qu’en Europe, où la répression du viol et du viol de mineurs est beaucoup plus ferme, tant dans la pratique des magistratures que dans l’arsenal législatif et la jurisprudence.