Ce soir à 19h, à son siège de la Place du Congrès à Buenos Aires, l’association Madres de Plaza de Mayo fêtera les 10 ans d’une université populaire que ces femmes ont fondée pour former des jeunes (et des moins jeunes) en leur donnant une culture générale solide mais aussi une conscience politique.
Les lecteurs réguliers de Barrio de Tango le savent, les autres pas toujours : Madres de Plaza de Mayo (les Mères de la Place de Mai) sont des femmes qui se sont regroupées en association pendant la Dictature militaire de 1976-1983 pour demander des comptes à la Junte au pouvoir sur ce qu’il était advenu de leurs enfants, des jeunes gens, hommes et femmes, engagés dans la lutte pour le retour à la vie constitutionnelle, la liberté du pays (alors asservi aux intérêts des Etats-Unis) et le respect de la Déclaration des Droits de l’Homme de l’ONU ratifiée par l’Argentine (comme par tous les autres pays affiliés à l’Organisation internationale). La plupart d’entre les Mères ne savent toujours pas ni où ni comment ni même quand sont morts leurs enfants. Beaucoup ne le sauront jamais. Mais elles continuent de militer.
Le groupe initial qui défiait les militaires depuis la Place de Mai (Plaza de Mayo), sous les fenêtres de la Casa Rosada, siège du gouvernement national, s’est scindé en deux associations distinctes dès le retour de la démocratie. L’une, ONG des droits de l’homme centrée sur les revendications initiales concernant les disparus, s’appelle aujourd’hui Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora et a relativement peu de retentissement médiatique. L’autre s’appelle Madres de Plaza de Mayo et a beaucoup diversifié ses activités, notamment dans le domaine des médias et de la culture. Madres de Plaza de Mayo a fondé un centre culturel, ECuNHi (Espacio Cultural Nuestros Hijos, c’est-à-dire Espace Culturel Nos Enfants), une radio (La Voz de las Madres, la Voix des Mères, sur l’antenne de laquelle est diffusée tous les jeudis soir l’émission consacrée au tango, Fractura Expuesta, dont je vous parle de temps à autre) et cette Université Populaire, ouverte le 6 avril 2000, qui accueille toute sorte d’étudiants, des gens sortis sans diplôme de l’école (sans même avoir terminé leur scolarité de premier cycle) comme des étudiants plus classiques qui sortiront de là diplômés de droit, d’histoire ou de travail social (ce qui est une compétence en soi, sanctionnée par un titre universitaire en Argentine).
La Universidad Popular de las Madres de Plaza de Mayo a en moyenne 1200 étudiants tous les ans, pour 10 cursus différents, et un nombre plus difficile à déterminer d’auditeurs libres qui suivent les cours dispensés dans le cadre de 3 séminaires hors inscription.
A l’occasion de cet anniversaire qui sera fêté très officiellement ce soir dans des locaux qui auront subi des travaux tout l’été pour s'adapter à la foule des étudiants, dans le bâtiment de Plaza de Congreso, le quotidien de gauche, Página/12, qui soutient l’action des deux associations de Madres de Plaza de Mayo publie une interview de Hebe de Bonafini, la très médiatique Présidente de Madres. Une dame passionnément péroniste et révolutionnaire dans l’âme, qui regarde d’un bon oeil et du côté de Cuba et du côté du Venezuela de Chavez (1) et qui parle tout franc sans s’embarrasser de circonlocutions diplomatiques... Une sacrée bonne femme, un personnage haut en couleur et attachant mais pas commode pour un sou...
Dans cette interview qu’elle donne en compagnie de la recteure de l’Université, Hebe de Bonafini raconte comme un épopée la fondation il y a 10 ans, en dépit de l’opposition du Président de la République d’alors, Fernando de La Rúa (2) qui refusait le titre d’Université à cette institution. Mais qu’à cela ne tienne, les Mères ne se sont pas laissées démonter : on ne leur donnait pas le droit d’appeler leur centre de formation Université, elles ont pris le gauche (3). Hebe de Bonafini raconte aussi comment de nombreux recteurs de prestigieuses universités du monde entier, dont celle de Salamanque, la plus prestigieuse université espagnole, sont venus à Buenos Aires pour l’inauguration.
Dix ans plus tard, l’Université Populaire est en passe de devenir une véritable université, à l’égal des Universités nationales subventionnées par l’Etat, que l’association soutient corps et âme. La différence ne sera plus dans le statut des diplômes délivrés mais dans l’angle sous lequel seront abordés et montés les cursus, qui font la part belle à la formation politique et historique.
Le rêve de Hebe de Bonafini serait qu’un jour le pays porte à sa tête, par une élection démocratique bien sûr, un ancien étudiant de la Universidad Popular de las Madres de Plaza de Mayo.
Pour aller plus loin :
Dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus, vous accéderez à des ensembles d’articles sur des thèmes annexes : école pour tout ce qui touche l’enseignement et l'éducation, JDH pour tout ce qui touche la justice et les droits de l’homme...
Dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus, vous accéderez à des ensembles d’articles sur des thèmes annexes : école pour tout ce qui touche l’enseignement et l'éducation, JDH pour tout ce qui touche la justice et les droits de l’homme...
Dans la partie supérieure de la Colonne de droite (sur fond gris), vous trouverez de nombreux raccourcis vous permettant d’accéder à d’autres rubriques de ce blog (Economie, artistes, disciplines artistiques etc...)
(1) C’est toute l’ambiguïté de la militance pour les droits de l’homme en Amérique du Sud, des pays qui ne peuvent pas se reposer sur l’exemple en la matière des Etats-Unis ou de l’Angleterre, qui furent les puissances internationales qui appuyèrent les régimes dictatoriaux dans le sous-continent. En ce qui concerne l’Argentine, les gouvernements anticonstitutionnels des années 30, dite Década Infame, ont été soutenus par l’Angleterre, et les gouvernements anticonstitutionnels qui ont succédé à Perón, pendant la Guerre froide, et en particulier la Dictature de 76-83 ont été mis en place et pilotés par la CIA. Du coup, ces associations voient l’époque castriste ou la politique de Hugo Chavez avec des yeux très différents de ceux des Européens : ils ne voient pas tant (et c’est tout le paradoxe) les violations des droits de l’homme et des principes démocratiques qui nous crèvent les yeux mais l’opposition frontale et audacieuses à l’impérialisme des Etats-Unis, qui se fait sentir durement dans toute la région, aujourd’hui encore, où il revêt d’abord et avant tout le costume d’une pression commerciale difficilement contenable. Sur ces questions, vous pouvez consulter mon article Vademecum historique, dont le lien se trouve dans la partie médiane de la Colonne de droite (rubrique Petites chronologies).
(2) Fernando de La Rúa a succédé à Carlos Menem dont il a continué la politique du tout libéral qui a totalement désorganisé la structure économique de l’Argentine et a abouti en décembre 2001 à la faillite du pays et de son système monétaire.
(3) "Prendre le gauche" : passer outre une interdiction, faire quelque chose malgré l’interdiction qui pèse dessus.
(2) Fernando de La Rúa a succédé à Carlos Menem dont il a continué la politique du tout libéral qui a totalement désorganisé la structure économique de l’Argentine et a abouti en décembre 2001 à la faillite du pays et de son système monétaire.
(3) "Prendre le gauche" : passer outre une interdiction, faire quelque chose malgré l’interdiction qui pèse dessus.