Le Defensor del Pueblo est, en Argentine et dans toute la zone hispanique, une très vieille institution espagnole, qui s’est répandue dans tout l’Empire colonial et s’est maintenue en Argentine comme dans d’autres pays de l’Amérique Latine. En Argentine, chaque Province dispose d’un tel dignitaire, lui-même entouré de toute une administration qui instruit les dossiers et mène des enquêtes et des audits sur le respect des droits des personnes dans la gestion de la chose publique.
La Defensoría portègne vient ainsi de publier un rapport sur la violence policière dans la capitale argentine. Depuis plusieurs mois sur ce site, je me suis fait l’écho de plaintes relayées par la presse concernant la manière assez rugueuse avec laquelle sont traités les sans-abris et autres indésirables dans Buenos Aires, de telle sorte qu’ils finissent par quitter la ville pour se réfugier dans la Province, où leur afflux cause d’autres soucis.
La politique ainsi menée est une stratégie purement politicienne : Mauricio Macri, qui est dans l’opposition au niveau national mais détient le pouvoir local dans Buenos Aires, s’arrange pour se décharger sur la Province du problème. Or la Province est dirigée à gauche, par un péroniste, Daniel Scioli, qui est un fidèle d’entre les fidèles du couple Kirchner et qui a été le Vice Président de Néstor Kirchner. Mauricio Macri est accusé par l’opposition de recourir à une milice privée, dont la tenue et le comportement rappellent fâcheusement des temps que les Argentins aimeraient ne pas revoir (la Dictature militaire de 1976-1983), et d’avoir mis à la tête du Ministère de la Sécurité des hommes qui ne s’embarrassent pas de scrupules et jouent aux cartes avec certains articles de la Déclaration des droits de l’homme. Il a même créé, il y a peu, une Police Portègne, qui a fait scandale dès le départ (lire mon article du 3 juin 2009 sur la nomination d’un avocat aux idées douteuses à la tête de l’Ecole de Police, mon article du 30 septembre 2009 sur la démission de cet avocat, mon article du 28 janvier 2010 sur l'entrée en fonction de la nouvelle Police municipale sur fond de scandale, dont celui des écoutes illégales pour lequel Mauricio Macri lui-même est convoqué par la Justice le 28 avril prochain).
Le Rapport spécial sur la violence policière dans la Ville Autonome de Buenos Aires qui vient de sortir analyse 20 cas de violence grave identifiés en 2008 et 2009 et imputables à la Police Fédérale, qui a deux autorités de tutelle à Buenos Aires, le Ministère national de la Justice et le Ministère portègne de la Sécurité, au titre de la subsidiarité qui est un des grands principes du fédéralisme argentin et la source d’un tas de conflit sur le terrain (1). Dans les cas étudiés, le rédacteur relève que "l’usage de la force a été excessif et irrationnel", que la Police s’en est majoritairement prise à "des personnes ou des groupes de personnes vulnérables", que "les critères de protection du droit des personnes internationalement reconnus n’ont pas été respectés" et que la Justice n’a pas jugé bon d’enquêter sur ces faits. Le rapport signale que "la coercition doit resté un recours limité qui ne doit pas entraîner des faits plus graves que ceux qu’elle prétend réprimer" et que la pratique de la Police relève d’habitudes "inspirées par une conception guerrière de la répression des délits". Le rapport de 35 pages dénonce aussi "les stéréotypes discriminatoires" que les policiers appuient sur des clichés eux-mêmes créés de toute pièce par la Police elle-même ("le flair du policier et l’attitude suspecte des personnes") et les victimes en sont toujours les mêmes : des jeunes, surtout s’ils n’ont pas le teint clair (2) ou s’ils portent des tatouages, pauvres, ou homosexuels ou originaires de pays voisins (3).
(1) Par exemple : la subsidiarité veut que les niveaux minimums salariaux soient définis au niveau national. Mais ils sont appliqués par les Provinces. C’est ainsi qu’à chaque fois que le Ministère de l’Education fédéral (Gobierno de la Nación, comme disent les Argentins) augmente les enseignants, on part dans des négociations puis des conflits sans fin dans les Provinces qui n’ont pas les moyens ou ne veulent pas libérer le budget nécessaire. Ce qui a fait dire en février à Mauricio Macri que la Présidente négociait avec l’argent des autres. La formule fait mouche et elle est loin d’être fausse.
(2) les morochos : cet adjectif peut s’appliquer à la couleur des cheveux (bruns), mais aussi à la couleur de la peau. Et en Argentine, cela désigne les personnes mulâtres ou métisses, ayant (peut-être) dans leur ascendance un grand-parent, voire un arrière-grand parent noir ou indien. La plupart du temps, dans les letras de tango, morocho/morocha désigne une personne brune. Les mulâtres sont désignés comme negros (negras), mulatos (mulatas), pardos (pardas), morenos (morenas). Et l'emploi de ce vocabulaire ne contient en soi aucune connotation raciste, contrairement au même vocabulaire. C'est dû à la différence entre les histoires politiques des pays européens et des pays d'Amérique du Sud.
(3) L’Argentine est aujourd’hui un pays d’immigration pour de nombreux Boliviens, Péruviens, Paraguayens et Colombiens. Les Argentins savent les reconnaître à leur apparence et à leur accent et l’Argentin moyen n’est pas beaucoup plus accueillant vis-à-vis de ces immigrants pauvres que ne l’est le Français moyen vis-à-vis des Maghrébins ou des Sénégalais, le Belge moyen vis-à-vis des Congolais ou des Marocains, l’Anglais moyen vis-à-vis des Pakistanais, l’Allemand ou le Suisse moyen vis-à-vis des Turcs. De plus en plus, l’Argentine devient aussi une terre d’exil économique pour les Sénégalais (qui vivent en vendant des colifichets comme en France dans les lieux touristiques) et les Asiatiques (de l’Asie du Sud-est, Chine, Vietnam, Cambodge, Laos) qui souvent tiennent des supérettes ouvertes tous les jours jusqu’à pas d’heure, les week-end et jours fériés compris. Ces derniers arrivants ont eux aussi leurs difficultés d’intégration. Le racisme bas de plafond et la xénophobie sont malheureusement uniformément répandus sur la planète. A Buenos Aires, les Boliviens et les Péruviens ont souvent des faciès indiens et des tenues vestimentaires qui les font repérer immédiatement. En août 2007, j’en ai vu beaucoup vendant des légumes et des fruits à la sauvette, à même le trottoir. D’autres sont un peu mieux établis et tiennent une échoppe de frutero ou de verdulero. L’année dernière, j’ai remarqué que le nombre de ces vendeurs à la sauvette avait beaucoup diminué. Peut-être le résultat de cette stratégie d’intimidation attribuée à Mauricio Macri, qui fait fuir les réfugiés économiques hors de la capitale.