samedi 3 avril 2010

Une nouvelle version de María de Buenos Aires chez Acqua Records [Disques & Livres]

Jacquette du disque

A chaque fois, c'est bien sûr un événement : María de Buenos Aires est un opéra-tango, qui demande de nombreux interprètes, c'est une oeuvre longue et c'est une oeuvre pour le moins complexe tant pour la musique, de Astor Piazzolla, que pour le livret, de Horacio Ferrer. Cette fois-ci, c'est un musicien argentin de 39 ans, installé à Bâle en Suisse, qui tente l'aventure de donner sa propre version de ce morceau de bravoure.

Marcelo Nisinman, qui est bandonéoniste et compositeur, formé au tango et à la musique classique contemporaine, a assuré tous les arrangements et la direction musicale de ce double album, sorti fin février 2010, qu'il lance en ce moment à Buenos Aires et qui est disponible depuis plusieurs semaines sur la boutique en ligne de Zivals (voir dans la rubrique Les commerçants del Barrio de Tango, dans la partie basse de la Colonne de droite).

Aux côtés de Marcelo Nisinman, les interprètes sont plus que prestigieux :
Cristian Zárate (piano), Fernando Suárez Paz (premier violon), Miguel Angel Bertero (second violon), Ricardo Lew (guitare électrique) et Roberto Tormo (contrebasse).
Le rôle de María est interprété par Alicia Vignola et Raúl Lavié tient le rôle du cantor.
Quant au rôle du Duende et du récitant, crée par Horacio Ferrer lui-même et repris encore par lui en 2008, ils sont tenus par Jorge Waisburd (13 décembre 1949-11 novembre 2007) et l'acteur Pedro Domingo Pelusa Suero.
Jorge Waisburd était un chanteur et un animateur radiophonique qui a tenu de nombreuses émissions de radio. Il fut entre autres le fondateur de l'actuelle radio La 2 x 4, la radio publique de Buenos Aires, consacrée entièrement au tango.

Coup sur coup, Crítica de la Argentina et Página/12 publient un papier sur l'événement, le premier le 29 mars et le second aujourd'hui même.

Verbatim :

“La reversión fue una iniciativa absolutamente mía –cuenta el músico, mientras por la ventana se ve esa ciudad que Ferrer imaginó mujer decolorarse por una lluvia fuertísima–. Yo ya había hecho nuevas versiones de otras cosas de Ástor, pero ésta tenía una gran carga emotiva. El tema es Buenos Aires, y yo empecé a sentir que eso era lo que más me empujaba. Pero es una obra larga, que me llevó cuatro años grabar, así que tuve que hacer un esfuerzo mental extra para hacerlo”
Crítica de la Argentina

Faire cette nouvelle version a été une initiative qui n'appartient qu'à moi, raconte le musicien, alors qu'on voit par la fenêtre cette ville que Ferrer a imaginer comme une femme perdant ses couleurs par une terrible pluie. J'avais déjà fait de nouvelles versions d'autres choses de Astor, mais celle-ci avait une grande charge émotionnelle. Le thème, c'est Buenos Aires et j'ai commencé à sentir que c'est cela qui me poussait le plus. Mais c'est une oeuvre longue, qui m'a pris quatre ans à enregistrer. Alors j'ai dû faire un super effort mental pour y arriver.
(traduction Denise Anne Clavilier)

–¿Cómo te enfrentaste al original?–Yo me la sabía de memoria, así que traté de darle una vuelta nueva, mirarla con un prisma personal. Pero que una cosa no quitara la otra: que estuviera el original pero también esta versión, que es mía. La época en que se grabó María... estuvo marcada por los ideales, algo que ellos (Piazzolla y Ferrer) vivieron de manera muy personal. Sabemos que hoy, a la distancia, muchos de los ideales de esa época cambiaron, ¿no?, entonces ahí es donde yo me puedo distanciar y verla –sin pecar de arrogante– con otra visión.
Crítica de la Argentina

Comment t'es-tu affronté à l'original ?
Je la savais par coeur, donc j'ai essayé de lui donner une tournure nouvelle, de la regarder avec un prisme personnel. Mais il fallait qu'une chose ne dévore pas l'autre : que l'original y soit mais aussi cette version-là qui est la mienne. L'époque où on a enregistré
María (1) a été marquée par les idéaux, un truc qu'eux (Piazzolla et Ferrer) ont vécu d'une manière très personnelle. Nous savosn qu'aujourd'hui, avec la distance, beaucoup de ces idéaux de l'époque ont changé, n'est-ce pas ? Alors, c'est là que moi je peux me différencier et la regarder, sans pécher par arrogance, avec une autre vision.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

“Yo vivo en Suiza y a veces veo que, en Europa, en lo primero que se piensa cuando se dice ‘tango’ es en el baile. El tango es mucho más que eso. Escuchá la orquesta de (Carlos) Di Sarli y analizalo desde el punto de vista de la interpretación: tiene una especie de simpleza compleja, está todo muy expuesto, como si fuese la música de Mozart”
Crítica de la Argentina

Moi, je vis en Suisse et des fois, je vois qu'en Europe, la première chose à quoi on pense quand on dit le mot tango, c'est à la danse. Le tango est beaucoup plus que ça. Ecoute l'orquestre de Carlos Di Sarli et analyse-le du point de vue de l'interprétation : il a une espèce de simplicité complexe, tout est très exposé, comme si c'était de la musique de Mozart.
(traduction Denise Anne Clavilier)

“Escribí y realicé esta nueva versión de María con la sensación de transitar esa fina línea que separa al infierno del paraíso”, dice Nisinman en las notas introductorias del CD. “Es que es un material radiactivo”, explica en la entrevista. “Una vez que empecé a trabajar caí en la cuenta de que se trata de una obra muy simbólica, y en un momento sentí que me estaba metiendo con algo que tenía mucho peso. Me pregunté si realmente quería seguir adelante.”
Página/12

J'ai écrit et réalisé cette nouvelle version de María en ayant la sensation de passer cette ligne fine qui sépare l'enfer du paradis, dit Nisinman dans l'introduction du CD. C'est qu'il s'agit d'une matière radioactive, explique-t-il pendant l'interview. Une fois que j'ai commencé à travailler, je me suis rendu compte de ce qu'il s'agissait d'une oeuvre très symbolique et en un instant, j'ai compris que j'étais en train d'enfiler dans un truc qui pesait très lourd. Je me suis demandé si vraiment je voulais continuer.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

–¿Y por qué se respondió afirmativamente?
–Bueno, yo siempre trabajé metiéndome en cosas un poco complejas, y ésta no iba a ser la excepción. Cuando fuimos a grabar –la mayor parte de la grabación se hizo en un día, con todos juntos en el estudio– volví a sentir el peso de la importancia de la obra: todos los que participaban estaban muy cargados de energía. La cultura porteña funciona un poco de esa manera inconsciente: los símbolos, los valores están, pero no se especifican hasta que no nos enfrentamos con ellos.
Página/12

Pourquoi avez-vous répondu par l'affirmative ?
Bon, moi, j'ai toujours travaillé en me fourrant dans des trucs un peu compliqués et celui-là n'allait pas faire exception. Quand on s'est mis à enregistrer, la plus grosse partie de l'enregistrement s'est faite en un jour, tous ensemble dans le studio, j'ai compris à nouveau l'importance de l'oeuvre : tous ceux qui participaient étaient très chargés en énergie. La culture portègne fonctionne un peu de cette manière inconsciente-là : les symboles, les valeurs sont là, mais ils ne se singularisent pas tant que nous ne nous affrontons pas à eux
.
(Traducion Denise Anne Clavilier)

–¿Le preocupaba el peso de la figura de Piazzolla como un “intocable”?
–Yo no me enrolo dentro del grupo de los fanáticos de Piazzolla, que se quejaban de los conservadores y pasaron a ocupar ese rol con el tiempo, en defensa de la obra de Piazzolla. A Astor lo admiro, pero hubiese sido tonto hacer una nueva versión de una obra suya para imitarlo. Yo quise darle un giro nuevo a María..., y al mismo tiempo guardar su esencia, ése fue mi desafío. Sí estaba, claro, el peso que tuvo la obra para Piazzolla: él consideraba que María... era una de sus obras cumbres.
Página/12

- Cela vous préoccupait le poids de la figure de Piazzolla comme un intouchable ? (2)
- Je n'ai pas pris ma carte dans le groupe des fanatiques de Piazzolla, qui se plaignaient des conservateurs et qui ont fini par occuper ce rôle avec le temps, pour défendre l'oeuvre de Piazzolla. Astor, je l'admire mais il aurait été idiot de faire une nouvelle version d'une oeuvre à lui pour l'imiter. J'ai voulu donner un nouveau tour à María... Et en même temps, garder l'essentiel. C'est ça qui a été le défi que je me suis lancé. Bien sûr, il y avait le poids qu'a eu l'oeuvre pour Piazzolla : lui considérait que María, c'était un de ses chefs d'oeuvre.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

–¿Y cómo se planteó ese desafío?
–Mi versión intenta mostrar que si la música de Piazzolla es tango –algo que a esta altura no merece ni discutirse–, siguiendo una vieja tradición en el mundo de la música y del tango, se puede arreglar de nuevo.
Página/12

- Et comment s'est présenté ce défi ?
- Ma version essaye de montrer que la musique de Piazzolla, c'est du tango -un truc qui à cette altitude-là, qui ne se discute même pas
(3)- suivant une vieille tradition dans le monde du tango et de la musique, on peut en faire de nouveaux arrangements.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

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Pour visiter le site de Fernando Suárez Paz, qui fut premier violon de Astor Piazzolla, cliquez sur le lien.
Pour visiter la page Myspace de Alicia Vignola, cliquez sur le lien.

(1) 1968
(2) On peut comprendre intocable de deux manières : intouchable ou injouable. Les deux sont valables ici.
(3) Allusion à la querelle persistante qu'on fait à Piazzolla depuis 1955 et qui consiste à contester la qualité de tango à sa musique. Vieille querelle des anciens et des modernes qui explique en partie pourquoi le tango a traversé une telle crise dans les années 60 et 70. Parce que de nombreux tangueros ne voulaient pas laisser le monde moderne exister dans cette musique. Piazzolla lui-même avait fini par abandonner le vocable tango et parlait pour sa propre musique de musique urbaine populaire de Buenos Aires.