Quand je suis partie l’année dernière sur Aerolineas Argentinas, je n’avais pu m’empêcher de constater à quel point l’équipage de cabine semblait démotivé, absent, démoralisé, atone.... Quand les hôtesses servaient le repas, elles me donnaient l’impression de servir les sièges et pas les passagers. Pour les annonces de bienvenue et le message de remerciements post-atterrissage, les voix étaient mécaniques, éteintes, comme déconnectées. La chaîne de sons disait "merci d’avoir choisi notre compagnie pour voyager" et on avait l’impression d’entendre "on n’en a rien à secouer".
Cette année, le regain de mobilisation était très nettement visible chez le personnel, beaucoup plus disponible et attentif aux besoins des passagers, s’adressant bien à eux pour le thé ou le café, hôtesses et stewards se parlant les uns aux autres, s’entraidant sans soupirer comme l’année dernière. J’en avais conclu que la renationalisation de la compagnie, après sa descente au purgatoire sous la gestion Marsans, redonnait le goût de travailler et une certaine fierté d’appartenance à tous ces salariés... Et cette impression s’est confirmée au retour.
D’abord parce que alors que le décollage était annoncé en retard, l’embarquement a commencé avant l’heure prévue au moment de l’enregistrement. Ensuite parce qu’on a effectivement quitté l’amarrage à l’heure affichée (retard inclus) sans que ce retard n’en entraîne un autre, comme c’était fréquemment le cas jusqu’à présent. Et je lis aujourd’hui dans Clarín que la ponctualité de la compagnie s’est très nettement améliorée avec 74,1% des vols intérieurs et 65,2% des courriers internationaux partis à l’heure au mois d’août, ce qui marque un progrès considérable.
Ces dernières années, Aerolineas était gangrenée par des arrêts de travail perpétuels, de l’absentéisme, une lenteur de tout le monde à exécuter la moindre tâche. Et la Présidente avait mis les points sur les i en annonçant au mois de juillet la renationalisation : l’objectif n°1, c’est récupérer la clientèle perdue en renouant avec la ponctualité des départs et des arrivées. Eh bien, il semble qu’elle ait été entendue.
Et je veux aussi souligner que Aerolineas a montré à mon égard, c’est une expérience vécue, une attention commerciale que j’aurais aimé recevoir d’Aéroports de Paris. Mes bagages ne m’ont pas suivie à l’escale de Madrid, où se faisait la jonction entre Aerolineas et Air Comet, la compagnie propre du Groupe Marsans, celle qui reste dans son giron au-delà du rachat d’Aerolineas et sa filiale Austral, une compagnie continentale de type presque low-cost, pour laquelle le passager est une vache à lait avant d’être un voyageur, et dont la mission est de relier les différents pays d’Europe les uns aux autres. Escale donc avec changement de compagnie (et ça s’est senti dans le service pendant le vol) dans un aéroport connu pour être l’un de moins bien organisés de l’UE (à Madrid, si vous ne voulez pas perdre de temps, ne suivez pas les panneaux indicateurs, vous auriez à faire demi-tour).
Donc à Roissy, pas de bagages. Une bonne vingtaine de passagers dans ce cas. Au comptoir d’Aeroports de Paris, un indescriptible fourbi. Aucun agent n’est capable de mener de bout en bout l’enregistrement de dossier des clients ni ne vérifie s’il est correctement renseigné et, après l’enregistrement bâclé du mien, de toute l’après-midi et toute la soirée de dimanche ils ne donneront pas un seul signe de vie (et tous mes livres, sauf ceux signés par leurs auteurs, dans mes bagages de soute : je les crois perdus). Pourtant, le lundi en fin de matinée, excédée d’attendre un coup de fil qui aurait dû arriver la veille et que j’attends toujours je crois, j’envoie un mail à la compagnie et il ne m’a fallu qu’attendre 15 minutes pour qu’une employée qui se partage entre le comptoir de Roissy et l’agence de la rue de l’Oratoire, Alexandrine, m’appelle sur mon portable, me rassure, reconstruise mon dossier qui n’était ni fait ni à faire et me tienne régulièrement informée de ce qu’elle savait comme de ce qu’elle ne parvenait pas à savoir, poussant la conscience professionnelle jusqu’à m’appeler au moment où son collègue, Emilio, venait la relever. Collègue qui s’est même déplacé jusqu’à la zone des bagages pour aller reconnaître lui-même mes valises et les expédier en livraison. Il n’a certes pas pu obtenir que je sois livrée comme il l’avait demandé dans la soirée du lundi mais à l’impossible nul n’est tenu... Aéroports de Paris n’a pas vocation à se mettre au service des compagnies aériennes qui lui font l’honneur de s’établir sur son domaine et qui lui versent de solides taxes aéroportuaires. Il ne faut tout de même pas exagérer !
Et je suis sûre qu’en lisant ces lignes, mes amis argentins vont douter de leur français tant ils se sont habitués à trouver chez Aerolineas un sens commercial émoussé.
Il est vrai aussi que la vente d’Aerolineas au privé dans les années 90 par le Président péroniste bling-bling Carlos Menem avait de quoi vous démolir une culture d’entreprise. Il s’était débarrassé des bijoux de famille en les mettant au clou : la compagnie pétrolière YPF, montée dans les années 20 par le Président Yrigoyen, et la compagnie aérienne, née sous le gouvernement Perón à la fin des années 40, les deux entités symboles d’une politique de décolonisation économique et de récupération de la fierté nationale, parties en deux coups de cuillère à pot, jetées à Shell pour l’une, à Iberia pour l’autre, comme on jette du pain rassis aux pigeons. Sans compter des pans entiers du territoire national cédés pour rien ou presque à des entreprises privées étrangères, comme Benetton, qui élève les moutons avec la laine desquels il fabrique les pulls qu’il nous vend à coup de pubs ambiguës sur des terres normalement inaliénables puisque réservées à des ethnies indiennes qui avaient obtenu le droit d’y reconstruire leur vie et leur culture...
Actuellement, tandis que le groupe de tourisme de masse espagnol Marsans s’ingénie à ne pas publier les comptes 2007 des deux compagnies aériennes, mère et filiale, la majorité gouvernementale, qu’on appelle le kirchnerismo dans les journaux, du nom du couple qui dirige le pays, elle à la Présidence, lui à la tête du parti justicialiste, fait des pieds et des mains pour conclure le projet de loi qui renationalisera Aerolineas et Austral par le rachat, à un prix raisonnable et juste, des actions du groupe Marsans, qui a lui-même acheté la compagnie argentine à Iberia avec des jeux d’écriture comptable avant de la vider de tous ses actifs matériels (les aéronefs sont loués, les simulateurs de vol aussi, il ne reste que des charges : la masse salariale et les dettes fiscales pour non paiement des impôts dus à la Province de Buenos Aires où se situe Ezeiza, l’aéroport de résidence).
Mais si Aerolineas y met du sien, ça peut peut-être changer... Continuez sur votre lancée, les amis, vous allez gagner votre pari. C’est Clarín qui titrait samedi : "Aerolineas : ou un succès comme Air France ou un gadin comme Alitalia..."