mardi 30 septembre 2008

Buenos Aires se cherche un nouveau symbole [actu]

El Faro de Agua (le Phare d'eau), un projet de tour de 20 étages et de 100 m. dans lequel circulerait un flot d'eau perpétuel. Photo Clarin (30.09.08)


Depuis 1936, c’est-à-dire depuis le 400e anniversaire de la première fondation de la capitale argentine, qui en eut deux..., le symbole de Buenos Aires, c’est l’Obélisque, élevé sur l’emplacement de la Torre San Nicolás, là où fut hissé pour la première fois le drapeau national le 23 août 1812, pendant la Revolución, entendez la guerre d’indépendance entamée en 1810.

Dans le cadre des préparations de ce Bicentenaire du pays, la capitale veut se choisir un nouveau symbole, un monument dont l’ambition est d’accéder à une gloire universelle, à l’instar de Big Ben, de la Tour Eiffel, de la Statue de la Liberté ou de l’Opéra de Sydney, ce qui n’a pas été le sort de l’Obélisque, certes très connu hors des frontières, mais uniquement des gens qui s’intéressent déjà à l’Argentine et à sa capitale. En juin de cette année, un puissant promoteur immobilier a donc lancé, avec l’agrément de la Ville et de l’Etat fédéral, qui a tout de même son mot à dire (merci !) une opération pharaonique intitulée 2010 - una nueva postal para la Argentina (2010, une nouvelle carte postale pour l’Argentine).

Un concours international d’architecture a été ouvert le 10 juin par cette société immobilière, cotée en bourse, à Buenos Aires et à New-York, l’IRSA (Inversiones y Representaciones SA), à laquelle s’est jointe la Société Centrale des Architectes (SCA), association professionnelle sans but lucratif. Le ou les projet(s) retenu(s) sera ou seront réalisé(s), de manière conforme aux plans soumis au jury ou avec des adaptations dont l’IRSA aura toute la maîtrise, sur une zone immense située le long du Río de la Plata entre la Costanera Norte (une terre gagnée sur le fleuve par la technique des polders) et les abords du quartier populaire de La Boca. Cette zone couvre donc un petit bout de Palermo et l’intégralité de Puerto Madero, ce quartier en pleine transformation urbaine où les vieux docks désaffectés par le déclin de l’activité fluviale se métamorphosent depuis quelques années en une zone résidentielle, hôtelière et commerçante ultra-chère et ultra-chic où l’on vient d’inaugurer, en début d’année, un Monument au Tango, très touristique mais franchement pas à sa place dans ce décor qui est l’envers du port populeux où débarqua un jour de mars 1893, au Dique 1, Berthe Gardés, portant dans ses bras son fils de deux ans (1).

Puerto Madero touche le quartier de La Boca et lorsque vous passez de celle-ci à celui-là, le contraste est pour le moins violent !

Aujourd’hui, 30 septembre et jusqu’au 20 octobre, avec un mois de retard par rapport aux conditions prévues initialement par le concours (15 au 22 septembre), les 12 projets finalistes retenus par le jury sont exposés au Centre Commercial de l’Abasto (dans le centre de Buenos Aires).

Ce bâtiment majestueux, construit en 1934, a longtemps abrité la halle aux fruits et légumes de Buenos Aires, les grossistes au rez de chaussée et les détaillants à l’étage. Cet immense marché aux primeurs s’était installé là, dans cette esquina Corrientes y Agüero, vers 1893. Carlos Gardel tout enfant y a déchargé des cageots pour se faire quelques sous, Aníbal Troilo y a fait ses débuts de bandonéoniste, entre les étals des maraîchers, quand il avait une dizaine d’années... En 1994, quelques années après la cessation des activités du marché central, l’IRSA a acheté le bâtiment et en a fait l’un des nombreux centres commerciaux qui lui appartiennent. Le Centre Commercial de l’Abasto a ouvert ses portes en 1998. L’IRSA possède et gère également le célèbre Buenos Aires Design de la Recoleta et tous les centres commerciaux Alto dans la capitale et sa banlieue proche. Dans son portefeuille qui couvre tous les aspects de l’immobilier de prestige, des immeubles résidentiels et des immeubles de bureaux, notamment dans la City (le centre financier de Buenos Aires, avec ses gratte-ciels en verre et en acier). A elle aussi les murs de trois palaces, deux à Buenos Aires, l’Inter-Continental à Monserrat et le Libertador à Palermo, et le trosième dans la station de ski de San Carlos de Bariloche en Patagonie. A elle enfin différentes friches industrielles dont le Dique 4 (la Division 4) du Port de Buenos Aires.
Les habitants qui visitent l’exposition à l’Abasto sont invités à voter de manière très officielle : impossible d’accéder à l’isoloir sans avoir produit ses papiers d’identité. Dans l’isoloir, le vote est électronique.
L’exposition elle-même est organisée par l’IRSA qui prend aussi en charge la logistique de la consultation populaire (ce qui nous paraît surréaliste, à nous autres Européens) et affirme bien haut, par la voix de sa Responsable de Communication externe, sa volonté de faire participer la population au choix final.

Les résultats du scrutin devraient être connus fin octobre (le règlement officiel initial du concours prévoyait de clore le scrutin le 22 septembre et d’ouvrir les enveloppes le 30. Il est probable qu’eu égard à la formidable puissance économique de l’IRSA, le système de vote électronique a été adopté pour limiter les soupçons d’irrégularité qui auraient pu entacher un scrutin manuel avec urne et bulletins papier).

Le jury comptait parmi ses membres la Présidente de la République, Cristina Fernández de Kirchner, et le Chef du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires, Mauricio Macri, qui représentent chacun des positions antagonistes sur l’échiquier politique argentin, ainsi que le président de l’IRSA (la moindre des choses !) et un représentant de la SCA.

(1) Carlos Gardel. Un autre chanteur arriva de la même manière deux ans plus tard, lui aussi dans les bras de sa mère, une autre fille-mère, venue de Sardaigne. C’était Ignacio Corsini.