Il y a des symboles politiques qui se digèrent mal. Ne voilà-t-il pas que le Ministre de l’Education du gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires, qui est dans l’opposition au gouvernement fédéral, les premiers étant des libéraux, les seconds des péronistes et alliés de gauche, a décidé de remplacer, dans les menus des cantines scolaires, le bon vieux steak si typiquement national par un brouet de blé et de soja, sans doute pour soutenir le secteur agraire, en lutte ouverte contre le gouvernement sur la question des exportations de soja, dont l’Argentine est le premier exportateur au monde.
Une rente de situation pour le puissant secteur agraire, prétend le Gouvernement, qui veut donc taxer ces ventes hors des frontières selon un barème indexé sur le cours mondial du soja.
Un investissement intelligent et le fruit d’un travail honnête, rétorque les producteurs qui tiennent la dragée haute au Ministre autour d'une table de négociation sans fin depuis la mi-juillet.
Or la gamelle de blé et de soja, les gamins ne veulent même pas y toucher. En voyant arriver ça dans leurs assiettes, ils ont tous émis des beurks qui ont fait le tour de la ville et refusé d’avaler la moindre bouchée de la mixture. Aller faire ouvrir la bouche à une marmaille de 5, 6, 7, 10 ans qui a décidé que "c’était pas bon" ! Résultat, les enfants ont le ventre vide... L’affaire fait d’autant plus scandale qu’à Buenos Aires, les cantines scolaires sont principalement fréquentées par les enfants de familles peu fortunées, pour lesquelles ce repas pris à l’école représente une aide considérable et l'assurance d’une nourriture qui couvre à peu près les besoins physiologiques du gamin et le soir, on fait des pâtes et des pommes de terre.
Dès que la famille en a les moyens, la plupart des repas se prennent à la maison, parents et enfants ensemble, même à midi...
Ainsi donc, au nom des parents d’élèves scandalisés, un élu de l’Assemblée législative de la Ville (on dit là-bas un legislador) a tout simplement porté plainte en justice contre le Ministère de l’éducation portègne pour obtenir que la viande soit réinscrite au menu des réfectoires scolaires. Et c’est parti pour une bataille d’experts entre nutritionnistes, pour ou contre l’intégration des fibres et des oligo-éléments contenus dans ce brouet spartiato-argentin dans la diète des enfants pour leur apporter tous les nutriments que réclame une saine croissance...
Dans un discours récent où elle cherchait à ridiculiser les protestations du secteur agraire, la Présidente Cristina de Kirchner avait eu un mot qui avait ému ses partisans et fait enrager les autres : elle avait proclamé que la production de soja était superflue au pays puisque "nous les Argentins, nous ne mangeons pas de soja". Eh bien, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd ! Même les gamins sont d’accord avec Cristina...
A la pizzeria Tio Felipe, le 29 août dernier, lorsque j’avais réuni pour le banquet final une bonne partie de mes amis, Alorsa avait eu la gentillesse de chanter pour moi une chanson de sa composition, La pesadilla (le cauchemar). Et il en avait adapté sa conclusion à l’actualité.
Au lieu de chanter comme il le fait toujours depuis 2002 :
soñé que en el país de la vaca, estaba muy caro el kilo de carne
je l’ai distinctement entendu dire :
soñe que en el país de la soja, estaba muy caro el kilo de carne
J’ai rêvé qu’au pays du boeuf/soja, le kilo de viande se vendait très cher
¡Que pesadilla, Mamá, no me dejes solo!...
Quel cauchemar Maman, ne me laisse pas tout seul...
(Traduction Denise Anne Clavilier)