A l’occasion des 40 ans de sa création, le 8 mai 1968, dans la capitale argentine, le Teatro Nacional Cervantes reprend María de Buenos Aires, dans la version créée en avril de cette année. La operita María de Buenos Aires est la première oeuvre commune d’Astor Piazzolla et Horacio Ferrer. Elle figure en première place dans le Teatro Completo, María de Buenos Aires y otras obras, de Horacio Ferrer, el Duende, publié l’année dernière par la Editorial del Soñador. Bien qu’il se soit essayé à l’écriture dramatique avant 1967, le Maestro Ferrer considère que cet opera-tango est sa première oeuvre théâtrale. L’écriture de María fit immédiatement suite à la publication du son premier recueil poétique (Romancero Canyengue, réédité il y a peu aux Editions Continental, 1999, BsAs). Depuis plusieurs années, Astor Piazzolla rêvait de faire sur et pour Buenos Aires la comédie musicale que West Side Story était déjà pour New York. Et Horacio Ferrer savait fort bien qu’il caressait ce projet. Les deux hommes se connaissaient depuis 20 ans ! Au fur et à mesure que leur amitié avait grandi, notamment à partir de 1955, quand Horacio Ferrer organisa un concert de Piazzolla à Montevideo, dans les locaux de l’association qu’il présidait alors (déjà !), el Club de la Guardia Nueva, Piazzolla avait eu maintes fois l’occasion d’en parler avec et devant lui. Qui plus est, Ferrer tentait de convaincre Piazzolla de composer des tangos cantables. Jusqu’en 1967, à part une douzaine de morceaux avec des textes de Jorge Luis Borges - excusez du peu ! et créés -excusez du peu ! (bis), par Edmundo Rivero, le compositeur livrait presque exclusivement des pièces instrumentales.
Toujours est-il qu’emballé par la découverte du talent de poète de son ami uruguayen, talent qui lui était resté inconnu jusque là, Piazzolla, que Pichuco avait surnommé El Gato (le chat ou le petit-chose), lui passa commande d’un livret pour cet opera-tango qu’il appelait de ses voeux. Et comme Horacio Ferrer en rêvait sans doute tout autant que lui, il se mit au travail sur le champs et quelques temps plus tard, Piazzolla débarqua pour venir découvrir chez Horacio Ferrer, à Montevideo, le résultat. Chez lui, il trouva son ami dans ses petits souliers, bigrement inquiet de savoir ce que lui allait penser du projet (c’est Piazzolla qui raconte l’anecdote). Au moment de la création, celui déclara à la presse qu’il considérait qu’Horacio Ferrer (qui était uruguayen et pas encore bi-national à cette époque) avait déjà sa place parmi les classiques de la littérature portègne ! C’est vous dire s’il avait aimé cet argument délirant et fastueux, historique et irrationnel, où Horacio Ferrer s’est composé un rôle qui lui va comme un gant et qu’il a visiblement un immense plaisir à jouer encore et toujours (il suffit d’écouter le son de sa voix et de voir son regard quand il en parle), le rôle terriblement romantique du Duende, l’esprit du tango, en redingote, canne et chapeau melon, amoureux fou et chaste de María durant sa vie misérable et au-delà de sa mort, lorsque son ombre, cet esprit éthéré, symbolise la ville et sa féminité tout en érotisme contenu et tendu. C’est ce rôle qui lui vaut son surnom, el Duende, dont Astor Piazzolla s’est bien amusé à l’affubler et dont lui s’amuse beaucoup.
Ce rôle parlé qu’il va reprendre en ce mois d’octobre au Cervantes, avec cette diction tirée au cordeau qui le caractérise, y compris quand il bavarde avec vous...
Partagent la scène avec lui la chanteuse Julia Zenko dans le rôle-titre et le chanteur, qui est aussi parolier et compositeur, Guillermo Fernández dans le rôle du Cantor, le rôle masculin chanté. L’orchestre est placé sous la direction de Marcelo Lombardero. Les chanteurs Laura González y Marcelo Tommasi (le chanteur titulaire de la Orquesta de Tango de la Ciudad de Buenos Aires) (1) assureront les remplacements en cas d’indisponibilité de Julia Zenko ou de Guillermo Fernández.
En avril, la place coûtait 20 $ et 15 en tarif réduit le jeudi. Le prix peut varier pour cette reprise (inflation de 25% l’an oblige).
Discographie :
il existe une version de María de Buenos Aires avec Julia Zenko (María), Jairo (el Cantor), Horacio Ferrer (El Duende) sous la direction de Gidon Kremer (Teldec Classic, 1999),
une version enregistrée en public, en septembre 2003, au Centro Cultural Borges, avec Patricia Barone, José Angel Trelles (qui fut le dernier chanteur de Piazzolla) et Juan Vitali (avec aux percussions le petit-fils d'Astor, le musicuen de rock Daniel "Pipi" Piazzolla) éditée par la Fondation Astor Piazzolla et les Editions Milan Music,
une version flamenca enregistré en mars à Grenade et sortie en août avec María Rey-Joly, Enrique Moratalla et Horacio Ferrer avec Versus Ensamble (Naxos 2008) dont je vous ai parlé en août dans Chroniques de Buenos Aires,
et, last but not least, la version originale jouée (et dirigée) par Astor Piazzolla au bandonéon, avec Amelita Baltar, Héctor de Rosas et Horacio Ferrer, une version multi-rééditée par Trova.
María de Buenos Aires a également tourné au printemps en Europe, notamment en Italie, avec Patricia Barone dans le rôle-titre.
(1) A noter, en marge de María de Buenos Aires, que Marcelo Tomassi s’apprête à sortir pour le début de l’année 2009, un nouvel album qui s’intitulera Buenos Aires es tu fiesta et sera composé de morceaux écrits par le duo (la dupla, dit-on à Buenos Aires) Raúl Garello et Horacio Ferrer (donc des tangos,des valses et des milongas de première qualité et dont il existe -pour l’heure- que de rares enregistrements).