"Tant que nous n’aurons pas trouvé chacun de nos petits-enfants, nous n’arrêterons pas notre combat parce que je veux que cette joie [celle d’avoir retrouvé le fils de sa fille et de son gendre après 30 ans de recherche] nous la partagions toutes, parce que leur donner leur identité c’est la seule manière pour qu’ils puissent avancer d’un pas ferme. Il est bon qu’ils sachent qu’ils n’ont pas été abandonnés mais qu’ils ont été recherchés". C’est ce qu’a déclaré le 10 septembre à la presse Madame Jorgelina Pereyra, correspondante à La Plata de l’association des Grands-Mères (Abuelas de Plaza de Mayo) lorsque l’association a annoncé en conférence de presse l’identification de son petit-fils Federico Cagnola Pereyra, 31 ans, enlevé à sa mère détenue par les militaires et confié à une famille d’accueil proche de la Dictature Militaire. Madame Pereyra était accompagnée par la grand-mère paternelle de Federico, Madame Hilda de Cagnola. Elles avaient toutes les deux ensemble porter plainte pour la disparition de leur fils et fille enceinte en juillet 1981, dans une Argentine encore sous régime dictatorial.
[Federico] "a voulu nous connaître et il a pu voir des photos de ses parents. C’est une grande fierté qu’il ait voulu nous rencontrer. Il a été élevé avec beaucoup d’amour dans une bonne famille et il a été jusqu’au bout de ses études de psychologie. Physiquement, il ne ressemble pas à mon fils mais à Liliana [sa belle-fille] mais ses manières sont celles de mon fils", a ajouté Hilda de Cagnola.
La conférence de presse avait été convoquée par la Présidente de l’Association Abuelas de Plaza de Mayo, Madame Estela de Carlotto, qui présidait l’événement auquel assistaient, au nom du Gouvernement, le n°2 du Ministère des Affaires Etrangères et le Secrétaire aux Droits de l’Homme (Ministère de la Justice).
Avec ces deux nouvelles identifications, les Grands-mères ont retrouvé 7 petits-enfants au cours de l’année 2008 et 95 personnes en tout depuis le début de leur combat.
Le jeune homme est le fils de Liliana Carmen Pereyra (née le 1er septembre 1956, à La Plata) et de Eduardo Alberto Cagnola (né le 12 décembre 1954 à Chacabuco, dans la Province de Buenos Aires). Ils s’étaient rencontrés sur les bancs de la fac de Droit de La Plata et militaient ensemble dans la Jeunesse Universitaire Péroniste. Ils s’affilièrent ensuite au mouvement Montonero (la gauche révolutionnaire péroniste). En 1977, ils s’installèrent à Mar del Plata, le grand port atlantique au sud de Buenos Aires (cf. les liens à droite). Ils travaillaient tous deux dans une poissonnerie industrielle, elle sur la chaîne de production, lui dans les chambres froides. Ils habitaient un foyer de travailleurs. C’est là qu’ils furent tous les deux arrêtés le 5 octobre 1977. Liliana était alors enceinte de 5 mois. On sait qu’ils furent transférés à la Base Navale de Mar del Plata et que l’enfant est né en février 1978 dans les locaux de la ESMA (Escuela de Mecánica de la Armada - Ecole de Mécanique de la Marine), alors un lieu de détention et de torture, aujourd’hui un lieu de mémoire et un musée de la répression des années noires 1976-1983.
On sait aussi, grâce au témoignage de survivants, que c’est Liliana qui a donné ce prénom de Federico à son fils t qu’elle l’a gardé avec elle pendant une dizaine de jours avant qu’il lui soit enlevé.
A la suite de la dénonciation d’un couple soupçonné d’avoir élevé un enfant de disparus, la justice argentine a pu ordonner il y a quelques temps des analyses génétiques et le jeune homme a reçu mardi 9 septembre la notification judiciaire de son identité. Le lendemain, il a lui-même appelé l’une de ses grands-mères au téléphone, au moment où celle-ci était encore occupée à répondre aux multiples sollicitations des journalistes, qui s’attardent toujours dans l’après-conférence.
La jeune femme s’appelle, elle, Laura De Sanctis Ovando. Elle est la fille de Myriam Ovando (née le 17 janvier 1956 à Rosario) et Raúl René De Sanctis (né le 29 juillet 1954 à Concepción del Uruguay, dans la Province d’Entre-Rios au nord de Buenos Aires). C’étaient des militants montoneros. Ils s’étaient connus au cours d’une retraite spirituelle chez des Père Salésiens (les montoneros ont accueilli beaucoup de catholiques de gauche en Argentine). Elle a été arrêtée le 1er avril 1977 dans la banlieue nord de Buenos Aires et lui en mai de la même année, à la gare de Campana, une ville fondée sur le fleuve Paraná, au nord de la Province de Buenos Aires. Myriam était alors enceinte de 6 mois. Elle a pu faire savoir à sa famille, par courrier, qu’elle avait mis au monde une petite fille en juillet 1977, une petite fille qu’elle avait appelée Laura Catalina, et qui vient de retrouver ce nom et ces prénoms à l’âge de 30 ans. Son identité a été prouvée à l’aide d’examens génétiques et un juge fédéral lui a révélé lundi dernier, le 8 septembre, sa véritable histoire.
Aujourd’hui, 11 septembre, commence à Mar del Plata, le cycle 2008 de Teatro x la identidad, une manifestation théâtrale organisée par Abuelas de Plaza de Mayo dans divers lieux de la cité balnéaire (où vécurent, travaillèrent puis furent détenus et torturés les parents de Federico) : Teatro Auditorium, Teatro Colón et Faculté de Droit. La manifestation s’achèvera le samedi 27 septembre par un concert. Toutes les soirées commencent à 21h et l’entrée est fixée à 3$.
Abuelas de Plaza de Mayo organisent également des concours artistiques autour des thèmes liés à leur combat. C’est ainsi que Marcela Bublik a reçu en 2004 le premier prix de letra de tango sur le thème de l’identité (Certamen de Letras de Tango por la Identidad) avec un tango très sobre et très poingnant dont je vous traduits ci-après quelques vers :
Après avoir partagé quelques mots sur ces sujets de douleur avec Marcela à Buenos Aires, il y a tout juste 15 jours, je la prie de trouver dans cet humble effort de traduction l’expression de ma solidarité affectueuse...
Soy(letra de Marcela Bublik. A todos los nietos)
Soy el mate, soy la brisa, soy el sol de la mañana.
Busco el árbol, busco el río et el motivo de esta sed.
Por mi pecho rueda un sueño y un murmullo sin palabras
Que me acuna desde lejos, sin espejos de papel.
[...]
Me falta un patio, una risa y una canción y un verano
Y una muñeca de trapo y un libro que no leí
Y una abuela que cocina sopa de estrellas y vino
Mientras perfuma la mesa con naranjas y jazmín...
Je suis
(A tous les petits-enfants)
Je suis le mate, je suis la brise, je suis le soleil du matin
Je cherche l’arbre, je cherche le fleuve et le pourquoi de cette soif.
Dans ma poitrine, roule un rêve et un murmure sans parole
Qui me berce de très loin sans miroir de papier.
[...]
Il me manque un patio, un rire et une chanson et un été
Et une poupée de chiffon et un livre que je n’ai pas lu
Et une grand-mère qui prépare une soupe d’étoiles et de vin
Tandis que la table fleure bon les oranges et le jasmin.
(Traduction Denise Anne Clavilier)