mercredi 19 novembre 2008

Blowin’in the wind en portègne dans le texte [actu]

"Blowin’ in the wind" : citation de Bob Dylan que le poète-compositeur Alejandro Szwarcman cite en introduction du texte que je vous présente ici : The answer, my friend, is blowing in the wind (la réponse, mon ami, elle souffle dans le vent). C’est l’idée sur laquelle Alejandro est parti pour nous donner sa vision de la crise financière actuelle, avec son style caustique et son humour politique terriblement portègne, c’est-à-dire aussi désabusé et aiguisé que l’humour juif qui fait partie des ingrédients de ce mélange savoureux.

Lundi dernier, Alejandro a été reçu Académico Titular à la Academia Nacional del Tango, ce qui est une reconnaissance bien méritée. Alors comme il a eu la gentillesse de m’envoyer ce texte quand il l’a écrit il y a un mois, alors que Wall Street coulait à pic. Je vous le traduis ce soir, paragraphe par paragraphe, avec l’original justifié à gauche et la traduction justifiée à droite, comme d’habitude...
Dans ce texte, Alejandro Szwarcman dit en prose ce qu’il lui est déjà arrivé de développer en vers dans quelques uns de ses tangos très musclés...

Lo que sopla en el viento
Alejandro Szwarcman
Buenos Aires, 12 de octubre 2008

El fantasma no murió.
Obvio, los fantasmas no mueren, sino no serían fantasmas. Viven eternamente y hasta colean…, como los barriletes.
Bueno la cosa, según parece, es que un fantasma empecinado, no un barrilete, nuevamente recorre el mundo. No es fácil verlo a simple vista, pero este espectro descarriado, según cuentan quienes lo han visto, se regodea agitando los ámbitos donde la timba del capital financiero internacional hasta no hace mucho jugaba al Rasti con los ladrillos del muro de Berlín, mientras simultáneamente se hacía baños de asiento con la plusvalía de millones de obreros.

Ce qui souffle dans le vent
Alejandro Szwarcman
Buenos Aires, le 12 octobre 2008

Le fantôme n’est pas mort.
Forcément, les fantômes ne meurent pas, sinon ce ne serait pas des fantômes. Ils vivent éternellement et même ils frétillent... comme les cerfs-volants.
Bon, au fait ! A ce qu’il paraît, un fantôme obstiné (pas un cerf-volant) s’est remis à courir le monde. Le voir au premier regard n’est pas facile mais ce spectre sans vergogne, d’après ce que racontent ceux qui l’ont vu, est comme un poisson dans l’eau lorsqu’il secoue les milieux où le tripot (1) du capital financier international jouait jusqu’à il n’y a pas longtemps au Rasti (2) avec les briques du mur de Berlin, tandis que simultanément il se faisait des bains de siège avec la plus-value de millions d’ouvriers.

Basta con echar una mirada a un puesto de diarios, o poner un ojo en la carátula del servidor, para ver aparecer como en un caleidoscopio, un innumerable catálogo de muecas y contracciones faciales, todas ellas casi coincidentes por su consternación.
Las bocas dibujan por lo general una letra "O".
La "O" es una vocal peligrosa. Ya lo dice el refrán: en boca cerrada no entran moscas. Será porque por el aro bien abierto de una "O" además de una mosca puede entrar el asombro, el terror y peor aún, también puede entrar la muerte.

Il suffit de jeter un coup d’oeil au kiosque à journaux ou de poser les yeux sur la page d’accueil du serveur (3) pour voir apparaître, comme dans un caléidoscope, un catalogue de grimaces et de contractions faciales sans nombre, ayant toutes un point commun : la consternation.
En général, les bouches dessinent la lettre O.
Le O est une voyelle dangereuse. L’adage ne dit-il pas : Ferme la bouche si tu ne veux pas que les mouches rentrent (4). C’est qu’à travers le cerceau bien ouvert d’un O, en plus de la mouche, peut entrer la stupeur, la terreur et, pire encore, la mort elle aussi.

Desencajadas, absortas, las caras de miles de operadores bursátiles, a lo ancho y a lo largo del planeta parecen augurar los abismos del Apocalípsis bíblico. ¡Vaya premonición!.
Me pregunto si esos espasmos se parecen en algo al gesto de terror de una niña iraquí cuando, a la hora en que la mayoría de los niños sueñan con delfines de cristal o con tigres verdes , ella se despierta aterrada mirando al soldado de carne y hueso que irrumpe en su casa tirando la puerta abajo.
Difícil. No creo.

Exorbités, hagards, les visages de milliers d’opérateurs boursiers, sur toute la surface de la planète, ont l’air d’augurer des abîmes de l’Apocalypse biblique. En voilà, une prémonition !
Je me demande si ces spasmes ressemblent de près ou de loin au geste de terreur d’une enfant irakienne qui, à l’heure où la majorité des enfants rêvent de dauphins brillants comme du cristal ou de bébés tigres, se réveille terrorisée à la vue du soldat en chair et en os qui fait irruption dans sa maison en jetant la porte par terre.
Difficile. Je ne crois pas.

Dicen que los perros terminan por asemejarse definitivamente a su amo y estos caballeros se parecen bastante al dinero. (Poderoso Caballero, Don Dinero).
Hoy es la niña iraquí, ayer fueron los niños de Vietnam o Corea. La cuestión (y ya lo dijo alguien) es que el sistema que hoy rige al mundo nació vomitando sangre.
No voy a negar mi perversa e íntima sensación. Quien más quien menos la debe tener en este momento. Es hermoso para el ahorcado ver como tiembla el verdugo.
Sin embargo, muchos se preguntan cómo sigue esa historia.

On dit que les chiens finissent par ressembler à leur maître, or ces beaux messieurs ne sont pas loin d’être le portrait craché de l’Argent (très puissant et fort galant Monsieur l’Argent).
Aujourd’hui c’est l’enfant irakienne. Hier c’était les enfants du Vietnam ou de Corée. Le problème, comme l’a déjà dit quelqu’un, c’est que le système qui aujourd’hui gouverne le monde vomissait du sang dès sa naissance.
Je ne vais pas nier mon pervers sentiment intérieur. Que tout le monde doit avoir, les uns plus, les autres moins, en ce moment : pour le pendu, c’est un beau spectacle que voir branler la potence (5).
Cependant beaucoup se demandent ce que cette histoire nous réserve.

Están los ingenuos o los malintencionados (para el caso es lo mismo, dicen que un tonto arroja una piedra a un pozo y cien sabios no saben cómo sacarla), que le ponen título a esta epidemia: "Nuevo orden mundial", "Recesión", "Panorama sombrío en los mercados", bla, bla, bla... La verdad de la milanesa viejo, es que el mundo capitalista se cae a pedazos y no hay nadie que le dé el empujoncito final.
No me pongan la etiqueta por favor. No se qué viene después, si el socialismo, la anarquía, o el amor libre (¡ojalá!). No se.

Ce sont les naïfs ou les malfaisants (en l’occurrence, ça revient au même : on dit qu’un imbécile envoie une pierre dans un puits et que 100 sages ne savent pas comment l’en retirer) qui donnent un titre à cette épidémie : Nouvel ordre mondial, Récession, Sombre panorama pour les marchés bla bla bla bla bla... Mais le secret du soufflé (6), mon vieux, c’est que le monde capitaliste tombe en ruine et qu’il n’y a personne pour lui donner la suprême pichenette (7).
Et ne me sortez pas d’étiquette par pitié. Je ne sais pas ce qui vient derrière, si c’est le socialisme, l’anarchie ou l’amour libre (ce serait bien, ça !). Je n’en sais rien.

La cuestión es que esto se cae a pedazos y sus exégetas no lo quieren reconocer. Hace poco, (una década en términos históricos es nada) (8), nos daban un beso en la mejilla, como el maffioso que saluda a la viuda del punto que ellos mismos amasijaron: "Lo lamento, las ideologías han muerto". "Los acompaño en el sentimiento". Ja, ja...De acáaaaaaa...
Capital-Sangre-Explotación.
¿Cuánto tiempo más va a pasar para que se digan las cosas por su nombre?
¿Cuándo al fin veremos el definitivo derrumbe del verdugo?
La respuesta amigo mío, está soplando en el viento...
Malaventurado aquel que no la quiera oír.

Le problème, c’est que ce machin tombe en ruine et que ses exégètes ne veulent pas le reconnaître. Il y a peu (une décennie, c’est rien en termes historiques), ils nous embrassaient sur les joues (9) comme le maffieux qui salue la veuve du pauvre type qu’ils ont eux-mêmes passé à tabac (10). "Quel dommage ! Les idéologies sont mortes", "Je suis de tout coeur avec vous". Na na na na na.... Va te faire f... ! (11)Capital - Sang - Exploitation.
Combien de temps va encore passer avant qu’on appelle les choses par leur nom ?
Quand va-t-on enfin voir la potence s’écrouler une bonne fois pour toutes ?
La réponse, mon ami, elle souffle dans le vent...
Malheureux celui-là qui ne voudrait pas l’entendre.

(Traduction Denise Anne Clavilier)

(1) la timba (lunfardo) : c’est 1. le jeu (tapis vert), 2. le lieu où il se pratique (tripot, clandé). Les jeux d’argent ont été interdits (mais très largement tolérés) en Argentine jusqu’aux débuts des années 1970. Loteries et paris hippiques ont alors été autorisés et encadrés (donc taxés) par l’Etat. Comme les Argentins ont une vraie passion pour le jeu, ils n’ont pas attendu d’avoir le droit (de jouer) pour prendre le gauche ("prendre le gauche" : hacer algo sin tener la autorización de hacerlo), la "timba" en lunfardo, c’est le jeu, nécessairement clandestin au moment où le mot surgit, donc parfois assez glauque (comme dans le tango Tengo miedo, écrit par Celedonio Esteban Flores par exemple). Quand les jeux ont été légalisés en 1970, les gens se sont rués dessus au point que Luis Alposta, dans un de ses poèmes, Soneto con bronca (sonnet enragé), parle d’un peuple abruti par les jeux (et il utilise les noms même sous lesquels ces jeux licites sont publiquement connus, comme prode, l’apocope de pronostics sportifs...)
(2) Rasti est une marque déposée argentine, celle de la fabrique d’un jeu de construction à base de pièces en plastique de couleurs (type Lego).
(3) textuellement : "dans une bouche fermée, les mouches n’entrent pas".
(4) serveur internet, qui vous envoie, là-bas aussi, dès que vous ouvrez internet des news, que vous n’avez pas demandées mais qui, paraît-il, vous intéressent tout de même. Alejandro est un poète branché !
(5) verdugo a deux sens : 1. potence, gibet (au sens premier, maîtresse branche d’un arbre) 2. bourreau. La logique veut que je traduise avec le premier sens l’image utilisée pour la première occurrence. J’ai donc conservé le même mot pour la seconde occurrence mais libre à zigouiller le bourreau au lieu de ficher en l’air le gibet.
(6) textuellement : "la vérité de la milanesa, c’est que..." La milanesa est plat argentin où une appétissante panure cache complètement la tranche de jambon, de fromage, d’aubergine ou de potiron, le filet de poisson ou de poulet cuit dedans. Les Argentins sont fous de milanesa. Ils la mangent même en sandwich quand ils déjeunent sur le pouce... En deçà la panure à l’opulence prometteuse, le contenu peut être très décevant et fort peu nourrissant en quantité comme en qualité.
(7) el empujón : poussée volontaire et pas spécialement modérée exercée avec la main (pas avec le pied). Appartient à une expression toute faite, el empujón del diablo, qu’on pourrait traduire (mais traduttore, tradittore !) par "la pichenette du diable". C’est le coup que le diable donne pour jeter à terre ce qu’il veut jeter à terre. Je n’ai pas voulu traduire par "coup final" qui fait penser à coup de grâce et ce n’est vraiment pas la nuance sur laquelle Alejandro joue ici.
(8) Neuf jours après l’écriture de ce texte, le 21 octobre, le gouvernement argentin annonçait qu’il mettait fin au régime de retraite par capitalisation comme système de prévoyance vieillesse de base, les fameuses AFPJ fondées en 1994, il y a 14 ans, à grand renfort d’argumentations séductrices et de slogans tonitruants, sous la double pression du FMI et d’une puissante mode ultra-libérale (cf. l’article du 22 octobre).
(9) Textuellement : sur la joue (au singulier). En Argentine, on ne s’embrasse qu’une seule fois, donc sur une seule joue... alors qu’en France (championne du monde toutes catégories en la matière) on échange jusqu’à 4 baisers, deux de chaque côté, surtout lorsqu’il s’agit de présenter ses condoléances à la famille d’un défunt avec les membres de laquelle on est intime. Si l’on n’est pas intime, on se contente de serrer la main. Depuis quelques années, les Portègnes ont pris l’habitude de s’embrasser pour se saluer, quelque soit le degré d’intimité déjà existant. Des inconnus qui se rencontrent pour la première fois s’embrassent, hommes et femmes indistinctement. La poignée de main est réservée à un contexte officiel et protocolaire.
(10) Le changement de nombre, sujet singulier passant au pluriel, existe dans le texte original.
(11) de acá : dans le cas présent (la multiplication des a finaux ne laisse pas le moindre doute à ce sujet), l’expression s’accompagne d’ordinaire d’un bras d’honneur.... Textuellement : "d’ici".