mercredi 5 novembre 2008

Des incunables du Maestro Horacio Salgán réédités par RCA [disques & livres]

A fuego lento, un hommage du peintre Chilo Tulissi au Maestro Horacio Salgán extrait du site du peintre


D’historiques enregistrements réalisés au début des années 50 dont cela faisait des années qu’on ne pouvait plus les trouver dans le commerce de première main. Le Maestro les avait gravés avec son second orchestre, fondé en 1950, celui où brilla un chanteur promis à une carrière mythique, Roberto Goyeneche, dit el Polaco.
Horacio Salgán, né en juin 1916, a modestement (mais fort classiquement) commencé sa carrière à l’adolescence, en jouant dans des cinémas dès 1930, alors que l’arrivée du parlant (en 1928) commençaient à chasser les musiciens des salles de projection. Il a effectué son premier enregistrement en 1942 et fondé un premier orchestre, éphémère, en 1944. Il a dû le dissoudre en 1947 après que Radio Belgrano (1) avait rompu leur contrat : leur style, qui ne convenait pas à la danse, ne plaisait pas aux auditeurs dont il bousculait les habitudes auditives et les repères rythmiques. Horacio Salgán, son orchestre et son chanteur de l’époque, Edmundo Rivero, passaient alors pour jouer et chanter mal... La même mésaventure est souvent arrivée aux orchestres de style no bailable et ce fut aussi le grand motif de désaccord entre le gros du public et le jeune Piazzolla dans ces mêmes années 40 (2). Après une période de trois ans passée essentiellement à composer, Horacio Salgán a monté un orchestre et il a pu alors davantage imposer son style. Dans une troisième phase de sa carrière, il a aussi formé un duo très durable avec le guitariste Ubaldo de Lio avec lequel il donna des concerts mémorables, à Paris, aux défunts Trottoirs de Buenos Aires (il en existe des enregistrements toujours disponibles) et avec lequel il fonda en 1960 le Quinteto Real avec Pedro Laurenz au bandonéon...

Horacio Salgán est un immense pianiste. C’es aussi un compositeur. Très apprécié par les mélomanes connaisseur du tango partout sur cette planète, il reste très peu connu des danseurs européens (et pour cause !). Le compositeur de A fuego lento a arrêté de jouer en public il n’y a que quelques années parce que son oreille lui jouait des mauvais tours mais il est demeuré très actif. Comme sociétaire de la Sadaic, il participe aujourd’hui encore aux travaux de certaines de ses commissions, entre "professionnels de la profession". Il est aujourd’hui un maître reconnu par toutes les générations de musiciens de tango...

Les deux disques RCA, intitulés tout simplement Horacio Salgán, rassemblent les prises discographiques réalisées entre 1950 et 1953.
A noter que nous n’avons aucun témoignage discographique du travail développé par le Maestro à la tête de son premier orchestre entre 1944 et 1947, avec Edmundo Rivero comme chanteur... Quel dommage !

La présente réédition concerne donc des morceaux enregistrés sous différents labels, aujourd’hui disparu ou absorbés par d’autres maisons. Elle est accompagnée par un commentaire de Federico Monjeau qui éclaire les caractéristiques salganiennes d’interprétation instrumentale et orchestrale, de direction d’orchestre, d’orchestration proprement dite et d’arrangement.

Le 1er volume, sous couverture saumonée, rassemble des prises de 1950 à 1951 dont des versions instrumentales très appréciées des connaisseurs : Recuerdo d’Osvaldo Pugliese, Mala Junta de Julio De Caro, Gallo Ciego de Agustín Bardi et A Don Agustín Bardi, l’hommage d’Horacio Salgán compositeur au grand pianiste de la Guardia Vieja qui l’a tant marqué comme il a marqué Pugliese. Ce dernier a aussi enregistré une fabuleuse version de A Don Agustín Bardi. Le CD contient aussi des cantables comme Motivo de Vals (Horacio Salgán - Carlos Bahr) et Vieja Recova (Chères vieilles arcades, Rodolfo Sciammarello - Enrique Cadícamo), une valse et un tango chantés par Angel Díaz.

Le 2nd (jacquette grise) présente des prises de 1952 à 1953, dont N.P. dit aussi No Placé (tango turfique sur un canasson tocard moqué et aimé par son propriétaire, dont le titre n’a guère besoin de traduction... de Juan Riverol et Barquina) chanté par Angel Díaz et quatre autres morceaux par Roberto Goyeneche dans toute la splendeur technique de sa voix des années 50 (Un Momento, Siga el corso, Alma de loca, Yo soy el mismo). Côté instrumentaux : La Llamo silbando (Je l’appelle en sifflant, Horacio Salgán), Los Mareados (Le tournis, Juan Carlos Cobián, autre grand compositeur et pianiste), Boedo (Julio De Caro), Sentimental y canyengue (Federico Leopoldo) entre autres...

Ces deux disques sont disponibles chez Zivals, sur la boutique en ligne duquel ils figurent en bonne place puisque ce sont des "nouveautés"...




(1) Dans les années 30 et 40 et jusque dans les années 50, les radios étaient avec les cabarets les grands pourvoyeurs de travail pour tous les musiciens de tango. Chaque orchestre de valeur, m’a raconté le chanteur et grand témoin Alberto Podestá, était attaché à un cabaret, à une radio et à une maison de disques pour au moins une saison et parfois avec des contrats léonins courant sur plusieurs années. Aussi les trois employeurs pesaient-ils de tout leur poids sur la vie économique et, par voie de conséquence, sur la politique artistique de la formation. Les tirages entre "patrons" et artistes étaient fréquents, les conflits et les ruptures n’étaient pas rares. Pour des artistes comme Salgán et Piazzolla qui s’intéressaient à un tango pour mélomanes, qui cherchaient leur musique dans des développements impraticables pour des danseurs, la vie était donc très dure. On a peine à l’imaginer mais ils se faisaient rejeter de partout et n’étaient pas toujours compris par leurs confrères... Rares étaient les amateurs de musique capables comme Horacio Ferrer (d’une quinzaine d’années en 1948 quand il rencontre Piazzolla à Buenos Aires) de détecter la valeur novatrice, la portée artistique de ces musiciens, au service desquels dès 1952 il va mettre El Club de la Guardia Nueva, son association montévidéenne de jeunes fous de tango. Horacio Ferrer a alors 20 ans et il appartient clairement à l’avant-garde comme le temps nous permet aujourd’hui de le constater.
(2) Astor Piazzolla était le cadet de Horacio Salgán de quelques années. Il était né en 1921.