Tango for export, ça pourrait être une expression à classer dans Jactance & Pinta. Cela se situe quelque part entre "tango pour ces gogos de touristes" (1) et "tango pour se faire un max de blé" (1). C’est le tango que produisent ceux qui ayant trouvé un filon bien rentable l’exploitent sans scrupule ou ces artistes qui, pour mettre un peu de beurre dans les épinards (1) ou pour mettre des sous de côté -si vous avez lu mes articles de la rubrique Economie, vous avez compris qu’en Argentine, mettre des sous de côté pour ses vieux jours, (1) ce n’est pas de la tarte !- (1), se résignent à courir le cacheton (1) en fermant les yeux et en se pinçant le nez. J’ai entendu un grand Maestro me parler avec amertume d’un tango prostitué... Le mot est fort et il vient de quelqu’un qui en a bavé pour faire la carrière irréprochable qu’il a faite et qu’il poursuit.
On est humain et, comme disait l’Empereur Vespasien, "l’argent n’a pas d’odeur".
Le Théâtre des Champs Elysées, magnifique théâtre en pur style Art Déco, situé au coeur des beaux quartiers de Paris, à quelques pas des boutiques de haute couture, va très probablement envahir le métro avec une grosse campagne de publicité pour son spectacle de danse de fin d’année. C’est une compagnie qui s’appelle Tango Pasión (le nom à lui tout seul est déjà tout un programme) et ce nouveau spectacle s’appelle El último tango (¡ojalá!). Ceci n’empêche pas que l’orchestre soit dirigé par un bon musicien, loin, très, très loin d’avoir démérité des mannes des grands qui reposent au cimetière de la Chacarita. Il dirigera un groupe de 7 musiciens (+ lui, ça fait 8) : deux bandonéons, une guitare, une contrebasse, deux pianistes (un des deux joue aussi du synthé), une batterie et un violon (le seul dont on n’ait pas encore le nom dans le programme, sans doute encore à recruter). Sur scène, 14 danseurs (7 hommes et 7 femmes, cela va sans dire) avec sans doute quelques doublures dans le lot et un certain degré d’alternance entre eux le week-end car chaque samedi et chaque dimanche, il y aura matinée à 17h et soirée à 20h. Une chanteuse et un chanteur complète la distribution.
Pour un prix allant de 15 à 58 € la place, réparti en 5 catégories (sauf pour la nuit de la Saint Sylvestre où le spectateur va casquer sec : de 18 à 85 €), vous allez en avoir plein la vue. Non pas des effets de manche bien sûr mais bien des effets de projecteurs, de jupes fendues jusqu’aux hanches, découvrant généralement de belles jambes gainées d’effets moirés ou de bas résille, et des effets de galurins (1) négligemment jetés par terre avant d’empoigner la danseuse dans une mâle assurance (c’est récurrent dans ce genre de spectacle). Suivra ensuite un festival de pirouettes, de tours, de ganchos, de saccadas, des ochos atras (2) pour aller en avant, des tours si rapides que vous aurez du mal à suivre conclus sur des arrêts d’un seul coup d’un seul, spectaculaire nez à nez ou face à face d’un danseur et d’une danseuse qui se toiseront avant de recroiser le fer, alors qu’ils feraient tellement mieux de savourer jusqu’à l’ultime seconde cette étreinte de trois minutes qu’est un tango.
Si le coeur vous en dit...
Et ne comptez pas voir grand-chose à 15 €, dans un théâtre à l’italienne, ce sont des places sans visibilité. En revanche, l’acoustique des Champs-Elysées, avec ou sans sono, étant excellente et le chef et arrangeur étant, je le répète, un musicien de qualité, il est probable que vous entendrez bien. Et avant de sortir votre carte bancaire et devous précipiter sur le site du théâtre pour réserver vos places, sachez que les Portègnes ne voient pas et, pour la grosse majorité d’entre eux, n’ont même jamais entendu parler de ce genre de spectacle. 1) C’est beaucoup trop cher pour eux. 2) Ça n’a pas grand-chose à voir avec la danse, la musique, la poésie, le langage qui les touche, qui les fait vibrer, pleurer, rire, s’embrasser, crier ¡Otra! ¡Otra! ¡Otra! et surtout, surtout, surtout, qui les fait applaudir avant la fin. Un Portègne qui attend la dernière note pour applaudir, ou il a mal aux mains ou il n’aime pas !!!!
(1) gogo (argot) : tonto, otario
un max de blé (argot) : todo el trigo que se puede cosechar. Mucha biyuya, mucha guita. Giro argótico oriundo del campo donde se hacía rico él que tenía una buena cosecha de trigo.
Mettre du beurre dans les épinards (popular) : poner manteca en las espinacas. Cobrar lo suficiente como para tener la vida un poco o mucho más cómoda.
Mettre des sous de côté (popular) : poner unos cobres por al lado. Ahorrar dinero.
El sou era una moneda de poco valor vigente antes de la Revolución Francesa y la adopción del sistema métrico en todo el país y el franc (dividido en 100 centimes) como divisa nacional
Pour ses vieux jours (colloquial) : para cuando uno será un viejito (una viejita). Giro popular que apareció con anterioridad a la creación del sistema de pensiones por reparto obligatorio y universal.
C’est pas de la tarte (popular, hasta argot) : no es una torta. No es simple, no es fácil. Es muy complicado, muy difícil.
Morder en la torta o cortarla es algo fácil que se hace sin esfuerzo.
Courir le cacheton (teatro) : prestar todo tipo de actuaciones, aunque malas, para cobrar. Cachet : paga del artista de teatro, músico, bailarin. Cacheton es la forma despectiva.
Galurin (argot) : sombrero (funyi)
(2) gancho, saccada, ocho : trois éléments du tango baile.
En tango, le concept de figure n’existe pas. Une figure, c’est un enchaînement fixe de mouvements liés les uns aux autres et formant un tout indivisible. Le rock, les valses anglaise, musette ou viennoise, la rumba, le fox-trot, le paso-doble, le tango standard (dit aussi international) sont construits à base de figures qu’il faut apprendre à exécuter par coeur et à guider (danseur), à reconnaître (danseuse).
Or, sauf quand il s’agit d’un spectacle de scène, nécessairement fixée au long des répétitions par un chorégraphe qui est aussi l’auteur du spectacle, le tango argentin se fonde sur l’interprétation musicale et l’improvisation de tous les mouvements et déplacements. Il existe une structure (pas avant, pas arrière, pas latéral, pivot) et un "code de la route" de la piste, à partir de quoi le danseur invente ce que va faire le couple en fonction de la musique et des obstacles qui existent sur la piste (autres couples, colonne, table...).
Un gancho (crochet) c’est guider un pas avant ou arrière de la danseuse ou (pour le danseur) faire un pas avant ou arrière et interrompre ce pas dans l’élan, de telle sorte que la jambe libre, celle sur laquelle ne repose pas le poids du corps, revient en accrochant, en enveloppant au passage l’une des jambes du partenaire.
Une sacada (de sacar : repousser, faire dégager), c’est un pas en avant (ou en arrière pour les très doués), le plus souvent effectué par le danseur, entre les jambes de la danseuse de sorte à chasser, à lui faire dégager sa jambe en arrière. (dégage de là que je m’y mette !)
Un ocho (huit), c’est un pas avant (adelante) ou arrière (atras) suivi d’un pivot : après avoir guidé la danseuse sur le côté ou être allé lui-même sur le côté, le danseur ramène la danseuse face à lui ou revient face à elle, ce qui dessine un huit sur le sol. Le ocho atras pour aller en avant ou le ocho adelante pour aller en arrière oblige celui qui fait le ocho à des torsions spectaculaires avec une forte dissociation torse - hanches. A ne pas tenter avant d’avoir acquis réellement une excellente technique. Beaucoup de danseurs amateurs européens souffrent de lombalgies tenaces pour avoir voulu imiter ce qu’ils voient faire sur scène alors qu’ils n’ont ni les capacités musculaires, ni la souplesse articulaire ni l’endurance physique de ces professionnels qui s’entraînent plusieurs heures par jour tous les jours...