A l’approche de l’été -ça ne rate jamais- les tropiques balancent sur la capitale argentine quelques degrés de trop... Depuis mardi, l’impression de chaleur étouffante (avec seulement une trentaine de degrés au thermomètre, c’est tout le paradoxe climatique de cette mégapole) glisse les pieds des Portègnes dans l’eau des fontaines disposées sur les places (quand vous voyez des grands panards faire trempette (1) à 50 m de la Casa Rosada, la solennité de la Résidence présidentielle en prend un coup) et met à rude épreuve le réseau électrique local, ultra-sollicité par les systèmes de climatisation de toute l’agglomération géante. Il faut dire que les architectes modernes ne tiennent aucun compte du climat et au lieu de conserver les bonnes vieilles normes traditionnelles des maisons particulières à murs épais qui savent conserver une peu de fraîcheur dans les intérieurs et dans le patio, sous la treille qui lui procure de l’ombre, ils conçoivent des édifices aux murs en papier à cigarette et c’est la clim qui se chargera de rendre le lieu habitable l’été... Hier mercredi, Buenos Aires a enregistré un pic historique de consommation d’électricité en période estivale, avec 18 170 M Watts (plus que le 20 février dernier, où la consommation était montée à 17 930 M Watts) et, comme d’habitude dans ce cas-là, il y a eut des ruptures d’alimentation un peu partout. Et paf ! l’ordinateur qui s’éteint ! Et hop ! toute la rangée des caisses qui s’arrêtent au Coto (2) de la esquina... Et je ne vous parle pas du musicien en train d’enregistrer son prochain disque dont il est déjà convenu que je vous parle après Noël. Encore faudrait-il qu’il arrive à sortir à temps, parce qu’enregistrer dans ces conditions, c’est pas du gâteau... (1)
A Buenos Aires et dans sa banlieue, le pic de consommation se situe entre 14h et 15h, à l’heure la plus chaude du jour, lorsque les gens sont au bureau et que les commerces et les restaurants mettent leur système à fond pour conserver le client. Dans l’ensemble du pays, la plus grosse consommation intervient plutôt la nuit, quand les gens, rentrés chez eux, cherchent une fraîcheur artificielle pour pouvoir dormir...
Les producteurs et les distributeurs d’électricité commencent à avoir le système de climatisation dans le collimateur (1). Le phénomène empire d’année en année car les fournisseurs d'énergie ne peuvent pas dimensionner leurs capacités pour des pics de consommation très ponctuels (quelques jours de montée de température comme en ce moment) et certains grands froids en hiver (à la fin juin ou au début juillet, le mercure peut indiquer 0° à Buenos Aires, mais ça ne dure pas plus de quelques jours et ça n’arrive pas tous les ans). Or avec un quart de la population concentrée à Buenos Aires et dans ses environs (el Gran Buenos Aires), la demande est très mal répartie sur le territoire, ce qui ne facilite pas la résolution des problèmes.
L’actuel Gouvernement commence à prendre par ci par là quelques mesures écologiques concrètes pour limiter la consommation d’énergie polluante et non renouvelable (les ampoules basse consommation seront obligatoires à partir de l’année prochaine et on ne pourra bientôt plus trouver autre chose dans le commerce) mais dans un pays où beaucoup de gens pauvres n’ont ni gaz ni électricité, limiter la consommation de ceux qui en disposent en imposant des règles de construction dans un pays qui n’a pas l’habitude d’en respecter beaucoup, pour le Gouvernement, c’est le cadet de ses soucis... (1)
(1) Panards (argot) : pies
Faire trempette (popular) : bañarse sin nadar ni moverse
C’est pas du gâteau (popular) : no es nada facil.
Avoir quelqu’un dans le collimateur (popular) : tener algo que reprochar a alguien, no poder más tolerar a alguien. No se dice para algo material o abstracto.
Le cadet des soucis de quelqu’un (coloquial) : no le importa a uno que...
(2) Coto : chaîne locale et très performante de supermarchés argentins. Cf. l’article du 10 septembre dans Barrio de Tango.