Du 27 novembre au 3 décembre, se tiendra à Buenos Aires, au cinéma Hoyts au Centre Commercial de l’Abasto (Shopping Abasto, en portègne dans le texte), un festival de cinéma juif avec des films argentins et des films en provenance d’autres pays, aux premiers rangs desquels Israël et la France. Ces deux pays sont d’ailleurs (avec la Pologne) parmi les partenaires les plus importants de la manifestation. Je suis toujours très émue lorsque je vois l’engagement dans ces manifestations de l’Ambassade de Pologne en Argentine, sachant le grand nombre d’Argentins qui descendent de réfugiés juifs débarqués à Buenos Aires pour fuir les pogroms polonais, à la fin du 19ème siècle ou au tout début du 20ème, avant la Première Guerre mondiale, et qu’une partie de la Pologne d’aujourd’hui, membre de l’Union Européenne, reste malade de certains relents de cet antisémitisme d’abord chrétien, puis pagano-nazi puis enfin athéo-communiste qui a ravagé ces terres pendant des siècles...
Ce sera la 6ème édition de ce festival, à l’annonce duquel Página/12 consacre un long article dans son édition d’aujourd’hui et dont vous pouvez prendre connaissance de toute la programmation à travers son site web.
Seront projetés 28 longs métrages d’au moins neuf pays, dont outre la France, la Pologne et Israël déjà cités, la Belgique, l’Espagne, la République Tchèque et la Grande-Bretagne (pour nommer les pays de l’Union). L’objectif est de présenter des films qui ne parviennent pas dans les circuits commerciaux en Argentine ni parfois en Europe non plus (dont un film d’Andrzej Wajda et un autre avec Kirk Douglas dans le rôle principal) et de le monter pour le grand public, bien au-delà de la seule communauté juive (très présente dans le quartier de l’Abasto). Au point que la programmation a soulevé une difficulté : pur la première fois cette année, l’AMIA, représentante de la Communauté juive argentine dans ses dimensions sociales et culturelles, ne soutient pas le festival parce qu’il y aura des projections pendant le shabbat.
Le Festival présentera 3 films argentins (c’est déjà pas mal).
El tercero en camino (le troisième est en chemin), un documentaire d’un journaliste argentin, Shlomo Slutzky qui vit en Israël et qui soutient la thèse selon laquelle les deux seuls attentats antisémites et anti-sionistes perpétrés à Buenos Aires, l’un contre l’Ambassade d’Israël le 17 mars 1992 (29 morts et 242 blessés), l’autre contre l’AMIA le 18 juillet 1994 (85 morts et des centaines de blessés), pourraient bien être suivis d’un troisième, car ni l’un ni l’autre n’a encore débouché sur une inculpation plausible, encore moins sur un procès. Le journaliste assimile cette incapacité de la justice argentine à découvrir et poursuivre les auteurs à une complicité politique avec eux, accusation grave et à laquelle l’actualité judiciaire récente semble hélas donner quelques fondements au moins en ce qui concerne les pouvoirs publics des années 1990 (1).
Moisés Ville, La fuerza de la integración (ça se comprend sans traduire) de Fabián Braña parle d’une ville de la province de Sante Fe fondée par des pionniers juifs (l’Argentine intérieure s’est elle aussi construite comme le Far-West, grâce à des pionniers), où aujourd’hui vivent en parfait voisinage un cocktail d’habitants de toutes origines et de toutes cultures, phénomène récurrent dans l’histoire de l’Argentine indépendante qui n’est pas tombée dans le piège de la communautarisation culturelle dans laquelle nous autres pays d’Europe occidentale sommes en train de nous noyer...
En 818 Tong Shan Road de Marlene Lievendag raconte la vie du père de la cinéaste, qui parvint à quitter en 1941 l’Allemagne où il avait vécu jusque là et se réfugia dans la communauté juive de Shanghai qui comptait alors environ 20 000 personnes, dont plusieurs venaient d’Europe. Ces derniers, lorsqu’ils choisirent l’Argentine pour y refaire leur vie à la fin du conflit, y parvinrent pour la plupart avec les immigrants japonais dès la capitulation du Japon. D’autres, immédiatement ou à partir de 1948, partirent s’installer en Israël.
Les artistes argentins sont souvent aux avant-postes de ces questions lancinantes et douloureuses dans la société argentine : la place des Noirs dans la culture et l’histoire du pays (ces bataillons de libertos, des esclaves affranchis parce qu’ils s’enrôlaient dans l’armée insurgée, qui ont tant fait lors de la Guerre d’indépendance et sur lesquels les livres et les cours d’histoire sont si souvent muets), celle des juifs arrivés pour la plupart pendant le grand flux migratoire de 1880-1930 (2), fuyant les persécutions qui se succédaient en Europe, de mal en pis, eux qui ont joué leur rôle dans l’édification de la culture populaire portègne et dans le développement du pays et ont pu trouver leur place dans un peuple argentin peu enclin à l’anti-sémitisme mais au milieu duquel (avec l’appui des gouvernements, notamment celui de Perón) ont pourtant trouvé refuge quelques bourreaux nazis, peut-être pas très nombreux mais le nombre ne fait rien à l’affaire : un seul, c’était déjà un de trop.... Alors le cinéma argentin lui aussi s’est emparé de ces questions, ce cinéma qui a tant de mal à exister parce que c’est un media artistique qui, au-delà du talent (qui ne manque certes pas en Argentine) exige beaucoup, beaucoup, beaucoup de sous...
(1) dans un article récent consacré à Carlos Menem, je vous disais que grâce à l’ouverture des archives présidentielles par le couple Kirchner, aujourd’hui au pouvoir et vivement attaqué par Carlos Menem dans les instances du parti justicialiste, l’ancien Président est soupçonné par le juge d’instruction en charge de l’enquête sur l’attentat contre l’AMIA d’avoir couvert dans les dix jours qui ont suivi les faits au moins les poseurs de bombes, sinon aussi les commanditaires (que les autorités argentines croient être aujourd’hui des organisations aux ordres de la Syrie et/ou de l’Iran).
(2) Les juifs étaient interdits de séjour dans tout l’Empire colonial comme en Espagne même, jusqu’aux indépendances successives des pays d’Amérique Latine. Ce qui en Argentine, ô paradoxe, renvoie accueil des juifs ET disparition des noirs à une seule et même réalisation politique : la fin du régime colonial et le départ des Espagnols, du Grand Inquisiteur, du Vice-roi et pata couffin...