C’est une véritable institution culturelle, gastronomique et sociale qui fête aujourd’hui son centenaire dans le coeur historique de Buenos Aires qu’est le quartier de Monserrat... El Globo est un restaurant fondé par des Espagnols (comme la plupart des commerces de bouche à Buenos Aires, épiceries, cafés, confiterías et restaurants). C’est un restaurant avec garçons en grande tenue, à la parisienne. Il est établi dans ce qui fut jusqu’à l’époque de la fièvre jaune (la peste del 1871 comme on dit encore là-bas) la résidence de la patricienne famille Sánchez de Bustamante.
En 1871, une épidémie de fièvre jaune fit fuir toutes les familles riches vers le nord de la ville, réputé plus sain et mieux ventilé que le sud. On croyait alors que la maladie était due à des miasmes (concept assez flou mais pratique avant que les découvertes de Pasteur deviennent connaissance commune). On ignorait encore qu’il s’agissait d’une infection transmise par la piqûre d’un moustique. La fièvre jaune fut une terrible catastrophe, emportant en 5 mois, 7,3% de la population portègne. Les ravages de cette épidémie sont en bonne partie responsables de la disparition progressive et rapide des noirs dans la Buenos Aires de la fin du 19ème siècle : ceux qui avaient trouvé la mort dans la longue série de guerres étrangères qui venait de s’achever avec la guerre du Paraguay et ceux qui périrent de la maladie pendant l’été 1871 ne furent pas remplacés par la vague d’immigration qui allait bientôt inonder la capitale et sa région. Tous ces inmigrantes venaient d’Europe et c’était des blancs.
A la esquina Hipólito Yrigoyen et Salta, ce restaurant reçut son nom d’un personnage mythique de l’Argentine, Jorge Newbery, aérostatier, aviateur, ingénieur, champion sportif accompli, qui y avait ses habitudes. Jorge Newbery, mort dans un accident d’avion alors qu’il tentait un nouvel exploit, possède au cimetière de la Chacarita un fastueux monument élevé à sa gloire par souscription populaire et son nom a été donné à l’aéroport domestique de la ville de Buenos Airse sur les bords du Río de la Plata. En suggérant en 1908 ce nom (el Globo, le ballon) pour cet établissement, Jorge Newbery voulait marquer le souvenir de sa propre traversée du Río de la Plata en ballon en 1907.
Tout proche du Congrès, El Globo a toujours été très fréquenté par les huiles de la République pendant la journée. Raúl Alfonsín en fit un peu son QG de campagne il y a 25 ans à la chute de la Dictature Militaire. El Globo a aussi beaucoup été et est toujours fréquenté par les artistes, les intellectuels et la bohême une fois la nuit tombée. Il est célèbre dans toute la ville pour sa carte de spécialités espagnoles, il serait la référence argentine en matière de puchero español, dont le puchero criollo (dont je vous ai déjà donné une recette pendant la Semaine du Goût) est une adaptation locale.