Ici même, dans Barrio de Tango, j’ai déjà eu l’occasion de vous parler du Festival International du Tango Queer (1) à propos de la Milonga homosexuelle La Marshall (fondée en 2003) qui organisait alors son propre championnat de danse, moitié sérieux, moitié pastiche, à la suite du Mundial, très officiel et très sérieux, celui-là, de la Ville de Buenos Aires (cf. article du septembre).
Toujours à l’initiative de La Marshall, qui attire aujourd’hui les touristes du monde entier par curiosité ou parce qu’eux-mêmes homosexuels, ils sont bien contents d’avoir leur point de chute dans la capitale argentine, ou, plus exactement, à l’initiative des organisateurs de cette milonga à part, va avoir lieu la semaine prochaine à Buenos Aires le deuxième Festival International du Tango Queer. Aussi avec un peu d’avance sur cet événement, le Teatro Premier, un des théâtres de la Avenida Corrientes (dans les cuadras 1400 à 1600, exactement à la hauteur du n° 1565), donne actuellement un spectacle chorégraphique dansé par 7 hommes, d’âge, de formation et de technique variés, un spectacle baptisé Tango pour l’Egalité, issu d’une recherche artistique et esthétique sur le thème de l’homosexualité conçue comme une des formes légitimes de la relation amoureuse.
Le spectacle a été chorégraphié par Carola Ojeda, une artiste qui a elle-même déjà travaillé avec des grands, comme le danseur Juan Carlos Copes et le pianiste et compositeur Osvaldo Requena, avec la complicité des danseurs qui ont leur part dans l’élaboration du spectacle au cours des répétitions qui furent, au dire de la chorégraphe, autant d’ateliers de recherche. Carola Ojeda s’est aussi déjà distinguée par son travail sur plusieurs spectacles de tango donnés dans les divers Cena-shows de la capitale.
Confiée à un orchestre exclusivement féminin, la partie musicale comporte des grands classiques du tango de scène tel qu’il se pratique à Buenos Aires : Quejas de Bandoneón de Juan de Dios Filiberto (rendu célèbre par Aníbal Troilo), Gallo ciego de Agustín Bardi (rendu célèbre par Osvaldo Pugliese et Horacio Salgán), A Evaristo Carriego de Eduardo Rovira (rendu célèbre surtout par Osvaldo Pugliese mais il en existe aussi un remarquable et tout aussi historique enregistrement par Horacio Salgán). Pour les besoins de ce show, ces dames ont également à leur répertoire des pièces peu connues d’Astor Piazzolla (sur la musique de Piazzolla, seuls des professionnels osent danser. Pour le commun des mortels, il s’avère impossible de s’y risquer). Deux chanteurs, fort peu connus, s’ajoutent à la distribution : Jorge De Brun (qui vient d’Uruguay) et Restivo, si inconnu que même le programme du théâtre hésite sur l’orthographe de son nom. Enfin le spectacle présente une interprétation théâtralisée de La última curda, un tango classique de Aníbal Troilo et Cátulo Castillo, sur un enregistrement de la chanteuse Susana Rinaldi.
Ce spectacle audacieux, qui joue sur les idées toutes faites et l’esthétique traditionnelle du tango et en même temps s’amuse à les bousculer, a été conçu à et pour l’étranger mais le succès remporté à encourager les artistes à venir le présenter pendant tout le mois de novembre en plein Buenos Aires. La première a eu lieu le 7 novembre. La dernière aura lieu ce samedi à 22h. Página/12 lui-même, un quotidien d’ordinaire très prompt à sauter sur tout ce qui dérange et gratouille dans la société portègne, n’en parle que dans son édition du 26 novembre, sous la plume de l’un de ses chroniqueurs culturels, Carlos Bevilacqua, que vous pouvez aussi écouter chaque semaine dans l’année, dans l’émission Fractura Expuesta, disponible en podcasts téléchargeables si vous ne pouvez pas l’écouter en direct le lundi de 22h30 à 24h (heure locale).
Tango por la igualdad tournera cet été (en décembre et janvier) dans l’intérieur de l’Argentine, où il est programmé dans les villes de Córdoba et de Rosario, puis en mars, il repartira vers Hambourg en Allemagne...
(1) Queer : "bizarre" en anglais. A New-York, c’est un adjectif qui désigne l’homosexualité.