mercredi 19 novembre 2008

Page sportive [jactance & pinta]

"Page sportive, comme annoncent toujours les journalistes de radio et de télévision, un peu trop souvent (à mon goût) à l’ouverture de leur flash d’info ou de leur journal... Comme si le football gouvernait le monde. Quoique ! comme disait Raymond Devos (1).

En effet, ce soir, la sélection d’Uruguay va jouer un match amical contre la sélection française, au Stade de France, dans la ville tout à la fois royale et populaire de Saint-Denis (no muy lejos de la cancha, se encuentra la Basílica Saint Denis, necrópolis gótica de los reyes de Francia) ce stade mythique où les Bleus furent un jour, il y a déjà 10 ans, champions du monde contre un voisin de ceux de ce soir, un voisin nordiste et lusitanophone. Cette rencontre amicale fait partie de la préparation des deux équipes aux épreuves éliminatoires de la Coupe du Monde.

Souhaitons la bienvenue aux joueurs et à la hinchada oriental (2). Espérons que le Stade de France saura les accueillir avec l’hospitalité qu’ils méritent, qu’on n’entendra aucun sifflet sur aucun des deux hymnes nationaux (odieuse habitude qui s’est répandue depuis peu, et espérons-le pour peu de temps, dans les stades de ce pays) et que tout le monde sera content de sa soirée (couvrez-vous bien, les sudistes : il fait froid à Paris !).

Si vous souhaitez en savoir plus (en castellano) sur les redoutables adversaires des Bleus (ils ont déjà 4 étoiles ! deux fois plus que l’Argentine, pour un pays nettement plus petit ! C’est même eux qui ont été les premiers champions du monde, en 1930, à domicile, contre... l’Argentine), allez visiter le site de l’AUF (Asociación Uruguaya de Fútbol) qui dispose bien sûr d’une page spéciale sur le match de ce soir (18h pour les Uruguayens, 21h pour les Français) et d’une page générale consacrée à l’équipe nationale.

Y si los uruguayos se interesan por los azules (sólo una estrellita), la dirección del sitio de la FFF (Fédération de Football Française) está acá.

Pendant ce temps-là, l’équipe argentine (los blancocelestes), pour la première fois sous la direction technique de Diego Maradona, nommé il y a trois petites semaines à la surprise générale, dispute un match amical avec l’Ecosse, à Glasgow (bon courage, les gars, parce que gla gla gla !) (3).
Les infos sur cette grande première sont bien sûr sur le site de la AFA (Asociación de Fútbol Argentina). Le match est à 21h pour les Français, les Belges et les Suisses, 18h pour les Argentins. Pour les Ecossais, ce sera à 20h. Une de moins que sur le continent. Alors bien sûr, si là-dessus, j’ajoute qu’à midi aujourd’hui même, à Glasgow, selon le site de la SFA (Scottish Football Association), il restait encore des places à vendre pour ce match historique, vous allez tous croire comme un seul homme que je prête foi à la réputation d’avarice des Ecossais. Eh bien, non ! c’est juste que les Ecossais ne causent pas le Diez dans le texte (4) et qu’ils ont peut-être une dent contre lui (5). Les deux Directeurs Techniques de ce soir, l’Ecossais et l’Argentin, se sont en effet déjà affrontés. Pas sur le banc de touche. Sur un terrain. A Mexico. C’était lors de la Coupe du monde de 1986, il y a 22 ans, pendant ce match dont les Argentins ne se lasseront jamais et où le plus célèbre volante au monde (volante : joueur rapide capable de couvrir tout le terrain et de tenir plusieurs postes de jeu, en défense, en attaque, sur les flancs, pendant un même match) avait traversé d’une traite tout le terrain en dribblant pour, au terme de cette course d’anthologie, marquer un but de la main (pas la sienne, celle de Dieu), qui vengea momentanément mais somptueusement l’Argentine de la victoire militaire (et politique) de la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher aux Malouines.

Sur ce, à Paris comme à Glasgow, selon la formule consacrée et avec une petite pensée pour l’ami Cucuza qui doit être devant un poste à l'heure qu'il est (je suis prête à le parier et il ne sera pas le seul ; je pense à Alorsa, à Alejandro Szwarcman, à Javier González, au Maestro Héctor Negro, aux enfants des uns et des autres...), que le meilleur gagne ! Et puisque je suis très, très, très, très chauvine (vous l’aviez deviné à la lecture des autres articles de ce blog), je ne traduis pas...

(1) Raymond Devos (1922-2006), poeta y artista cómico, malabarista del verbo (un jongleur du verbe), de nacionalidad belga. Se puede leer y saborear unos de sus textos en su sitio (haciendo clic en el enlace citations). "Quoique, quoique" ("no obstante", "al mismo tiempo" como concesión) es el estribillo de un sketch surrealista y absurdo, como a él le gustaron más, Mon chien, c’est quelqu’un (mi perro es una persona o mi perro es cabrero), donde poco a poco, a lo largo del texto y al cabo de varios desplazamientos semánticos y desvíos de giros populares, termina con intercambiar completamente los roles de amo y perro.
(2) La hinchada : le groupe de supporters (hincha). Vient d’un verbe, hinchar, qui se traduit "gonfler" et qui s’applique à la baudruche qu’on remplit d’air, à la brioche qui lève dans le four, au cours d’eau en crue... Sans doute parce que les supporters gonflent leurs poumons pour crier très fort.
Le dernier film d’Enrique Santos Discépolo, tourné en 1951, celle de sa mort, s’intitule El hincha et raconte les aventures d’un supporter si entiché de son équipe de foot qu’il en perd le sens commun. L’équipe, professionnelle, est celle de son club de quartier en pleine Bérésina (derrota terrible, por la derrota napoleónica en Rusia) financière et donc sportive et le brave garçon fait des pieds et des mains (hacer todo lo posible con mucho esfuerzo) pour sauver el equipo au besoin contre les joueurs eux-mêmes, désabusés par plusieurs mois sans salaire et passablement retirés des voitures (alejados de la cancha - en el caso). Le pauvre fou rend complètement chèvre tout son entourage. Enrique Santos Discépolo déploie une dernière fois devant la caméra, celle d’un honnête cinéaste sans génie particulier, ses dons de comédien quasi-burlesque, avec un jeu de jambes, de bras et de voix dévastateur. L’acteur, réalisateur, compositeur et poète est décédé d’une crise cardiaque le 23 décembre 1951, moins d’un an après la sortie de ce film, le 13 avril 1951. El Hincha est disponible en format VHS et DVD, ed. Cine del Mundo qui tient boutique sur Corrientes (mais casette et DVD sont difficiles à se procurer par correspondance, même sur Internet, je dois bien le reconnaître et c’est dommage). Sur le cinéma argentin, et en particulier ce film, renseignez-vous -en VO- sur le site de Cinenacional.
Oriental : des Uruguayens, on dit toujours qu’ils sont "orientales" quel que soit l’endroit du globe où ils se trouvent, tout simplement parce que leur pays (capitale : Montevideo) est situé à l’est du río Uruguay. Evidemment, dit comme ça chez nous, en Europe, ça fait un peu cancre en géo !
(3) gla gla gla : onomatopea francofona para el frio (imitación del castañeteado de dientes).
(4) El Diez, l’un des surnoms de Diego Maradona en Argentine. Je vous ai déjà souvent renvoyés à la page My Space de La Guardia Hereje pour écouter le très bel hommage que Alorsa et ses musiciens rendent à Diego dans cette chanson, Para verte gambetear (Pour te voir dribbler). Mais quand on aime, on ne compte pas, donc c’est reparti pour un clic... Mais je ne vous avais encore jamais parlé du poème que Horacio Ferrer (si, si, Horacio Ferrer himself et en personne) a dédié au héros du terrain... Or il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Con las manos se hace el arte
la pasión y la oración;
suerte que nos diste el fútbol
hecho con los pies, Señor.
[...]
En lunfardo diez es diego
y es de diez el que es mejor,
diez, sensualidad, maestría
maradónica explosión

(extrait de Horacio Ferrer, Versos del Duende, ed. Corregidor, BsAs, 2003, p 92)

C'est avec les mains que se fait l'art
la passion et la prière ;
Une chance que tu nous aies donné le football
fait avec les pieds, Seigneur.
[...]
En lunfardo, 10 se dit Diego
et celui qui est le meilleur il est en 10,
10, sensualité, maestria,
explosion maradonique.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Et Horacio Ferrer n’est pas le seul. Alejandro Szwarcman, Héctor Negro, entre autres, ont aussi leur tango ou leur poème sur el Diez. Vous pouvez lire à ce sujet l'anthologie d'Héctor Negro, El lenguaje y la poesía del fútbol, ed Corregidor, Buenos Aires 2005 et d'écouter Pompeya para Diego era París, d'Alejandro Szwarcman et Javier González, chanté par Patricia Barone, dans Gestación (CD autoproduit), Buenos Aires, 2004.

En outre, Maradona a aussi inspiré à trois honorables citoyens de Rosario la création d’une parodie d’église (cachant sous une couche d’humour très inventif une expression politique symbolique forte, anti-colonialiste et altermondialiste, dont il faut savoir décrypter le langage organisé selon un code typiquement rioplatense), la Iglesia de la Mano de Dios, de son nom officiel (qui parodie les noms de sectes protestantes nord-américaines), plus communément connue néanmoins comme Iglesia Maradoniana, avec tout un rituel complet pour l’initiation du fidèle (il faut marquer un but de la main dans une cage dépourvue de gardien pour être admis au baptême au sein de l’Eglise, dont tous les fidèles, hommes et femmes, porte en deuxième prénom celui de Diego), l’office liturgique avec autel et communion, le mariage (les deux époux prononcent leurs voeux au-dessus d’un ballon et marquent chacun un but dans la cage, toujours vide), des Tables de la Loi avec 10 commandements et pas un de moins (rien à voir avec celui de Moïse à part le chiffre), un grinçant détournement du Notre Père (désopilant et pas du tout blasphématoire, contrairement à ce qui se passerait chez nous), un calendrier de fêtes récurrentes, allant de la Nativité aux mystères glorieux... Sous ce lien, le site de ces hinchas auxquels Maradona lui-même, non sans l’humour arrabalero qui le caractérise, a accordé sa bénédiction politique.

Si un jour le film d'Emir Kusturica, Maradona, sort en format DVD, précipitez-vous dessus, surtout si vous n’avez pas pu le voir sur les écrans quand il est sorti, juste après le Festival de Cannes 2008. Vous comprendrez tout sur l’Eglise Maradonienne. A condition de bien vouloir comprendre ce qu’il y a à comprendre, ce qui n’a pas toujours été le cas des critiques de cinéma professionnels, de ce côté-ci de l’Atlantique.

Et enfin, pour en terminer avec ce chapitre qui semble si fort s’éloigner du match de Saint Denis de ce soir mais qui n’en est pas autant dissocié que cela, je vous propose de vous régaler avec le commentaire historique (dans le texte et avec traduction) que fit Victor Hugo Morales, commentateur sportif de haut vol, éditorialiste politique percutant, animateur d’émissions télé et radio vraiment culturelles et conteur hors pair, oriental de surcroît (maintenant que vous savez ce que veut dire cet adjectif là-bas), très présent depuis des décennies sur les ondes argentines, quand Maradona envoya l’Argentine en demi-finale du Mundial... Véritable poète dans son genre, comme vous allez pouvoir en juger, ce payador du foot dispose d’un site personnel à consulter ici (avant ou après la lecture de ce qui suit).

Ahí la tiene Maradona, lo marcan dos, pisa la pelota Maradona. Arranca por la derecha el genio del fútbol mundial. Puede tocar para Burruchaga... Siempre Maradona. ¡Genio, genio, genio! Ta, ta, ta, ta, ta ... ¡Gooooooool gooooooool! ¡Quiero llorar! ¡Dios santo, viva el fútbol, golaaaazo! ¡Diegoooool! ¡Maradona! Es para llorar, perdónenme, Maradona en recorrida memorable, en la jugada de todos los tiempos, barrilete cósmico, ¿de qué planeta viniste para dejar en el camino a tanto inglés, para que el país sea un puño apretado gritando por Argentina? Argentina 2 - Inglaterra 0. ¡Diegol, Diegol!, Diego Armando Maradona. Gracias, Dios. Por el fútbol, por Maradona, por estas lágrimas, por este Argentina 2 - Inglaterra 0.
Victor Hugo Morales, en la Ciudad de Mexico, el 22 de junio de 1986.

Ça y est, c’est Maradona qui l’a, deux joueurs l’entourent, Maradona a le ballon sous le pied. Le génie du football mondial s’arrache vers la droite. Il peut toucher la balle pour Burruchaga. Toujours Maradona. Un génie ! Un génie ! Un génie ! Ah la la la la laaaaaaaa ! Buuuuuuut ! Buuuuuuut ! J’ai envie de pleurer !!!! Seigneur Dieu ! Vive le football ! Un but d’enfer ! Diegooooooal ! Maradona !!!!! C’est à pleurer, pardonnez-moi, Maradona dans une chevauchée mémorable, dans le match des siècles des siècles, cerf-volant cosmique... De quelle planète es-tu venu pour si bien laisser en chemin l’Anglais, pour que le pays soit un poing serré et levé acclamant l’Argentine. Argentine, 2, Angleterre, 0. Diegoal, Diegoal ! Diego Armando Maradona. Merci mon Dieu. Pour le football, pour Maradona, pour ces larmes, pour ce match Argentine 2 - Angleterre 0.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Vous pouvez aussi l’écouter sur You Tube. 10 secondes éternelles. En contrepoint, vous avez aussi le commentaire du même moment de la même rencontre sur la BBC. Le poids des mots, le choc des cultures !
(5) avoir une dent contre quelqu’un : sentir rencor en contra de alguien (como un perro que tendría ganas de morder)