Alors que le 23 octobre encore, le Ministre des Transports, Ricardo Jaime, affichant très ouvertement sa bonne volonté, refusait toute idée d’expropriation et continuait de rechercher un accord, entre gens de bonne volonté, avec Marsans, l’actuel actionnaire majoritaire espagnol de la compagnie d’aviation Aerolineas Argentinas, voilà qu’il menace à présent d’en venir à cette extrêmité devant les arguments insupportables de Marsans, fort du soutien du gouvernement espagnol, et le manque continu de transparence dans les comptes sociaux de la compagnie.
Il est aidé dans sa démarche par les résultats d’Aerolineas qui, depuis la prise en main par l’Etat, a notablement freiné ses pertes. Le déficit opérationnel a baissé de 40%, passant de 60,80 millions de dollars américains en juin à 35,53 en octobre, la passation de pouvoir opérationnel ayant eu lieu le 21 juillet entre Marsans et Julio Azak, ancien maire de La Plata et Directeur Général nommé par l’Etat. Une des recettes qu’il a appliquées par Julio Azak a été de supprimer tous les contrats de leasing en vigueur pour des avions qui ne volaient pas. L’idée est peut-être bête, encore fallait-il l’avoir ! Il a aussi renégocié à la baisse le loyer de nombreux avions couramment utilisés sur les lignes en exploitation Le loyer mensuel des Boeing 737 et 500 est passé de 150 000 US$ à 115 000...
Aerolineas devrait donc terminer l’année avec une perte cumulée de 519 millions de dollars, soit 447 pour Aerolineas et 71 pour Austral, sa filiale à 100% qui assure le trafic intérieur de ce pays immense.
La semaine dernière, pour éviter toute manoeuvre ultérieure de dumping de la part des opérateurs privés desservant les lignes intérieures et qui ont une fâcheuse tendance à ne pas desservir les lignes qui leur sont assignées mais qui à leurs yeux ne sont pas assez rentables, Ricardo Jaime a menacé de confisquer aux différentes compagnies les licences d’exploitation des lignes qu’elles ne desservent pas. Il espère éviter ainsi que ces lignes peu rentables échouent toutes à Austral lorsque celle-ci sera pleinement nationalisée et qu’il faudra bien que l’Etat argentin assure la continuité du territoire national, et mettre bon ordre dans le marché des concessions de lignes intérieures afin de rétablir l’équilibre entre toutes les destinations, d’autant que, pour soutenir tous les acteurs sur ce marché, très affectés par l’augmentation du prix du pétrole, c’est déjà l’Etat qui prend en charge le carburant nécessaire à tous les vols domestiques (or le carburant c’est aujourd’hui 50% du coût d’exploitation d’une ligne !).
Une dernière évaluation financière d’Aerolineas-Austral a été rendue publique ces derniers jours, par la Auditoría General de la Nación, l’équivalent de la Cour des Comptes, et estime à - 2190 millions de pesos argentins le Patrimoine net (négatif) des deux compagnies. C’est le dernier mot en matière financière, chacun ayant maintenant pu apporter sur la table de négociation ses propres chiffres. Dans son arrêt, la AGN souligne une fois encore l’opacité des comptes fournis par Marsans, la difficulté d’y voir clair dans cette gestion délibérément embrouillée et le montant faramineux des dettes fiscales en matière d’impôt sur le chiffre d’affaires réalisé par Aerolineas sous gestion privée (276 millions de pesos de créances fiscales), de TVA non payée (189 millions) et enfin de taxes portuaires laissées elles aussi en souffrance (120 millions). On croit rêver...
De son côté, l’Etat a soutenu financièrement la compagnie, par le biais d’une assistance financière du Banco de la Nación (un peu plus de 300 millions de janvier à juillet de cette année), par le biais du renflouement de sa trésorerie entre autres pour payer les salaires (737 millions, entre le 11 juillet, alors qu’Aerolineas était sur le point de déposer le bilan, et le 4 novembre dernier).
Lors de la enième Assemblée Générale le 12 novembre, Marsans a fait mine de faire un geste de bonne volonté. Ils acceptaient de capitaliser 100 millions de pesos déjà versés par l’Etat pour maintenir l’entreprise à flot, un montant dérisoire eu égard aux autres chiffres avancées par les différentes évaluations. Par ailleurs, en profitant du fait qu’ils sont toujours de jure les patrons de la Compagnie, ils se permettent avec les ordres du jour, reportant sans préavis les points d’une AG à une autre, la prochaine étant prévue pour le 18 décembre, ce qui maintient les représentants de l’Etat en permanence sur la brèche pour parer à ces coups bas.
Comme la dernière estimation a été dressée à la demande des élus du Congrès, ces derniers font maintenant pression sur le gouvernement pour en finir. Or selon la Constitution, dans une telle affaire, le dernier mot revient au Congrès. Il est donc possible que prochainement la Commission parlementaire qui suit cette affaire fasse inscrire le processus d’expropriation à l’ordre du jour de la session en cours, d’autant que le Gouvernement, lassé, commence à accepter l’inéluctable. Qu’il aura tout fait pour éviter, afin de ne pas se brouiller davantage avec le gouvernement espagnol qui voit d’un mauvais oeil de nombreux intérêts privés nationaux entamés par les récentes dispositions gouvernementales. Marsans est une entreprise à capitaux espagnols et dont la majeure partie de l’activité touristique rapporte des devises à l’Espagne (et non à l’Argentine, comme on a pu le voir). Le BBVA, grande banque espagnole aussi, possédait l’une des 10 caisses de retraite par capitalisation dont le gâteau vient de disparaître avec le vote au Sénat de la loi mettant fin à l’existence d’un régime de retraite par capitalisation concurrent (et non complémentaire) du régime par répartition. Les profits de l’AFPJ du BBVA étaient consolidés directement dans le chiffre d’affaires du groupe en Europe, ce qui fait perdre au BBVA des sommes rondelettes et fournit des motifs de fâcherie rampante entre José Luis Zapatero (et partant le roi Juan Carlos) et Cristina Fernández de Kirchner.