L’association des Grands-Mères de la Place de Mai (Abuelas de Plaza de Mayo) a annoncé hier l’identification d’une 100ème personne. Il s’agit d’un jeune homme, Matías, qui se trouve être le demi-frère du côté paternel de la jeune femme identifiée, il y a tout juste un an et dont Barrio de Tango avait raconté l’histoire dans un article du 24 décembre 2008.
Matías est le fils, naturel semble-t-il, de Tulio Valenzuela et de Norma Espinosa, deux militants montoneros (l’aile gauche et révolutionnaire du parti péroniste dans les années 70). A un mois de grossesse, Norma a rompu avec la militance, le couple s’est séparé et elle s’est retirée chez ses parents où elle a mené à terme sa grossesse, sans mettre en danger ni sa vie ni celle de son enfant. Tulio a continué le combat, qui lui avait déjà valu des périodes d’incarcération. Vivant dans la clandestinité, il a pu voir son fils, à l’initiative de la maman, lorsque celui-ci avait environ 6 mois mais sa situation de clandestin l’a empêché de le reconnaître et de lui donner son nom, ce qui d’après la présidente de Abuelas, est un cas d’espèce très fréquent à cette période-là de l’histoire de l’Argentine (1976-1983). Tous les contacts ont été rompus après cette visite entre Norma et Tulio, y compris les contacts avec la famille de Tulio mais Norma Espinosa a continué d’élever son fils sans rien lui cacher de son histoire. Matías a donc toujours connu l’histoire de sa naissance et su le nom de son père, dont il a pris conscience à l’adolescence qu’il était l’un des disparus de la dictature.
Plus tard, Tulio a effectivement été arrêté en compagnie d’une autre femme, Raquel Negro, avec laquelle il était marié, qui était enceinte de sept mois et avait déjà un fils d’une précédente union. C’est la fille de cette grossesse gémellaire qui a été la 96ème petite-fille retrouvée par Abuelas en décembre 2008 et c’est cette identification qui a permis à Matías de relancer ses propres démarches pour récupérer le nom de son père, après un premier contact qu’Abuelas lui avait organisé avec ses oncles paternels. Il y a un an, Abuelas avait dit qu’on ignorait tout de la mort de Tulio. Página/12 avance, quant à lui, dans l’article d’aujourd’hui qu’il est mort en 1978, cerné par un groupe d’hommes de main membres de l’ESMA, l’Ecole Supérieure de Mécanique de la Marine, qui servait alors de centre de torture et de détention arbitraire, et dont quatre officiers passent actuellement en jugement. Information sur sa mort qui n’est pas contenue dans le communiqué de l’association, que vous pouvez consulter sur le site de Abuelas (le lien se trouve dans la rubrique Cambalache casi ordenado, dans la section des associations de Droits de l’Homme, dans la Colonne de droite, en partie basse).
Matías semble avoir eu beaucoup de mal à faire accepter son existence à la famille de son père, déjà passablement bouleversée par les retrouvailles avec la fille de Tulio, qui s’appelait alors Soledad et aurait changé de prénom (dans l’interview à Página/12, la présidente de Abuelas, Estela de Carloto, l’appelle Sabrina, comme le fait le communiqué de presse officiel de l’ONG).
Matías, né le 16 mars 1976, à Lomas de Zamora, dans le Gran Buenos Aires, a finalement pu vaincre les résistances de sa famille, subir les tests génétiques qui ont confirmé le lien de parenté, faire admettre l’existence d’une liaison antérieure au mariage avec Raquel (liaison qui devait pourtant être connue puisqu’en décembre 2008, lors de l’identification de Soledad-Sabrina, Abuelas avait pu présenter Tulio Valenzuela et Raquel Negro, comme l’un et l’autre divorcés chacun d’une précédente union). Le jeune homme a rencontré sa demi-soeur le 30 juin de cette année et a fait désormais connaissance avec l’ensemble de ses parents. Il pourra désormais porter le nom de son père qui manquait à son patronyme, anomalie très visible, les Argentins, comme les Espagnols et tous les Latino-Américains, portant toujours le nom de leur père suivi du nom de leur mère. Dans la vie courante, on ne cite guère que le nom du père mais sur les papiers d’identité, ce sont bien les deux noms qui figurent.
A présent, ayant probablement appris du nouveau sur ce qu’il est advenu de Tulio Valenzuela et Raquel Negro après leur arrestation ensemble le 2 janvier 1978, Abuelas manifeste des doutes sur la mort du petit garçon, frère jumeau de Soledad-Sabrina. Le petit semble bien figurer comme mort à la naissance sur le registre de l’hôpital militaire où Raquel a accouché, puisqu’il y est question de la naissance d’un N.N. de sexe masculin à côté d’une Soledad N., la place du prénom occupée par un simple N d’anonymat signifiant généralement que le nouveau-né est mort à la naissance. Mais étant donné la complexité du dossier, Estela de Carloto entend faire poursuivre les recherches sur le sort de ce bébé jusqu’à aboutir à une certitude : soit on retrouve cet homme vivant, soit on retrouve un corps de nourrisson enterré quelque part. Et alors on sera fixé.
Pour aller plus loin :
Lire l’article de Página/12
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