vendredi 11 décembre 2009

40 ans de Balada : un retour sur image et un reportage de Solange Bazely [à l’affiche]

C’est à titre tout à fait exceptionnel que l’article qui suit est publié dans Barrio de Tango.
Pour la première fois, l’article n’est pas de moi.
Il m’a été envoyé très gentiment par Solange Bazely, qui se trouve actuellement à Buenos Aires et vous offre et ces photos et ce compte-rendu, d’un grand événement : la célébration le 2 décembre dernier des 40 ans de la création de Balada para un loco, un tango qui a révolutionné le genre, le 16 novembre 1969, lors du concours de la chanson de Buenos Aires.

Solange Bazely est une fine experte du tango et de sa culture. Elle collabore bénévolement à la revue française Tout Tango, éditée à Montpellier (vous pouvez accéder au site du magazine grâce au lien situé dans la rubrique Eh bien dansez maintenant !, dans la partie inférieure de la Colonne de droite). Elle est l’auteure d’un livre sur le bandonéon, qui reste encore à publier et qui fera à n’en pas douter référence dans ce domaine, non seulement en français mais dans toute la littérature tanguera dans toutes les langues. Ce n’est pas moi qui le dis mais Walter Piazza, qui fut le premier à m’en parler en août 2008 dans son bureau de la Academia Nacional del Tango. L’avis d’un tanguero pareil, ça vous pose un bouquin...

Voici donc, en caractères bleu profond, l’article et les photos que Solange m’a fait la gentillesse de m’envoyer il y a quelques jours et que j’ai réservé pour marquer dans Barrio de Tango cette fête du tango et ce double anniversaire de naissance, de Carlos Gardel et de Julio De Caro.

Le Maestro Horacio Ferrer (avec sa bouteille d'eau à ses pieds)

Les 40 ans de Balada para un loco, événement organisé par le ministère de la culture de la ville de Buenos Aires qui devait se dérouler le vendredi 27 novembre a été reporté au mercredi 2 décembre pour cause de pluie. L'amphithéâtre Eva Perón du Parque Centenario fraîchement rénové en juin dernier n'était pas complet. Avec 1620 places assises et une scène de 18m x 12m et tout ce qu'il faut au niveau lumière et son. Comme souvent ici, pour un événement gratuit, il faut retirer les places à l'avance.

Cette soirée anniversaire se fait en hommage à cette Balada para un loco qui ne remporta pas le prix d'un Concours organisé au Luna Park il y a 40 ans. Aujourd'hui, personne ne se souvient plus du thème qui remporta le premier prix mais uniquement de cette Balada para un loco, fruit de l'imaginaire et d'une vision nouvelle qui a fait le tour du monde, grâce aux talents réunis de la poésie d'avant-garde d'Horacio Ferrer, avec la musique non moins rebelle d'Astor Piazzolla par la voix d'Amelita Baltar et qui a ouvert tant de chemins en marquant l'histoire du genre.

Les Maestros Néstor Marconi et Raúl Garello

Présentée par l'incontournable Oscar del Priore, cette soirée a été retransmise en direct par la radio la 2x4, unique radio à ne diffuser que du tango. Tout commença par une ouverture de rideau épique puisqu'il fit tomber quelques micros qu'il fallut relever dès le début de la première des quatre saisons de Piazzolla magnifiquement interprétées par l'Orchestre de la ciudad de Buenos Aires, soit 30 musiciens, dirigés d'abord par Raúl Garello puis par Juan Carlos Cuacci qui en ont assuré les arrangements. Leonardo Ferreyra vibre et nous fait vibrer avec ses parties de violon solo qu'il joue sur le bord de sa chaise, presque debout parfois autant que Julio Pane dans des solos de bandonéon pendant lesquels les autres musiciens en profitent pour remettre les pinces à linge qui leur tiennent les partitions, plein air oblige. Les moustiques virevoltent autour de la scène, attirés par la lumière, pendant que les grillons du Parque Centenario servent de bourdon musical (1).

Néstor Marconi

La musique nous emporte, dans sa version élargie à cet orchestre soutenu par la ville depuis 1980, avec Hernan Posseti au piano, aux contrebasses Marisa Hurtado enceinte jusqu'aux dents et Juan Pablo Navarro, croisé si souvent depuis le début de ce séjour. Aux bandonéons : Julio Pane, Federico Pedreiro, Carlos Corrales, Osvaldo Montes et Mariano Cigna.

Et dire qu'aujourd'hui ce serait aussi l'anniversaire d'Osvaldo Pugliese ! Buenos Aires regorge de tango et de nuits où l'on ne dort pas.
Ensuite, le chanteur Marcelo Tomassi fera siennes les paroles d'Horacio Ferrer : El Gordo triste (musique de Piazzolla), puis Viva el Tango (musique et direction de Raúl Garello) puis la Milonga del Trovador (musique de Piazzolla dont la version de Jairo est la plus connue).

Amelita Baltar et Néstor Marconi

Horacio Ferrer apparaît, toujours élégant et calme qui nous régalera littéralement de ses mots choisis dans son dit-chanté si particulier, s'aidant en cela de ses majestueuses mains, si vivantes, qu'elles disent avec lui Chiquilín de Bachín avec son texte introductif des plus émouvants sur ce gamin qui vend ses roses autour des tables du restaurant. Puis Preludio para el año 3001 et son Mi viejo Piazzolla, "mi mágico Astor", en hommage à son ami et complice Piazzolla dont il finit par "tocas con las teclas de mi corazón" (tu joues avec les touches de mon cœur), accompagné par Trepiana au piano sur la musique d'Oblivión et en prélude une musique écrite par Daniel Piazzolla, le fils d'Astor.
Des applaudissements à tout rompre, tant l'émotion et l'affection sont grandes pour cet homme de lettres, également homme de scène. Il poursuit pour notre plus grand plaisir en racontant comment il a écrit le thème suivant, alors que Piazzolla lui laissa une cassette avec une nouvelle musique et qu'il neigeait sur l'Ile Saint-Louis où il vivait : Será que estoy llorando ! Effectivement très émouvant et à pleurer ! Une vague d'applaudissements déferle, c'est ahurissant. Puis il remercie ensuite, avec une grande émotion qui lui serre la gorge, les trois médecins qui lui ont sauvé la vie cette année ainsi que "la femme dont je suis le mari". On voudrait qu'il ne quitte pas la scène.



Un hommage à Antonio Agri, celui qui fut dix ans le complice d'Astor Piazzolla au violon, sera également rendu, grâce à son fils, Pablo Agri, également génie du violon, dans un Oblivión très sensible, magnifique, tout en nuances, en trio avec Gabriel de Lio à la basse électrique et Marisa Hurtado à la contrebasse. Ils joueront ensuite un autre thème de Piazzolla en quintette avec Julio Pane au bandonéon et Hernán Possetti au piano. Avec le vent, tout s'envole et le pianiste vient secourir Pane qui ne peut quasiment plus jouer et un technicien remet à l'envers les partitions de Gabriel... ce qui perturbe le début du thème, pourtant magnifique. Pablo est inspiré, bien planté sur ses jambes, sur lesquels il se balance comme avant lui son père, joueur et trublion.

Oscar del Priore nous informe que Aníbal Arias à la guitare et Osvaldo Montes au bandonéon vont partir à la retraite : ils l'ont bien mérité !

Néstor Marconi et Amelita Baltar

Puis l'Orchestre de Tango de la ciudad de Buenos Aires revient, cette fois-ci dirigé par Nestor Marconi qui a assuré les arrangements, joue Libertango puis un pot-pourri de divers thèmes de Piazzolla. Pour cela, il commence par un brillant solo de bandonéon, puis dirigera laissant la place à un très sensible solo de bandonéon de Raúl Garello qu'il invite.

Horacio Ferrer et Amelita Baltar réunis à nouveau...

La fin approche avec la présence rayonnante d'Amelita Baltar, très professionnelle et émouvante, aux côtés de l'orchestre, toujours dirigé par Nestor Marconi. Elle chantera la Milonga del anunciación issu de l'operita María de Buenos Aires, puis La última grela et Balada para mi muerte dont elle avoue que c'est son thème préféré. Et on comprend pourquoi avec cette force combinée des paroles et de la musique.

Puis le clou final présenté par Diego Rivarola, directeur général de la musique de Buenos Aires pour une version surpuissante de la Balada para un loco, avec un récitatif où le vent se lève et un bis pour lequel Horacio Ferrer revient sur scène. Le public est debout, absolument conquis sous la pleine lune qui illumine tout Buenos Aires.

Solange Bazely
Buenos Aires, 2 décembre 2009