Luis Alposta, qui joue les correspondants permanents à Buenos Aires pour Barrio de Tango, tandis que Solange Bazely endosse de temps à autre la tenue d'envoyée spéciale, malgré un agenda particulièrement chargé, le poète Luis Alposta, disais-je, présentera aujourd'hui l'étude que Hernán Sotullo a consacré au thème des voyous (pungas, en lunfardo) et de la prison (gayola, en lunfardo) dans le tango et dans le lunfardo.
Cette présentation a lieu aujourd'hui, 12 décembre 2009, à la Academia Porteña del Lunfardo où se tient la Foire du livre de tango et de lunfardo jusqu'au 30 décembre prochain (lire mon article à ce sujet).
En même temps qu'il m'a envoyé la photo de la couverture, Luis m'a aussi fait parvenir le texte de son allocution. Mais avec le décalage horaire entre nos deux pays et mon travail salarié pendant la semaine (ce blog n'ayant pas plus que mes futurs bouquins vocation à être mes gagne-pain), je n'ai guère le temps de vous traduire dès aujourd'hui cette conférence in extenso. En revanche, à partir du 25 décembre, les Portègnes vont partir en vacances d'été, ils vont se ruer sur les plages de Mar del Plata ou de Bahía Blanca ou aller prendre un bol d'air pur du côté de Córdoba, Mendoza, San Luis ou Bariloche. De toute manière, les artistes de tango vont déserter Buenos Aires et la livrer aux touristes. Donc là, j'aurai, peut-être, le temps de mener cette tâche à bonne fin. Même si une précédente conférence de Luis Alposta m'a offert la matière de mon article n° 900, celle-ci pourrait faire à nouveau un joli sujet pour l'article 1100 qui devrait se présenter en janvier (celui-ci est le n° 1048). Comme dirait l'autre, quand on aime, on ne compte pas.
D'ici là, je vous explique seulement que la couverture fait allusion à un poème lunfardo de Carlos de la Púa (1898-1950), Linea 9, dont le chanteur et compositeur Edmundo Rivero avait fait une milonga en le mettant en musique. Et voyez comme tout se tient : Luis Alposta, grand ami d'Edmundo Rivero, qui a mis en musique plusieurs de ses poèmes, a très bien connu également ce poète majeur que fut Enrique Cadícamo, dont Carlos de la Púa, dit aussi El Malevo Muñoz (dont le vrai nom était Carlos Muñoz del Solar) (1) était un ami personnel très proche. Lui-même, Luis, a beaucoup travaillé sur le rôle de la prison et du milieu dans la genèse du lunfardo. Avec Daniel Melingo, il a reconstitué de nombreux poèmes de Andrés Cepeda (1878-1912), qu'on a appelé le poète de la prison, parce qu'il passait le temps lors de ses incarcérations à écrire des poèmes, très beaux soit dit en passant. Le type, qui passe pour le Villon argentin, quand il ne faisait pas de mauvais coups était un payador (improvisateur de vers et de musique ambulant, à travers villes et campagnes). Avec Daniel Melingo aussi, Luis a travaillé sur une série de tangos qui vont chercher dans le rébétiko grec des sources communes aux deux genres : la délinquance comme réponse sociale à la répression des possédants, l'univers carcéral, les solidarités louches, l'homosexualité d'occasion, la contestation par la violence... (2)
Voici de Linea 9 et traduits par mes soins le quatrain du début et le quatrain de fin :
Era un boncha** boleao, un chacarero,
que se tomó aquel nueve en el Retiro;
nunca vieron esparos y lanceros
un gil al acuarela más a tiro.
Carlos de la Púa
(les mots suivis d'une double astérisque sont en verlan)
C’était un cheman**, une bûche, un vrai jacques ;
Qui se prit ce bon vieux tram 9 au Retiro ; (3)
Jamais pickpockets ni guetteurs ne virent
Crétin des Alpes plus à portée de main.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Era un bondi de línea requemada,
con guardia batidor, cara de rrope;
si no saltó cabrón por la mancada
fue de chele** nomas, de puro dope**.
Carlos de la Púa
C’était un tram d’une ligne mal fréquentée,
Le contrôleur était une balance à gueule de faux-derche ;
S’il n’a pas sauté, l’air fin, pris la main dans le sac.
Ce fut un coup de bol, c’est tout, la vraie karaba**.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
La milonga Linea 9, vous pouvez l'entendre chantée par Edmundo Rivero dans le double CD En Lunfardo, Edmundo Rivero, qui est la réédition de deux disques enregistrés respectivement en 1963 et 1967 et sortis tous deux chez Philips (dont le catalogue a été racheté par Universal). Les pochettes originales arboraient des dessins de Juan Carlos Castagnino, un grand peintre dont on peut maintenant visiter l'atelier-domicile dans le quartier de San Telmo (la maison est devenue un musée), et une présentation signée du grand écrivain argentin Ernesto Sábato. La réédition est présentée par Oscar del Priore (et ce n'est pas mal non plus).
Voilà ! Maintenant, vous avez au moins deux idées originales pour vos cadeaux de Noël ! Un disque et un livre.
Et puis pour faire le lien avec le Retour sur images que je publiai hier (grâce à Solange Bazely) sur le concert qui a marqué, le 2 décembre dernier, à Buenos Aires, les 40 ans de la création de Balada para un loco, voici ce que m'en a dit Luis Alposta le lendemain :
Esta noche [...] estuvimos en los festejos por el 40° Aniversario de "Balada para un loco", que se realizó en el anfiteatro del Parque Centenario.
Actuaron la Orquesta del Tango de Buenos Aires; invitados: Pablo Agri, Amelita Baltar y, por supuesto, Horacio Ferrer.
Bailarines: Paola Parrondo y Víctor Nieva.
El espectáculo duró dos horas y fue realmente algo ¡fantástico! ¡Gran éxito de público! A Horacio se lo veía feliz.
Luis Alposta
Cette nuit [...] (4) nous sommes allés à la fête pour le 40ème anniversaire de Balada par un loco, qui s'est tenu à l'Amphithéâtre du Parc Centenaire.
Se sont produits la Orquesta de Tango de Buenos Aires, avec pour invités, Pablo Agri, Amelita Baltar et, bien sûr, Horacio Ferrer.
Les danseurs étaient Paola Parrondo et Víctor Nieva.
Le spectacle a duré deux heures et ça a été réellement un truc fantastique ! Un public énorme. Horacio, on voyait qu'il était heureux.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Se sont produits la Orquesta de Tango de Buenos Aires, avec pour invités, Pablo Agri, Amelita Baltar et, bien sûr, Horacio Ferrer.
Les danseurs étaient Paola Parrondo et Víctor Nieva.
Le spectacle a duré deux heures et ça a été réellement un truc fantastique ! Un public énorme. Horacio, on voyait qu'il était heureux.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Luis Alposta a déjà envoyé ses voeux pour 2010 : ce sont les mêmes qu'en 2009. Changez juste le millésime. Son portrait ahurissant de Carlos Gardel, en trois ou quatre traits en tout et pour tout... (voir mon article du 31 décembre 2008).
(1) Carlos de la Púa, cela veut dire Carlos de la pointe, de l'aiguille, du dard. C'est-à-dire qu'il pique, qu'il égratigne ou qu'il trucide à l'arme blanche. Le contraire du gentil. Et El Malevo Muñoz comme l'ont surnommé ses amis, cela veut dire Muñoz le Voyou (au deux sens du terme : un homme du peuple mal élevé et un hors la loi). Et de fait, le type n'était vraiment pas sortable, une sorte de Serge Gainsbourg (la dégaine aussi, en plus armoire à glace) qui n'aimait rien tant que provoquer par son comportement et ses propos les bien-pensants et se faire poil à gratter d'une société portègne corsetée dans des a priori de respectabilité et des rêves d'embourgeoisement que lui haïssait de toutes ses forces.
(2) voir l'article que j'ai consacré à une autre conférence de Luis Alposta, sur le lunfardo, prononcée à Rosario en septembre dernier et que je vous ai traduite en octobre.
(3) Retiro : un quartier de Buenos Aires, dont je parle assez souvent dans mes articles. C'est à Retiro que se trouve la Biblioteca Café où aura lieu demain le récital de Lucio Arce. C'est aussi le quartier de la gare sans doute la plus importante de Buenos Aires, donc un noeud de communication avec métro, bus et anciennement lignes de tram.
(4) Luis me citait là les personnes qui l'accompagnaient, sa femme, l'un de leurs enfants et un couple d'amis.
(4) Luis me citait là les personnes qui l'accompagnaient, sa femme, l'un de leurs enfants et un couple d'amis.