samedi 6 mars 2010

Le Festival de Tango indépendant fait la une du supplément culturel de Página/12 [à l'affiche]

Une du supplément culturel de Página/12 de ce matin

Après le bandonéoniste franco-argentin Juan José Mosalini la semaine dernière (voir mon article de ce jour), c'est le 1er Festival de Tango Indépendant qui a les honneurs de la une du supplément Espectaculos y Cultura du quotidien Página/12 ce matin.

Un festival organisé par la UOT, Unión de Orquestas Típicas, présidé par Ildefonso Pereyra (1), Fractura Expuesta, avec le co-animateur de l'émission, Germán Marcos, le CCC où la Ciudad del Tango est coordonnée par Walter Alegre, et plusieurs bars et salles, comme El Faro, Musetta ou Sanata, c'est-à-dire dans différents quartiers de la capitale argentine.

Un festival qui s'ouvre ce soir avec une grande milonga gratuite en plein air, esquina San Juan y Boedo, dans le quartier de Boedo (voir mon article de présentation générale du 22 février 2010).

Un festival où se retrouveront des artistes originaux et très talentueux, très souvent oubliés de ce genre de manifestation parce qu'ils se veulent eux-mêmes hors système.

En l'occurrence, le journaliste Cristián Vitale a choisi de rassembler huit des participants pour une interview collective où ils ne prennent pas tous la parole et qui est difficilement résumable dans le format de ce blog.
Allez donc découvrir tout cela directement dans l'article de Página/12 : cela vaut la peine de faire l'effort linguistique qui s'impose.

Verbatim (par définition insatisfaisant) :

“Dar visibilidad a una movida del tango que está entre nosotros y no tiene difusión”, resume, escueto y exacto, Germán Marcos, periodista, productor y coorganizador del encuentro junto a la gente de la Unión de Orquestas Típicas. Lo rodean, entre sandwiches de milanesas, aguas minerales, instrumentos y cafés, Julio Coviello (2), Alan Haksten, Cucuza Castiello, Angel Pulice, Ruth de Vicenzo, Pablo Bernaba y el inefable Moscato Luna, algunos de los músicos que le pondrán sustancia a lo que, en esencia, huele a bocanada de aire fresco en medio de un movimiento que suele contaminarse con el bendito for export. Tango under, en mejores palabras. “Este festival implica la articulación de espacios muy distintos a la tanguería adonde vas y tenés que tocar sí o sí determinado repertorio, y ya... esa cuestión bien for export, o tango de cliché, ¿no? La independencia de poder elegir repertorio y espacio es un punto en común en esta cuestión estético-política que impulsa el festival. Después, hay estéticas muy diferentes que, obvio, son bienvenidas, porque las diferencias fortalecen más que las similitudes, si se las sabe articular”, extiende Bernava, integrante del Proyecto L.C.B y del Quinteto Negro La Boca.
Página/12

"Donner de la visibilité à une tendance du tango qui est là au milieu de nous et qui n'a aucune diffusion", résume en peu de mots et avec exactitude Germán Marcos, journaliste, producteur et coorganisateur de la rencontre avec la UOT. L'entourent, au milieu des sandwichs de milanesas (3), des eaux minérales, des instruments et des cafés, Julio Coviello (2), Alan Haksten, Cucuza Castiello, Angel Pulice, Ruth de Vicenzo, Pablo Bernaba et l'ineffable Moscato Luna (4), quelques uns des musiciens qui donneront de la substance à ce qui, par définition, sent la bouffée d'air frais au milieu d'une mouvance qui a l'habitude de se laisser polluer par le ravi de la crèche du For export. Du Tango underground, pour le dire plus gentiment. Ce festival implique l'articulation d'espaces très différents de la tanguería où tu vas et où tu dois jouer tel ou tel répertoire déterminé et... bon ! toute cette histoire du tango for export ou du tango cliché, d'accord ? L'indépendance de pouvoir choisir le répertoire et le lieu est un point commun sur cette question esthético-politique qui donne son impulsion au festival. Après, il y a des esthétiques très différentes qui, bien entendu, sont les bienvenues, parce que les différences renforcent plus que les ressemblances, si on sait les articuler, complète Bernaba, membre du Proyecto LCB et du Quinteto Negro La Boca.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

“Nos necesitamos entre todos, por eso estamos acá. Algunos de nosotros recién nos conocemos, pero ya hay un espíritu común”, arriesga Bernaba, y Julio Coviello [...] amplifica el concepto. “Sí... lo que nos une es que somos músicos de tango que no esperamos que alguien nos contrate para organizar nuestra movida artística, sino que lo generamos desde nosotros.” “Una de las razones –engancha Haksten– es que muchos turistas vienen al país y se van con la idea de que el tango es una postal del hombre con gomina, y eso... está bien como postal, pero no es lo que pasa hoy.”
Página/12

"Nous avons besoin les uns des autres au milieu de tous, c'est pour cela que nous sommes ici. Certains d'entre nous venons de nous rencontrer mais il y a un esprit commun", se risque Bernaba. Et Julio Coviello élargit l'idée : "Voilà, ce qui nous unit, c'est que nous sommes des musiciens de tango qui n'attendons pas que quelqu'un nous embauche pour organiser notre mouvement artistique mais que nous le créons nous-mêmes". "Une des raisons, enchaîne Haksten, c'est que beaucoup de touristes viennent dans ce pays et s'en retournent avec l'idée que le tango est une carte postale montrant un homme gominé et ça, c'est très bien pour une carte postale mais ce n'est pas ce qui se passe aujourd'hui." (5)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

“De reivindicar el barrio, la cotidianidad, y no depender sólo de lo exportable”, completa Marcos, también conductor de la otra pata organizadora: el programa de la Radio de las Madres, Fractura Expuesta. “Ojo, no decimos que somos el otro tango, somos un tango que existe, que gana espacios, que genera su público, su circuito... no queremos sacar a nadie de ningún lado. El tango es uno que convive entre varios y, en nuestro caso, nos une el hecho de autogenerarnos trabajo sin que nadie nos contrate.”
Página/12

[Il s'agit] "de revendiquer le quartier, la quotidienneté, et ne pas dépendre seulement de ce qui est exportable, ajoute Marcos, qui est aussi animateur de l'autre patte organisatrice, l'émission de la Radio de las Madres, Fractura Expuesta. Attention, hein ! nous ne disons pas que nous sommes l'autre tango (6), nous sommes un tango qui existe, qui prend sa place, qui crée son public, son circuit... Nous ne voulons virer personne de nulle part (6 bis). Le tango est quelque chose d'unique qui vit au milieu de beaucoup d'autres et, dans notre cas, ce qui nous unit c'est le fait de nous autogénérer du travail sans que personne ne nous embauche."
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Le reste doit se lire en VO. C'est indispensable.
Sinon je glisse sur la pente dangereuse de la trahison en esprit.

Pour aller plus loin :
Lire l'article de Página/12
Pour mieux connaître les artistes dont il est question plus haut, cliquez sur leur nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, situé sous le titre de l'article, ou dans la rubrique Vecinos del Barrio, dans la Colonne de droite (partie haute). Vous accéderez ainsi aux articles que je leur ai consacrés (en français) dans ce blog.
Alan Haksten n'a pas encore de raccourci dans la Colonne (il a eu son premier article dans Barrio de Tango, à l'occasion de la nuit des musées de Buenos Aires, en octobre 2009, lorsqu'il a été invité à la Academia Nacional del Tango).
Cet article est le premier de Barrio de Tango qui cite Bernaba.

(1) Ildefonso Pereyra fait partie de ces vrais porteurs de culture qui, à Buenos Aires, se battent sans compter pour que la culture authentique soit accessible à tous et qu'elle puisse enrichir la vie du plus grand nombre. Sujet hautement politique dans un pays comme l'Argentine où l'Etat Providence n'existe pas et l'accès à l'alimentation, à la santé et au savoir n'est pas encore garanti à tous dans les faits (il l'est en droit). Ildefonso fait partie de cette poignée d'intellectuels et d'artistes qui se sont opposés avec ardeur et persistent, sans en démordre, à s'opposer violemment à l'inscription du tango au patrimoine de l'humanité, une polémique à laquelle fait allusion Juan José Mosalini dans l'interview de la semaine dernière que j'ai partiellement traduite dans un autre article paru aujourd'hui, 6 mars 2010. Je n'ai moi-même pas fait allusion à ce contentieux hyperpolitisé jusqu'à présent dans Barrio de Tango parce que je trouve les arguments déployés par les adversaires de cette déclaration de l'UNESCO fort peu convaincants et l'énergie, pourtant si précieuse, fort mal employée dans ce combat là. Cette énergie qu'Ildefonso investit avec plus de fruits sans aucun doute dans l'organisation de ce festival. Les arguments des opposants à la déclaration internationale pourraient se résumer ainsi (en très gros traits) : cette déclaration ne servirait en fait que les intérêts économiques des grands groupes capitalistes qui exploitent le tango for export, donc déforme la culture tanguera authentique en la vidant de sa substance, pour en faire un ragoût insipide et inodore destiné au grand public international et aux touristes étrangers qui n'y connaissent rien et s'approprient le tango pour le consommer chacun à leur façon à l'étranger, en privant ainsi les artistes authentiques de leurs droits moraux et financiers légitimes. Tout n'est pas faux dans ce portrait au vitriol de la situation. Il n'est que de se reporter à l'article que Litto Nebbia a récemment publié dans ce même quotidien Página/12 (voir mon article du 1er mars 2010) ou de relire la lettre ouverte du poète Héctor Negro au Ministre portègne de l'Education l'année dernière (voir mon article du 30 mars 2009) pour se convaincre qu'il y a bel et bien en Argentine un combat homérique et inévitable entre les puissances d'argent et les artistes qui ont des choses à dire et auquel les premières ne laissent pas beaucoup d'espace pour s'exprimer. Mais croire ou dire que la déclaration va renforcer cette tendance prédatrice qui existe depuis que le tango est tango me paraît personnellement et depuis l'Europe où je réside, une vue de l'esprit et le fruit d'une analyse défaitiste et manichéenne de la situation, quelque dure que la réalité soit à vivre au jour le jour. Selon cette théorie du complot capitaliste, la déclaration serait l'initiative de Mauricio Macri, Chef du Gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires et grand tenant de l'ultra-libéralisme en Argentine, y compris dans le domaine culturel. Elle n'aurait qu'un but : transformer le tango en une juteuse source de profit sans éthique au bénéfice de quelques uns et au détriment des artistes (et du public). Or l'initiative de poser la candidature du tango à l'UNESCO a été soutenue conjointement par les deux capitales voisines, Buenos Aires et Montevideo, politiquement à l'opposée l'une de l'autre. Qui plus est, du côté argentin, l'idée a été lancée non par Mauricio Macri (qui se l'est appropiée, ô combien) mais par son prédécesseur, Jorge Telerman, péroniste pur et dur, incontestablement de gauche et dont la politique culturelle n'est pas contestée. Bref, la déclaration unesquienne est et sera ce que les acteurs du secteur en Argentine et en Uruguay en feront. Quant aux majors et aux entreprises de tango for export, elles n'ont pas attendu cette inscription pour faire n'importe quoi avec le tango comme avec le reste, c'est à dire tout sauf de la qualité et du sens. Ce n'est pas une inscription au patrimoine de l'humanité qui leur permettra d'en tirer plus ou moins d'argent mais la crétinisation du public à laquelle elles s'emploient de toutes leurs forces depuis que le tango est né ou peu s'en faut, pour mieux vendre n'importe quoi à des acheteurs au discernement esthétique et intellectuel le plus amoindri possible. Et c'est à la tâche inverse, celle de promouvoir la vraie culture du tango et de donner au public la bonne information, y compris en dehors de l'aire linguistique hispanophone, que nous nous attelons, et nous sommes nombreux à le faire, sur toute la surface du globe. Aussi me paraît-il plus judicieux de mettre toutes nos forces dans ces actions-là que de les dépenser à nous battre contre ce que de vilains méchants affreux capitalistes pourraient faire d'une déclaration officielle ou d'une autre. Voilà un siècle que le pouvoir de l'argent essaye d'avoir la peau du tango et jusqu'à preuve du contraire, il ne l'a pas eue et il n'est pas prêt de l'avoir... Et ce Festival le démontre si tant est qu'il en soit besoin.
(2) Julio Coviello qui est aussi le premier bandonéon de la Orquesta Típica Fernández Fierro, vient de lancer en parallèle son propre quatuor. Il en a fait plusieurs essais au cours de l'année dernière, notamment au Sanata Bar (voir mes articles sur lui en cliquant sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, sous le titre de l'article).
(3) Milanesa : tranche généreusement panée et pôélée, de viande (boeuf ou génisse), de jambon, d'aubergine ou de fromage. Les Argentins adorent s'en faire de gros casse-croûtes très nourrissants, même si la tranche de viande (carne, qui ne désigne que la viande rouge), de jambon ou de fromage à l'intérieur est aussi fine que du papier à cigarette. Ce qui a donné l'expression idiomatique : la verdad de la milanesa (la vérité de la milanesa), une expression dont on se sert pour dénoncer les mensonges et les embrouilles en tout genre.
(4) le guitariste, bien connu des lecteurs de Barrio de Tango, pour ses prestations auprès du chanteur Cucuza le vendredi soir au Bar el Faro ou dans le groupe Guitarra Negra, conduit par Alfredo Piro, n'a pas pipé mot de toute l'interview.
(5) J'espère que les fidèles lecteurs de ce blog n'avaient pas besoin de cette précision pour avoir conscience de ce phénomène et qu'ils reviennent chez eux en ayant une idée du tango complètement différente.
(6) Si, si, ils le disent tout de même un petit peu, en tout cas au micro de Fractura Expuesta, sur la scène du CCC, au sein de la UOT... En tout cas, je l'ai entendu à plusieurs reprises, parole d'auditrice fidèle mais non argentine.
(6 bis) Cela, si, c'est vrai. Ils prennent bien soin de ne nuire à personne et s'auto-produisent en permanence sans s'appuyer sur le système. Et Dieu sait que ce n'est pas facile.