samedi 13 mars 2010

Página/12 revient sur le débat de mercredi au CCC [à l’affiche]

En hommage à Jean Ferrat (26 décembre 1930-13 mars 2010), grand auteur-compositeur-interprète français ô combien engagé lui aussi

Sous le titre Penser le tango au-delà du tourisme, Cristian Vitale revient dans le supplément culturel de Página/12 d'hier matin sur le débat qui a eu lieu mercredi en fin de journée au CCC dans le cadre du 1er Festival de Tango indépendant dont le quotidien est un fervent promoteur (lire mon article sur cette conférence et ses trois intervenants).
C’est surtout l’analyse économique et sociale du tango et de son exploitation dans le cadre du spectacle et de la production discographique qui a retenu l’attention du chroniqueur.
Une analyse sans aucun doute possible enracinée à gauche.

Verbatim :

“Lo que más me llama la atención tiene que ver con la mala distribución del ingreso”, sostiene Marchini, con los números sobre la mesa. El investigador tiró data gruesa sobre el dinero que mueve el mercado tanguero año tras año –un 85 por ciento ingresa por el turismo– y trazó una analogía dicotómica entre el género y la Pampa Húmeda, para explicar por qué necesita ser protegido. “El tango no es la Pampa Húmeda. Si ahora en un rato llueve, entran 350 millones de dólares al país, porque justo es marzo, termina la cosecha de soja y, claro, la plata cae del cielo. Esa es la riqueza natural, pero también hay una riqueza cultural que se construye ¿no? y que la podemos ver en el tango. Acá el género tuvo maestros durante toda la historia, y no se puede perder esa riqueza. Es necesario entender que hay una nueva arquitectura de negocios en la música. Hay que pensarlo mucho, porque hay algo que está cambiando en forma agresiva. ¿Cómo se vende?, ¿cómo se ofrece música?, ¿quiénes son los referentes en todo esto? Y hay una carencia del género y es que no tiene una referencia de culto. Tanto el jazz como el flamenco tienen un mercado de culto, nosotros necesitamos eso: una renovación permanente, que no se puede salvar solamente con el turismo. Es algo que hay que discutir entre todos los sectores y con honestidad. Ver entre todos, músicos, empresarios y funcionarios, hacia dónde vamos. Al tango hay que cuidarlo, porque no está sobrando.”
Jorge Marchini, cité par Página/12

"Ce qui attire le plus mon attention concerne la distribution injuste des revenus, soutient [Jorge] Marchini, avec les chiffres sur la table. Le chercheur a lancé des données énormes sur l'argent que brasse le marché du tango année après année - quelque 85% sont générés par le tourisme - et il a tracé une analogie dychotomique entre le tango et la Pampa humide (1), pour expliquer pour quelle raison [le tango] a besoin d'être protégé. "Le tango, ce n'est pas la Pampa humide. S'il pleut dans un moment, ce sont 350 millions de dollars qui entrent dans ce pays, juste parce qu'on est en mars, que la récolte de soja se termine. Aors, bien entendu, l'argent tombe du ciel (2). Cette richesse est une richesse naturelle mais il y a aussi une richesse culturelle que l'on construit, n'est-ce pas ? et que nous pouvons observer dans le tango. Ici, le genre (3) a connu des grands maîtres pendant toute son histoire et cette richesse-là, on ne peut pas la laisser perdre. Il faut bien comprendre qu'il y a une nouvelle architecture du business dans la musique. Il faut vraiment y réfléchir, parce qu'il y a quelque chose qui est en train de changer d'une manière violente. Comment vend-on, comment est l'offre de musique ? Qui sont les gens qui font référence dans ce domaine ? Là, le genre n'est pas à la hauteur et ce, parce qu'il lui manque une référence reconnue. Le jazz comme le flamenco ont un marché où il y a une référence reconnue. C'est ce dont nous, nous avons besoin : une rénovation permanente, qui ne peut pas s'en sortir seulement avec le tourisme. C'est quelque chose dont tous les secteurs doivent discuter et avec honnêteté. Regarder tous ensemble, les musiciens, les chefs d'entreprise, le gouvernement, vers où nous allons. Le tango, il faut le protéger parce qu'on n'en a pas de trop"
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Quant à José Luis Castiñeira de Dios, directeur des Arts au Secrétariat d'Etat à la Culture, au niveau national, il est lui aussi cité dans l'article :

“Lo que falta, en general, es encontrar la manera de que el tango se reencuentre con el público, más allá de lo que digan ciertos diarios sobre San Telmo y el gusto de la juventud por el género. Se venden pocos discos, el patrimonio cultural del género está disperso y esa visión de ‘boom’ corresponde a una superestructura interesada en el tema. Lo que yo veo es un interés del turista sólo por la danza y una falencia interna en cuanto a la difusión de la música. Hay que reinventar el género”
José Luis Castiñeira de Dios, cité par Página/12

"Ce qui manque, en général, c'est de trouver la façon dont le tango pourra trouver le public, au-delà de ce que disent certains journaux sur San Telmo (4) et le goût de la jeunesse pour le genre (5). On vend peu de disques, le patrimoine culturel du genre est dispersé et cette vision de boom correspond à une superstructure que le sujet intéresse. Moi, ce que je vois, c'est un intérêt du touriste uniquement pour la danse et ici, au pays, une carence pour ce qui est de la diffusion de la musique (6). Il faut réinventer le genre".
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Le reste se lit dans l'article d'hier, sur le site de Página/12.

Dans un entrefilet secondaire, Página/12 donne aussi les derniers rendez-vous du festival qui se termine ce week-end :
outre Cucuza, Moscato et Tape qui étaient, hier soir, au Bar El Faro, il y avait, hier soir encore, le Quinteto La Boca et la Orquesta Típica La Vidú qui jouaient à la milonga Gardel en Medellín.
Cet après-midi, à 18h30, Cucuza et Moscato joueront à la Esquina Homero Manzi, esquina San Juan et Boedo, dans le quartier de Boedo.
Et cette nuit, samedi 13 mars 2010, Dema et la Petitera, Timotteo et le cycle des Conciertos Atorrantes (ce qu'on pourrait traduire par concerts pas sortables ou par concerts pas BCBG) sont à 22h au Sanata Bar, esquina Sarmiento y Sánchez de Bustamante, dans le quartier de Almagro.

Demain, dimanche 14 mars, le Festival se termine avec la Orquesta Típica El Afronte, qui jouera dans la rue, à la hauteur de Humberto Primo 343, devant l'école Guillermo Rawson, comme presque tous les dimanches, à la Feria de San Telmo, à midi.
En fin de journée, à 18h, ce sont la Orquesta Típica La Vidú et Alan Haksten Grupp qui vous attendent au Centro Nacional de la Música, México 564, dans le quartier de Monserrat
Et à minuit, ce sera un grand orchestre de derrière les fagots (orquestazo), composé de El Afronte, La Vidú et le Quinteto Negro La Boca qui jouera à la milonga La Viruta (que l'on peut traduire par le copeau, c'est-à-dire celui que vous arrachez au plancher avec vos semelles à force de danser, selon une expression idiomatique du coin).
La Viruta se situe rue Armenia au numéro 1366, dans le quartier de Palermo.

Et pour en savoir plus sur l'ensemble de ce 1er Festival de Tango Indépendant, cliquez sur le mot-clé Festival dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus, sous le titre de l'article. Vous accéderez ainsi à l'ensemble de mes articles sur les différents festivals dont celui-ci, le dernier en date à l'heure où je publie.
Vous pouvez aussi vous reporter à mes articles précédents à ce sujet :
présentation générale du festival dans mon article du 22 février
interview de huit participants dans Página/12 à travers mon article du 6 mars 2010
présentation du débat de mercredi dernier au CCC dans mon article du 10 mars
présentation de la soirée d'hier au Bar el Faro, précédée d'un autre débat (sur le bandonéon) dans mon article du 9 mars

(1) Pampa humeda : c'est le nom que l'on donne à la pampa de la Province de Buenos Aires. C'est un terme géographique qui tient compte du climat particulier de cette zone, très humide du printemps à l'automne.
(2) Sur le problème de la culture du soja en Argentine, lire
mon article du 7 mars 2009 avec ses notes : depuis l'année dernière, un sérieux conflit d'intérêt oppose le gouvernement argentin à l'ensemble des organisations professionnelles du monde agricole dans tout le pays. Voir aussi l'ensemble de mes articles sur les questions politico-agricoles sous le mot-clé Campo (une sous-rubrique d'Economie dans ce blog). Vous pourrez enfin dans quelques heures vous reporter au supplément Futuro de Página/12 dont le sujet cette semaine sera La Argentina Sojera (la mise à jour sur le site de Página/12 se fait le samedi, à 18h, heure de Buenos Aires).
(3) el género : un terme très employé pour désigner le tango dans cet article. Les Argentins emploient le même terme dans un article sur le rock pour désigner le rock, ou pour désigner le théâtre dans un article sur le théâtre. En français, l'emploi du terme genre est moins fréquent. Il relève d'un usage de la langue légèrement plus savant.
(4) Les journaux en question sont ceux qui se laissent impressionner par les attroupements que provoquent le dimanche les spectacles de tango (pas toujours ni très bons, ni très authentiques) de la Feria de San Telmo, sur Plaza Dorrego et le long de la rue Defensa et dans les rues adjacentes (et la même chose à Caminito, le secteur hyper-touristique du quartier de La Boca). C'est effectivement un phénomène bien superficiel pour prendre la température réelle du tango sur un plan authentiquement culturel. Un peu comme si vous mesuriez la santé de la chanson francophone en Europe à ce que font les musiciens qui font la manche dans les rames du métro parisien.
(5) Au sujet de ce retour ou non de la jeunesse vers le tango, écoutez ce qu'en disaient Horacio Molina et le Trio Fulanos de Tal dans l'émission Radio Paradiso sur les ondes de la RSR en janvier dernier (lire
mon article du 16 janvier 2010)
(6) C'est aussi la raison pour laquelle, dans Barrio de Tango (le blog), je parle relativement peu de danse, préférant mettre l'accent sur le reste du tango, la partie immergée d'une culture qui nous apparaît, à nous en Europe, comme un iceberg, à l'inverse de ce que vivent et que savent les Argentins et les Uruguayens. La danse est en effet l'expression du tango la plus visible en dehors de l'Argentine. Mais dans l'univers du tango, elle est la moins féconde, puisque une énorme partie des milongas fonctionnent à partir d'enregistrements des années 20, 30 et 40 et ne font donc que très rarement travailler les musiciens d'aujourd'hui, ce que vous constatez dans mes articles : les concerts dans les milongas existent mais en toute petite quantité. Dans ces conditions, il est normal que les musiciens soient très peu nombreux à composer, de nos jours, pour la danse. Dans les années 20, 30 et 40, les cabarets étaient les plus gros employeurs des musiciens. Par conséquent, les musiciens jouaient pour les clients, des hommes riches qui venaient prendre du bon temps, seuls, sans femmes ni enfants, et danser avec des hôtesses de charme de mauvaise réputation, les milongueras, qui étaient employées par les cabarets à cet effet, ou des courtisanes, puisque ces patriciens et ces fils à papa entretenaient souvent une maîtresse attitrée. Les musiciens et les compositeurs, les D'Arienzo, Pugliese, Di Sarli, Troilo, Canaro et autre Miguel Caló ou Osvaldo Fresedo, travaillaient donc essentiellement pour le bal. Des musiciens plus jeunes, comme Astor Piazzolla ou Horacio Salgán, qui ont inventé le tango para escuchar parce qu'ils voulaient jouer pour des auditeurs plutôt que pour des danseurs, passaient pour des martiens. Aujoud'hui, la situation s'est inversée : les musiciens font très majoritairement du tango para escuchar et le tango para bailar, c'est celui d'autrefois, un tango muséifié avec ses 78 et 33 tours remasterisés sur CD. C'est la raison pour laquelle ici, dans ce blog, je me préoccupe prioritairement des poètes, des compositeurs, des auteurs-compositeurs-interprètes et des chanteurs, qui composent, écrivent, jouent et chantent pour être écoutés, car ce sont eux qui portent le présent et l'avenir du genre.