samedi 11 septembre 2010

Le Festival de Buenos Aires en quelques images... mais c'est triste [Retour sur images]

Un Festival de Buenos Aires bien triste cette année.
D'abord à cause du lieu très inaproprié, j'en ai parlé depuis Buenos Aires il y a quelques jours (voir mon article du 27 août 2010). Certes, on ne peut pas en tenir rigueur au Ministère de la Culture qui avait compté sur l'ancien magasin Harrods comme l'année passée et a dû, dans l'urgence, se rabattre sur l'ancien siège social d'une banque du temps de Perón où il a fallu, dès la seconde semaine, retirer la moitié des chaises de la salle de spectacle pour permettre aux spectateurs, trop nombreux pour l'exiguïté du local, d'assister aux concerts... debout. Ce qui vous explique pourquoi j'ai peu de photos. Comment voulez-vous trouver du plaisir à écouter un concert debout, pressé dans la foule comme dans le métro à l'heure de pointe

Mais au-delà de ces circonstances malheureuses et accidentelles, ce festival a marché sur la tête pendant deux semaines. Entre les ambitions affichées, à grand coup de mots d'esprit provocateurs (1), et la mise en oeuvre choisie, il y a un gouffre irréductible et une contradiction avérée.

Cette année, l'ambition politique du Gouvernement portègne était ouvertement de faire du Festival l'atout majeur du tourisme étranger et de l'entrée de devises dans la ville. Cela n'avait jamais été dit plus clairement depuis l'arrivée aux commandes de Mauricio Macri.

La mise en oeuvre a été totalement anarchique et en permanence à contretemps de cet objectif...

Puisqu'il était question d'attirer les touristes et de rendre encore plus attractive l'image de marque de la capitale aux yeux des touristes friands de tango, n'eût-il pas mieux valu impliquer dans l'événement les nombreux grands hôtels de Buenos Aires qui disposent de grandes salles de réception où il était possible d'organiser concerts et milongas, le réseau des Bares Notables dont l'organisation de concerts et de conférences fait partie du cahier des charges, le Casino Flottant à Puerto Madero, les sièges sociaux de banques, les organisations professionnelles et autres chambres de métiers qui, tous ou presque tous, disposent dans leurs locaux, fort bien situés dans la ville, d'auditoriums bien équipés où ils organisent conférences et spectacles ? Quand j'ai évoqué cette idée devant mes amis à Buenos Aires, ils m'ont tous répondu que ça aurait coûté très cher. Est-ce à dire que ce Gouvernement, si fier de ses liens avec le monde des affaires et du commerce, ce Gouvernement qui vante les mérites de la culture, pourtant ultra-mercantile, des Etats-Unis, n'est pas en mesure de faire valoir aux décideurs économiques portègnes les retombées en termes de chiffre d'affaires et de notoriété pour chaque établissement qui aurait mis gratuitement à disposition du festival ses locaux pour tout au plus une ou deux manifestations à la charge de chacun d'entre eux ? A y perdre son latin ou son lunfardo...

Avec cela, pour les spectacles organisés dans les 5 ou 6 théâtres impliqués, les places ont été délivrées au public, sur place, à la Casa de Cultura et nulle part ailleurs, 15 jours avant le jour J. A raison de deux places par personne et pour pas plus de deux spectacles différents. Or 15 jours avant le jour J, croyez-vous que les touristes, auxquels le festival est censé s'adresser, soient déjà arrivés ? Bien sûr que non. Alors que se passe-t-il ? Il se monté un marché noir de revente des places gratuites. Une amie française (j'en ai très peu là-bas mais j'en ai au moins une) m'a raconté avoir dû payer 50 pesos (ce qui est une gentille somme là-bas) une place à l'une des finales du Mundial et la personne qui la lui avait vendue l'avait elle-même achetée 12 pesos. Pire encore : il y avait des places vides dans les spectacles des grands théâtres (Teatro de la Ribera, Teatro del 25 de Mayo, Teatro Alvear, Centro Cultural Recoleta etc). Pourquoi ? Parce que les participants au Festival, eux-mêmes invités à divers spectacles de la manifestation, ont reçu leurs propres places 2 heures avant les levers de rideau et n'ont donc pas pu ni en profiter eux-mêmes ni en faire profiter leur entourage (comment voulez-vous téléphoner à quelqu'un deux heures avant un spectacle ? Ou il n'est pas chez lui, ou il est à un autre spectacle avec le portable éteint...). Le dimanche 5 septembre au matin, j'ai ainsi appris que j'aurais pu aller applaudir le chanteur Horacio Molina au 25 de Mayo (voir mon article du 22 août 2010) mais l'amie qui m'aurait cédé sa place ignorait tout de mes allées et venues et n'a donc pas pensé à m'appeler lorsqu'elle a ouvert son enveloppe vers 17h ce jour-là.

Il eût été logique, surtout avec la survalorisation du Mundial mise en oeuvre par le gouvernement portègne, que, pour les différentes épreuves du tournoi, un certain quota de places soit mis à la disposition des écoles de danse ayant pignon sur rue : celles de Mora Godoy, Carlos Copello, Gloria et Eduardo Arquimbau, la Escuela Argentina de Tango, la Academia Nacional del Tango, le Museo Casa Carlos Gardel, l'AMBCTA (pour ses adhérents) etc. Elles auraient pu les répartir entre leurs élèves, souvent eux-mêmes des touristes et pour cause... Cela ne fut pas le cas.

Parlons de l'accueil des journalistes étrangers (je n'en fais pas partie) : ils ne savaient pas à qui adresser leurs demandes d'accréditation. On leur disait qu'il fallait qu'ils voient avec Pablo. Mais ils étaient quatre hommes à porter ce prénom dans l'équipe d'organisation. Croyez-vous qu'on leur aurait indiqué le patronyme du Pablo en question ? Vous voulez rire !... Que l'autre Pablo aurait passé le message à son collègue ? Et puis quoi encore ! C'est que de très nombreux bons éléments ont désormais quitté les services municipaux, trop agacés par les demandes contradictoires d'une prétendue gestion professionnelle de la Ville, que ses gouvernants actuels entendent gérer comme une entreprise. Mais si le groupe industriel à la tête duquel se trouvent Macri et sa famille est géré de cette manière, il est étonnant qu'il soit à ce point prospère.

Le lendemain de la finale de Tango de scène, le 1er septembre, les journalistes de La 2x4 nous annonçaient triomphalement le nombre de touristes qu'avait attirés la manifestation, ils savaient nous détailler le nombre de touristes étrangers (étais-je comprise dans ces étranges statistiques ?) et celui des touristes de l'intérieur du pays ainsi que le nombre de millions de dollars qu'ils avaient dépensés. C'était prendre l'auditeur pour un imbécile. Il n'y a pas un seul pays au monde qui soit outillé pour collecter autant de données si variées et en assurer la consolidation du soir minuit au lendemain matin 10h. Dieu sait si j'aime l'Argentine et si j'apprécie la débrouillardise incroyable de ses habitants mais si ce pays était capable d'un tel exploit technologique et comptable, je pense que dans l'ensemble son économie se porterait mieux...

Sans parler de la programmation et de sa pauvreté, pour ne pas dire son indigence. Certes, tout ce qui était prévu était bon mais la quantité n'était pas au rendez-vous et la plupart des propositions étaient liées à des événements commerciaux (sortie de livres, de disques ou de films), ce qui transformait le festival en foire au tango. Et pourquoi pas organiser aussi, en plus du festival, un salon du tango pour exposer et vendre les disques, les livres, les DVD, les chaussures, les cours, les vêtements (2) ? Mais parlons alors de salon dans ce cas, pas de festival !

Dans l'ensemble, j'ai trouvé la communauté artistique et culturelle encore plus remontée contre le Gouvernement de Buenos Aires que l'année dernière, et ce n'est pas peu dire. A chaque mois d'août, je constate que la colère et l'exaspération montent chez eux de plusieurs degrés. Et cette année, la grimpette est costaude...


L'affiche du festival, dans la station de métro Florida (vous la trouvez chouette, cette affiche, vous ?). On reconnaît à peu près Gardel et Pugliese (merci aux lunettes). Quant à la femme, j'ai dû demander aux amis de qui il s'agissait. Seule, je ne l'avais pas reconnue. Il paraît que c'est Tita Merello. Pobrecita ! Le T-shirt siglé avec ces trois visages coûtait 55 pesos (je ne l'ai pas acheté).


L'entrée du Punto de Encuentro... qui servait aussi de milonga. Pas très pratique pour accéder à la partie salle de spectacle, au-delà, et aux malheureux 12 réduits où s'étaient casés tant bien que mal les 12 exposants de ce festival (une misère, par rapport au nombre d'exposants d'il y a deux ans).


Cecilia Bonardi avec Pulso Ciudadano dans un très beau concert qui fut fort applaudi. Et derrière elle, l'écran lumineux qui m'a obligée à sortir les lunettes de soleil (et je n'étais pas la seule dans ce cas)


Raúl Luzzi (à la guitare) et ses musiciens


La salle de spectacle, une fois retiré le deuxième carré de sièges. Il ne restait plus que 8 rangs de 16 chaises en tout et pour tout. Un peu maigre pour une ville de 3 millions d'habitants, non ?

Du coup, c'est ce qui s'est passé en dehors du festival, et qui était souvent payant, qui formait la sève tanguera de Buenos Aires cette année bien plus que la programmation officielle et c'est le dehors qui m'a fourni mes plus belles photos et mes plus forts souvenirs... Le pire de tout ça, c'est que c'est Gustavo Mozzi qui porte la responsabilité nominale du désastre et qu'il n'y est sûrement pas pour grand-chose.

(1) Le tango est le soja de la ville de Buenos Aires, avait proclamé Mauricio Macri en présentant le programme. Voir mon article du 5 août 2010.
(2) En fait, pour ce qui est des vêtements, les boutiques spécialisées sont une forme d'arnaque à touriste. Il n'y a pas de vêtement spécifique pour danser le tango. N'importe quelle tenue souple et confortable fait l'affaire, pour l'homme comme pour la femme, avec un peu de bon goût pour la choisir. Ce qu'on vend sous le vocable vêtement de tango n'est rien d'autre qu'une tenue excentrique, inspirée de la scène ou des exhibitions de patinage artistique, et vendue très cher parce qu'étiquetée tango. Si vous êtes danseur professionnel, la situation est différente : vous ne cherchez pas des vêtements mais une tenue de scène et c'est l'affaire du producteur de votre spectacle et du costumier qu'il a chargé de ce boulot.