mardi 21 septembre 2010

Une 102ème identification célébrée par Abuelas [Actu]

L’association Abuelas de Plaza de Mayo, les Grands-Mères de la Place de Mai, vient d’annoncer que la justice argentine a pu identifier une nouvelle personne enlevée enfant à sa famille biologique sous la Dictature. Par respect pour la réaction affective de ce jeune homme, le nom sous lequel il est connu aujourd’hui, celui sous lequel il a donc été adopté frauduleusement, n’a pas été communiqué.

Ce jeune homme, qui est la 102ème personne dans ce cas à être identifiée, est le fils de deux militants montoneros, le mouvement révolutionnaire qui occupait l’aile extrême-gauche du péronisme dans les années 60 et 70 : sa mère s’appelait María Graciela Tauro, elle vivait à Bahía Blanca et, une fois installée à Buenos Aires, elle a travaillé dans une usine après ses trois années de biochimie à l’Universidad Nacional del Sur dans sa ville natale. Le père, quant à lui, s’appelait Jorge Daniel Rochistein, il avait fait des études d’économie à la même université. Tous deux venaient de milieux humbles. Ils se sont connus dans les rangs montoneros et se sont mariés le 30 janvier 1976 à Buenos Aires, l’année du coup d’état, qui eut lieu le 24 mars. Ils furent arrêtés le 15 mai, elle était enceinte de 4 mois et demi. On sait qu’elle a accouché à Buenos Aires, dans les geôles de l’ESMA, cette ancienne école supérieure de mécanique de la Marine qui a été reconvertie il y a quelques années en centre culturel et où Madres de Plaza de Mayo, les Mères de la Place de Mai, a installé ECuNHi, leur Espace Culturel Nos Enfants, à Palermo. On sait aussi qu’ils ont été tous les deux assassinés sommairement quelques temps après pendant un prétendu affrontement entre guerrilleros et troupes loyales au régime, ce qui était la mise en scène habituelle des exécutions sans jugement.

L’enquête qui a abouti à l’identification du jeune homme a commencé il y a 10 ans, à la suite d’aveux faits au cours de son procès par un bourreau de la dictature (represor). C’est la mère de María Graciela qui a déclenché l’action judiciaire. Madame Nelly Cecilia Wuiovich de Tauro a aujourd’hui 86 ans et vit à Mar del Plata. C’est elle qui a décidé de ne pas révéler le nom de ce petit-fils qu’elle a cherché pendant 34 ans et qui ne veut pas se rapprocher d’elle.

En effet, comme c’est aussi le cas des enfants Noble Herrera, fils et fille adoptifs de la propriétaire du groupe Clarín et dont l’identité de naissance est toujours inconnue, le jeune homme, qui serait avocat, spécialisé dans les questions d’écologie et fonctionnaire national, a refusé de se prêter aux tests ADN. Il a donc fallu que la Cour Suprême l’y contraigne car l’identification des personnes disparues n’est pas une question de commodité personnelle et subjective en Argentine mais bel et bien un enjeu d’ordre public : il s’agit de rétablir un Etat Civil qui a été perturbé par des pratiques qui violaient gravement la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont l’Argentine est signataire, le fondement universel du droit des personnes.

Aujourd’hui, Abuelas respecte le choix du jeune homme de ne pas se rapprocher de sa famille biologique et de rester sentimentalement attaché à son père adoptif, lequel est en fuite depuis de nombreuses années et sera arrêté s’il réapparaît, comme tous les parents adoptifs qui se sont emparés d’enfants dont ils savaient l’identité trafiquée.

Pour en savoir plus :
Ecouter le reportage de Radio Provincia Buenos Aires (les parents disparus étaient tout deux bonaerenses et la grand-mère maternelle aussi puisqu’elle habite Mar del Plata).
Curieusement, La Nación reste muette sur cette nouvelle. Peut-être préfère-t-elle s’intéresser à un autre fait du jour, traditionnel celui-là, el Día del Estudiante, la Fête des Etudiants, qui se célèbre chaque 21 septembre, au premier jour du printemps…

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