L'information était plus qu'attendue avec ces sondages pré-électoraux qui lui accordent déjà plus de 50% des intentions de votes, au moins dans Buenos Aires et la Province homonyme, qui, à elles deux, regroupent un quart de la population du pays, tandis que son rival le plus sérieux, Ricardo Alfonsín, le fils du défunt président Raúl Alfonsín, se traîne péniblement aux alentours de 15%. Et pourtant elle a réussi à en faire une annonce qui a surpris tout le monde hier soir à la Casa Rosada et tous les téléspectateurs qui suivaient sur le petit écran la conférence que la Présidente donnait pour annoncer un nouveau plan gouvernemental pour la télévision (televisores para todos), avec l'ouverture de 220 canaux dont l'Etat va attribuer les concessions dans les mois à venir, dans le prolongement de cette loi sur les medias, qui est l'un des points forts de son mandat et qui est si fort décriée par son opposition.
Cristina Fernández de Kirchner est donc candidate à sa propre succession à la magistrature suprême. Elle est ainsi non seulement la première femme élue à la Présidence de la République au suffrage directe (le précédent de Isabel Perón était en fait la succession d'un président défunt par sa vice-présidente,elle-même non élue), mais elle est aussi le 3ème chef d'Etat du pays à briguer un second mandat immédiat. Les deux autres sont Juan Domingo Perón lui-même, elle y a d'ailleurs fait allusion dans son discours, et Carlos Menem, dont il vaut mieux ne pas parler (c'est sa politique économique ultra-libérale qui a entraîné le pays dans la retentissante faillite de décembre 2001). Les deux premiers avaient été réélus.
Et cerise sur le gâteau de cet art de la communication politique, Cristina s'est offert le luxe de faire retenir leur respiration à tous ses partisans lorsqu'elle leur a fait envisager pendant quelques secondes qu'avant samedi elle annoncerait en fait son retrait... En retraçant l'histoire de la télévision en Argentine, elle a en effet rappelé, sous le portrait de l'idole, les deux interventions télévisées historiques de Eva Perón : la première, le 17 octobre 1951, lorsque la télévision argentine fit de la retransmission de son discours du Día de la Lealtad (la fête de la loyauté) sa toute première émission (le discours est resté dans toutes les mémoires alors que ce petit bout de femme s'acheminait vers sa mort précoce), et le second quand Evita a annoncé qu'elle ne serait pas la partenaire de formule de son mari, pour son deuxième mandat, une vice-présidente pourtant réclamée par la vox populi et qui renonçait, déjà vaincue par un cancer qui allait l'emporter six mois après la réélection de son mari. Et quand les personnalités présentes à la Casa Rosada ont entendu Cristina rappeler ce discours tragique, dans cette même salle où fin octobre, elle-même et tous les Corps constitués avaient veillé son propre mari, Néstor Kirchner (voir mon article du 29 octobre 2010 sur ce sujet), il y a, dit-on, plus d'un coeur qui s'est arrêté de battre. Renoncer, elle, alors que rien ne semble capable d'entraver sa marche triomphale... Elle dont le bilan est apprécié d'une très large majorité du pays... Quelle catastrophe !
Et puis, l'air de rien, comme elle sait si bien le faire, elle a sorti LA phrase, sans jamais prononcer ni le mot élection ni le mot candidature (chapeau l'artiste !), à la surprise générale, y compris celle de ses plus proches conseillers à qui elle n'avait rien révélé de ses intentions du jour. Elle a juste dit : "Nous allons continuer à avancer". Et la salle a éclaté en applaudissements.
Cristina est candidate. Il lui reste à annoncer le nom de son futur vice-président.
Il y a quelques semaines, on avançait celui de Amadou Boudou, le fringant ministre de l'Economie, qui est en train de régler les questions pendantes de la dette extérieure après une brillante gestion à la tête de la Sécurité Sociale (l'ANSeS) et le passage à la retraite par répartition universelle en 2008. Fin du suspens avant samedi soir, date limite de clôture pour les candidatures nationales.
Elle avait bien mis en scène son annonce. Cette femme n'est pas avocate pour rien. Elle a expliqué qu'elle connaissait sa décision depuis le 28 octobre dernier. Or le 28 octobre dernier, il y avait tout autour de la Casa Rosada des foules en deuil qui lui criaient des encouragements : Fuerza Cristina (courage, Cristina). "J'ai toujours su ce que j'avais à faire et ce que je devais faire", a-t-elle dit hier soir, devant le parterre de VIP et les téléspectateurs de Canal 7, la chaîne généraliste du service public argentin, qui se déploie maintenant en 3 canaux, dont deux sont réservés à la culture.
Dans la presse ce matin, les fractures politiques du pays se montrent jusqu'à la caricature.
Página/12 pavoise et Clarín et La Nación font grise mine. L'un aligne dans son édition de ce matin les raisons de croire à un triomphe électoral, les deux autres cherchent à ternir autant qu'il est encore possible l'image d'une candidate dont ils n'ont pas encore pu atténuer l'éclat (1). Clarín et La Nación glosent en particulier sur l'absence hier de deux poids lourds du kirchnerisme, Hebe de Bonafini, la Présidente de Madres de Plaza de Mayo, en but à un scandale de malversations dans les comptes d'une fondation dont elle a licencié 16 salariés et révoqué le mandataire social, et Hugo Moyano, le secrétaire général de la CGT, lui aussi poursuivi, par la justice suisse, pour des affaires de gros sous et dont la Présidente s'est désolidarisée il y a de cela plusieurs mois. En ce qui concerne Hebe de Bonafini, il n'est pas impossible que ce soit la vieille dame elle-même qui ait décliné l'invitation, car les ONG des droits de l'homme ont clairement conscience de l'utilisation qui est faite du scandale par les forces d'opposition et du danger que ces forces représentent, un danger qui n'est pas encore tout à fait écarté à leurs yeux d'un retour à des moeurs politiques bien peu démocratiques.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín
(1) Et ce n'est pas faute d'avoir cherché à le faire. Que les habitués de Barrio de Tango se rappellent l'exploitation qui a été faite de deux grosses crises surgies après la mort de Néstor Kirchner, les émeutes de Villa Soldati en décembre dernier, et tout récemment le scandale Schoklender, dans l'entourage de Madres de Plaza de Mayo. Cliquez sur les liens pour accéder aux articles s'y rapportant dans ce blog.