Le poète argentin Juan Gelman, qui est aussi éditorialiste au quotidien Página/12, est en procès depuis de nombreuses années contre l'Etat uruguayen en vue de faire ouvrir une instruction concernant la disparition de sa belle-fille en 1976 et l'adoption illégale de sa petite-fille, qu'il a, depuis, pu identifier et connaître. Comme en Argentine, les enfants en bas-âge des opposants arrêtés en Uruguay ou ailleurs en Amérique du Sud par les forces de l'ordre uruguayennes, dans le cadre du Plan Condor, vaste accord multilatéral permettant à tous les Etats partipants de procéder à des arrestations sur le territoire de n'importe quel autre pays participant, ont été volés à leur famille légitime pour être confiés en adoption plénière à des familles affidées à la junte militaire sous des identités falsifiées.
Or depuis toutes ces années, l'Etat uruguayen opposait aux plaignants la loi dit de caducité (Ley de Caducidad), une loi d'amnistie qui protège depuis 1986 les bourreaux de la Dictature de 1973-1985. L'ancien Président Tabaré Vázquez avait fait de nombreux efforts pour obtenir l'abolitin de cette loi, jusqu'à organiser, il y a environ un an et demi, un référendum qui a été gagné par les partisans de la loi (voir mon article du 21 octobre 2009 à ce sujet). L'actuel Président, Pepe Mujica, qui fut pourtant un guerrillero fervent et audacieux, est quant à lui plus réservé car il pense qu'il y a dans toutes les exigences de justice sur ces matières une part de désir de vengeance chez les plaignants et il a cela en horreur.
Quoi qu'il en soit, l'arrêt que la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme a rendu hier exige que l'Uruguay cesse d'appliquer cette loi. Ainsi donc d'ici quelques semaines, le Parlement devrait-il inscrire à son ordre du jour son abolition. Grande victoire pour les militants des Droits de l'Homme qui l'ont fêtée hier comme vous pouvez l'imaginer, avec à leur tête l'ONG Madres y Familiares de Uruguay, qui mène un combat similaire à celui de Abuelas de Plaza de Mayo et Madres de Plaza de Mayo dans le pays voisin.
Le fils de Juan Gelman, Marcelo, qui avait alors 20 ans, et sa femme, María Claudia García Iruretagoyena, 19 ans, enceinte de 7 mois, ont été appréhendés à Buenos Aires en août 1976. La jeune femme a été par la suite détenue à Montevideo, où après quelques semaines de captivité, elle a mis au monde une petite fille à l'Hôpital Militaire. Elle a ensuite disparu. Nul ne sait ce qu'elle est devenue ni où se trouve son corps. Les restes de Marcelo, quant à eux, ont été identifiés par la Police Scientifique argentine en 1989. Et à 23 ans, Macarena, leur fille, a retrouvé son identité de naissance et fait la connaissance de son grand-père parternel qui la cherchait depuis l'arrestation de ses parents.
Tous deux ensemble se sont portés partie civile dans l'enquête concernant le sort de María Claudia et c'est ensemble qu'ils ont entendu l'arrêt prononcé hier par la Cour Interaméricaine.
Ce matin, le Gouvernement uruguayen n'avait pas commenté la décision judiciaire qui va l'obliger à diligenter enfin une enquête qui a trop tardé et tant d'autres recherches, entravées jusqu'à présent par le vote en 1986 de cette loi, un an après la fin de la Dictature.
Hier, l'Argentine fêtait le Jour de la Mémoire, de la Vérité et de la Justice, en commémoraison du putch de Jorge Videla, le 24 mars 1977.
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