Dans son dernier discours de politique générale devant la Chambre de Députés, hier, en ouverture de la nouvelle session parlementaire, qui est la dernière de cette mandature gouvernementale, la Présidente argentine Cristina Fernández de Kirchner a annoncé un certain nombre de nouvelles mesures législatives qui vont rapprocher l'Argentine de la situation socio-sanitaire d'un pays doté d'un Etat-Providence, où la population bénéficie de fait d'une meilleure qualité de vie que celle qui existe actuellement dans les pays d'Amérique du Sud, y compris au Brésil, en Argentine et en Uruguay, qui sont, dans le sous-continent, les pays les plus développés en la matière (Costa Rica excepté).
En effet, en 2011, la Chef d'Etat présentera un projet de loi pour étendre aux femmes enceintes le bénéfice de l'allocation familiale universelle (asignación universal por hijo), qui, depuis plus d'un an, est versée tous les mois à tous les parents d'enfants mineurs, y compris les pères et mères chômeurs ou travailleurs au noir.
Ce genre de mesures, qui représentent emblématiques de la politique péroniste telle qu'elle fut mise en place dès 1946 par le couple Perón lui-même, est très mal reçu par l'opposition, en particulier l'opposition libérale (de droite), qui y voit une forme d'assistanat qui ôte le goût du travail aux habitants du pays. Beaucoup des citoyens que ces mesures choquent ignorent de fait que ce sont ces mêmes mesures et non pas un coup de bagette magique qui ont fit monter en Europe occidentale le niveau de santé publique à des hauteurs uniques dans l'histoire de l'humanité, reflété dans la longévité, les taux de mortalité générale et infantile et les taux de fécondité sous nos latitudes. Un autre argument contre la prise de mesure de cet ordre réside aussi dans le refus de la prise en charge de ce genre de politique par le niveau fédéral puisqu'une bonne part de la politique sociale est constitutionnellement laissée à l'appréciation des différentes Provinces. La posture interventionniste de la Présidente est donc vécue comme une ingérence qui affaiblit le caractère fédéral (et quelque peu fictif) du pays et renforce le centralisme effectif de l'organisation politique nationale (1).
Cette allocation maternité ou grossesse sera versée à toute femme enceinte à partir du 3ème mois de gestation, sous réserve qu'elle soit suivie tout au long de sa grossesse par un médecin et qu'elle en apporte la preuve (2), une manière de rendre obligatoires les visites médicales auxquelles sont astreintes les femmes dans la plupart de nos pays, visites systématiques nous devons la baisse notable des accidents de naissance, des fausses couches et de la mortalité des femmes et des bébés au moment de l'accouchement (voir mon dernier article sur la montée de la mortalité infantile dans la ville de Buenos Aires).
Cristina Kirchner a aussi annoncé des mesures concernant l'adoption, qui est peu développée en Argentine, essentiellement pour des raisons historiques (3).
Par ailleurs, elle ne s'est pas annoncé candidate à sa propre réélection, ce dont les journaux de l'opposition se gaussaient ce matin.
Hier aussi, ont eu lieu la plupart des rentrées parlementaires dans toutes les Provinces, en particulier celle de la Legislatura Porteña, avec un discours assez agressif de Mauricio Macri qui a réclamé, une fois de plus, des rallonges budgétaires (or on sait ce qu'il fait ou plutôt ce qu'il ne fait pas avec tout cet argent qui part enrichir les intermédiaires des prêts aux taux pharaoniques qu'il négocie avec l'argent public ainsi voté, voir mon article du 21 février 2011 à ce sujet), et celle de la Legislatura de la Provincia de Buenos Aires, où le Gouverneur, Daniel Scioli, l'un des soutiens de la Présidente, a promis de rétablir la sécurité publique.
Il y a plusieurs mois en effet, une jeune femme enceinte s'était fait agresser à La Plata, lors d'un hold-up très violent perpétré à la sortie d'une agence bancaire, avec peut-être des complicités dans le personnel de l'agence. Elle avait perdu son bébé dans les heures qui avaient suivi son agression. Et quelques mois plus tard, après qu'elle avait témoigné devant le juge qui instruit l'enquête, elle et son mari avaient annoncé qu'ils allaient quitter le pays pour s'installer à l'étranger, ne supportant plus continuer à vivre en Argentine après le traumatisme qu'ils avaient subi. Ce fait divers, particulièrement dramatique, avait été monté en épingle par les médias et par les avocats de la famille du bébé avorté. Il a empoisonné la vie politique de la Province jusqu'à ce jour.
Ce matin, au lendemain de cette rentrée parlementaire, les commentaires de la presse variaient beaucoup selon la ligne politique de chaque journal.
Le discours complet de la Présidente, qui a parlé plus d'une heure et demie, est disponible sur le site de la Casa Rosada, où vous pouvez aussi regarder la vidéo et même la télécharger. Indépendamment des idées et des projets politiques qui sont les siens, Cristina Fernández de Kirchner est une excellente oratrice, qui parle sans note, avec une diction superbe. C'est donc une très belle manière d'aborder la langue de l'Argentine que de l'écouter et de la regarder parler, grâce à ces vidéos gratuites que l'on peut consulter, arrêter et repasser à son rythme...
Lire le communiqué de presse officiel (avec résumé du discours) sur le site de la Présidence argentine.
Lire le texte intégral du discours, sur ce même site.
(Cliquez sur l'onglet vidéo pour regarder le discours ou le télécharger).
Par ailleurs, les commentaires politiques ne sont pas dénués d'intérêt en ce redémarrage de campagne électorale.
Pour aller plus loin :
lire l'article de une de Página/12, centré sur l'instauration de la nouvelle allocation maternité
lire le billet d'analyse de l'ensemble des discours de Cristina Kirchner, sur Página/12
lire l'article de Página/12 sur la rentrée parlementaire à Buenos Aires (Legislatura porteña)
lire l'article de Página/12 sur la rentrée parlementaire à La Plata
Página/12 soutient le gouvernement national et est férocement opposé à la politique de Mauricio Macri à Buenos Aires
Lire l'article de La Nación sur le discours présidentiel
lire l'analyse électorale de ce discours publiée par La Nación
lire l'éditorial critique de La Nación
La Nación est un journal de tendance libérale (droite, dans l'opposition nationale, proche de la politique de Mauricio Macri, malgré des désaccords de plus en plus marqués à cause des scandales qui affectent de plus en plus le mandat de celui-ci)
lire l'éditorial critique de La Nación
La Nación est un journal de tendance libérale (droite, dans l'opposition nationale, proche de la politique de Mauricio Macri, malgré des désaccords de plus en plus marqués à cause des scandales qui affectent de plus en plus le mandat de celui-ci)
Lire l'article de Clarín sur le discours présidentiel
lire l'entrefilet de Clarín sur l'instauration de l'allocation maternité
lire l'article de Clarín sur la rentrée parlementaire à Buenos Aires
lire l'article de Clarín sur la rentrée parlementaire à La Plata
Clarín est extrêmement hostile à Cristina Kirchner, parce que ses mesures ont entamé le monopole médiatique de fait du groupe Clarín et mis très sérieusement sur la sellette la patronne du groupe sur une affaire politico-privée, liée aux adoptions frauduleuses d'enfants en bas-âge pendant la Dictature (1976-1983), dont le grand procès s'est ouvert lundi à Comodoro Py (lire mon article du 1er mars 2011 sur ce sujet).
(1) C'est l'un des grands paradoxes de l'histoire argentine, qui, presque dès l'indépendance, s'est développée autour du contentieux entre Unitarisme et Fédéralisme, deux courants de pensée politique qui se sont affrontés les armes à la main au cours d'une guerre civile qui aura duré 10 ans de combats sanglants (1824-1835) puis 20 ans d'hostilités perlées (1835-1852). Les Unitaristes étaient pour la plupart des libéraux, favorables au marché international de libre-échange à l'anglaise, tandis que les Fédéralistes étaient favorables au développement économique interne, marqué par une forte tendance autarcique et protectionniste, et ont pour descendance politique la gauche nationaliste de l'UCR (les radicaux apparus en 1890 dans la classe moyenne naissante) puis du PJ (Partido Justicialista fondé par Perón dans les années 1940). Or en 1852, les Unitaristes remportent la dernière grande bataille de la guerre civile, en mettant fin au gouvernement de Juan Manuel de Rosas, fédéraliste et latino-américaniste fervent, vaincu par les armes d'une coalition internationale (Province d'Entre-Rios, Uruguay et Brésil, armés en sous-main par la France et la Grande-Bretagne), le 3 février 1852. En 1856, les unitaristes au pouvoir votent la première constitution, qui fait de l'Argentine un état... fédéral. Et depuis lors, la gauche, descendante idéologique de Rosas, mène une politique centralisatrice mais sociale et la droite libérale, en dérégulant à tout va tout le champ du social et de l'économique, laisse prospérer les tendances fédéralistes qui continuent d'animer la vie politique du pays tout entier.
(2) L'allocation familiale universelle est aussi soumise à la fourniture, par le parent bénéficiaire, d'un certificat de scolarité et de la tenue à jour d'un livret de santé de l'enfant couvert par l'allocation. Je peux vous assurer que j'en ai vu le résultat dans le métro et les rues de Buenos Aires cet hiver, au mois d'août 2010 : il n'y avait plus de gamin qui mendiait, ni sous terre ni en surface. En hiver, les mômes sont à l'école au lieu de vendre des allumettes ou des images pieuses aux voyageurs ou aux touristes de la rue Florida ! Et cela, les Portègnes eux-mêmes le voient peu, ou mal ou pas du tout, car ils n'observent pas leur environnement quotidien comme peut le faire un étranger qui ne passe qu'un mois par an dans leur ville.
(3) Pendant la grande vague migratoire des années 1880-1930, le manque de femmes dans la population a donné lieu à une terrible traite des femmes, qui a donc multiplié le nombre de prostituées à Buenos Aires et dans sa région. Or les prostituées, lorsqu'elles tombent enceintes, tentent d'avorter ou abandonnent l'enfant qui a pu résister à ce traitement de choc. Une sorte de réprobation sociale a donc longtemps frappé les orphelins et autres enfants abandonnés adoptables en Argentine. Pourtant plusieurs d'entre ces enfants, qui ont tout leur vie tout ignoré de l'histoire de leur naissance, ont été des artistes ou de grands personnages dans l'histoire du pays. Le peintre boquense (de la Boca) Benito Quinquela Martín (1890-1977) en est sans doute le plus bel exemple.
Sur toutes ces questions historiques, voir aussi mon Vademecum historique, dont vous trouverez le raccourci dans la rubrique Petites chronologies de la partie médiane de la Colonne de droite.