Chamboulement calendaire cette année à Buenos Aires. Le carnaval commence aujourd'hui et non plus la deuxième semaine de février comme c'était le cas depuis de nombreuses années. Tout ça parce que la Présidente a rétabli l'année dernière le caractère férié du Lundi et du Mardi gras, que la Dictature avait supprimé pour empêcher la culmination des fêtes de carnaval ces deux jours-là (voir mon article du 15 septembre 2010 sur ce point)... C'est que le carnaval est resté en Amérique du Sud une vraie manifestation populaire à forte signification sociale et politique sous couvert de fantaisies et de déguisements tous plus fous les uns que les autres.
Dans la plupart des Provinces argentines, on n'a pas attendu ce jour pour faire carnaval, cette période festive qui précède traditionnellement l'entrée dans le temps plus austère qu'était autrefois le Carême, le Mercredi des Cendres (1). Normalement, le dernier jour du Carnaval est le Mardi Gras. Dans beaucoup de lieux néanmoins, même quand on a intégré Mardi gras au Carnaval comme c'est à nouveau le cas à Buenos Aires cette année, on a disjoint le carnaval du calendrier liturgique, ce qui fait que le carnaval peut s'étendre sur plusieurs semaines de carême.
Cette année, le caractère férié de ce long week-end sur l'ensemble du pays, alors qu'il n'avait été rétabli que selon la bonne volonté des Provinces jusqu'en 2010 (2), rend une telle dignité au Carnaval que Página/12 donne la parole à une anthopologue de l'Université de Buenos Aires, la UBA, Alicia Martín, qui observe depuis de nombreuses années les pratiques culturelles de différentes murgas de certains quartiers de la capitale argentine. Elle montre comment cette tradition de la murga a structuré la résistance à la dictature en offrant un outil d'expression et d'organisation qui ont permis qu'une constance culturelle soit maintenue, malgré les tentatives de la Dictature pour détruire la culture argentine et laisser la place aux intérêts économiques de l'industrie culturelle des Etats-Unis, ce pour quoi de nombreux militants des droits de l'homme voient dans la Dictature un travail génocidaire, au-delà des massacres d'opposants.
Mercredi prochain, Tango de Miércoles recevra au Centro Cultural de la Cooperación des murgas sur la scène de la Sala Osvaldo Pugliese (voir mon article du 2 mars 2011, sur le programme de ce mois de mars).
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 de ce matin, dont la une des pages culturelles illustre cet article.
(1) Aujourd'hui, et en tout cas dans l'hémisphère nord, le carême perd peu à peu son ancien et obsolète caractère austère, à part dans quelques communautés appartenant à des confessions un peu rabat-joie. Avec la déchristianisation galopante de nos sociétés et le fait que les chrétiens pratiquants constituent désormais une minorité très consciente de soi, le Carême retrouve de plus en plus et de mieux en mieux son caractère de préparation à la fête de Pâques et aux baptêmes de plus en plus communautaires de la Vigile de Pâques ou du Jour de Pâques, un caractère de prière intense qu'il avait troqué pour une sinistrose obligatoire tout au long du haut Moyen-Age, où il était difficile de donner un caractère particulier à cette époque de l'année autrement qu'en lui appliquant des restrictions encore plus sévères qu'à l'ordinaire, dans une société unanimement catholique et donc très conformiste sur le plan religieux.
(2) A Buenos Aires, le lundi et le mardi gras étaient fériés pour les fonctionnaires territoriaux depuis de nombreuses années mais n'étaient pas des jours fériés pour les salariés du secteur privé.