C'est un vrai costume que le très péroniste Premier Ministre argentin, Aníbal Fernández, vient de tailler au Chef du Gouvernement de Buenos Aires, l'ultra-libéral Mauricio Macri, qui entend bien se présenter à l'élection présidentielle qui se profile à l'horizon printanier du mois d'octobre prochain. Jugez-en plutôt. Voici la phrase avec laquelle le Premier Ministre a salué l'annonce, d'ailleurs totalement déplacée, de la grossesse de la nouvelle femme de Mauricio Macri, Juliana Awada (voir mon article du 20 septembre 2010 sur le reportage très "pipeul" que le magazine argentin Gente avait consacré au futur couple en août dernier) :
“Uno no puede en esos casos menos que desearle el bien, ¿no? No sé si le tengo que tirar buena onda a Macri, le tiro buena onda a su hijo, porque en definitiva es un inocente y me imagino que Dios le pondrá la mano para que le salgan las cosas bien. Como buen cristiano, le tengo que desear que no salga al papá, que le guste trabajar.”
Aníbal Fernández, cité par Página/12Dans ces cas-là, on ne peut pas moins que lui souhaiter le meilleur, non ? Je ne sais pas si je dois envoyer des bonnes ondes à Macri (1), j'envoie des bonnes ondes à son enfant, parce qu'en définitive, c'est un innocent et j'imagine que Dieu lui tendra la main pour que les choses tournent bien pour lui. En tant que bon chrétien, je dois lui souhaiter de ne pas ressembler à son papa, d'aimer le travail.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
C'est ce qui s'appelle habiller quelqu'un pour l'hiver, non ? (2)
Gageons que ce bébé ne fera pas partie, lui, des affreuses statistiques sur la mortalité infantile qui augmente à grande vitesse dans la capitale argentine, sous l'influence de la politique sociale menée par le présent gouvernement portègne (voir mon article du 14 décembre 2010 sur cette question).
Cette petite phrase politique du Premier Ministre a été citée hier par Página/12, le quotidien de gauche qui déteste Macri et qui aime Cristina de Kirchner, la Présidente péroniste qui gouverne le pays depuis le 10 décembre 2007 (3).
Par ailleurs, le couple est actuellement à Paris, alors que le Salon du Livre qui s'ouvre ce vendredi compte Buenos Aires parmi ses invités d'honneur. Monsieur pose ici, devant l'Ile de la Cité, et même plus précisément devant le Palais de Justice et le siège (toujours actuel, mais plus pour très longtemps) de la Police Judiciaire, le fameux Quai des Orfèvres (4) immortalisé par le cinéma et le polar. Le titre de Página/12 brocarde donc ce énième voyage en Europe en rappelant qu'avec ce déplacement, Mauricio Macri échappe une nouvelle fois à ses obligations judicaires. Il est en effet à nouveau convoqué à Buenos Aires et pour la troisième fois, par le juge qui enquête sur l'affaire de la milice privée UCEP, qui, pour le compte du Gouvernement portègne, tabassait les indigents pour leur faire fuir la Capitale argentine (voir mon article du 7 février 2011 sur la deuxième convocation, à laquelle il ne s'est pas rendu, fin février, prétextant un déjeuner de campagne électorale, tandis qu'il était déjà parvenu à faire reporter la première). Le gros titre de cette édition de ce matin n'est autre que celui d'un célèbre tango, Anclao en París, du poète Enrique Cadícamo et du compositeur Guillermo Barbieri, guitariste de Carlos Gardel (pour qui ce tango fut écrit) et qui mourut avec lui à Medellín, le 24 juin 1935 (5). La manchette supérieure fait, quant à elle, allusion à la crise nucléaire au Japon.
Pour vous reporter à l'entrefilet de Página/12, cliquez sur le lien.
(1) Les bonnes ondes, la buena onda ou las buenas ondas : c'est une forte croyance, très unanimement partagée par tous les Argentins, et qui leur vient des traditions amérindiennes, totalement digérée dans un syncrétisme qui n'a jamais dit son nom mais n'en est pas moins bien réel. Il s'agit d'une opposition constante dans le monde entre la buena onda et la mufa (le mauvais sort). Certaines personnes, certaines oeuvres, certaines phrases sont mufa (elles portent malheur), c'est le cas de l'ancien président Carlos Menem par exemple, et même du compositeur Carlos Di Sarli, qui en souffrit beaucoup dans sa carrière. En revanche, d'autres personnes, d'autres oeuvres, d'autres phrases portent bonheur, tiran buena onda (jettent des bonnes ondes) ou llevan suerte (portent chance). C'est le cas du compositeur Osvaldo Pugliese, dont le seul nom est un porte-bonheur. C'est aussi le cas de Carlos Gardel.
(2) "habiller quelqu'un pour l'hiver" : expression idiomatique populaire française par laquelle on désigne une critique très sévère contre la personne en question. L'expression "tailler un costume" (ou en argot "tailler un costard") dit la même chose, avec une nuance nettement plus agressive.
(3) Cristina de Kirchner n'a pas encore annoncé ses intentions concernant sa candidature. Elle est en tête des sondages d'intentions de vote même si les sondages des dernières semaines faisaient apparaître qu'aucun des présidentiables identifiés ne pourrait être élu au premier tour. Néanmoins ce week-end, c'est une Gouverneur péroniste kirchneriste que viennent d'élire les habitants de la Province de Catamarca. Cette élection partielle semble de buena onda pour l'avenir politique de Cristina et a été saluée comme telle lundi par Página/12 (voir le lien vers le site dans la rubrique Actu, dans la partie basse de la Colonne de droite) et une bonne partie de la gauche argentine, qui redoute beaucoup les politiques ultra-libérales annoncées par les candidats de la droite, toutes tendances confondues.
(4) Pour mes lecteurs étrangers et en particulier pour les Portègnes, qui lisent ce blog, cette image mérite quelques commentaires : le premier bâtiment que vous voyez au-dessus de l'épaule de Macri, c'est la Conciergerie, un vieux palais citadin qui servit de prison à la famille royale pendant la Révolution. Il abrite aujourd'hui un musée historique et notamment le dernier cachot de Marie-Antoinette, une partie du Palais de Justice et, hors cadre, plus loin sur votre gauche, la Sainte Chapelle. Derrière la Conciergerie, avec cette tour pointue que l'on voit à peine, au-delà du pont, c'est le fameux Quai des Orfèvres qui abrite les locaux de la Police Judiciaire, dont les services vont bientôt déménager pour d'autres locaux, plus modernes et plus confortables, mais qui ne possèderont plus ce cachet des vieux monuments historiques qui auront attaché leur nom à des films et, en l'occurrence pour celui-ci, à presque tous les romans policiers de Simenon... Je ne peux pas imaginer un seul instant que la rédaction de Página/12 ait choisi ce cliché sans savoir ce qu'il représente dans la capitale française.
(5) Anclao en París fait partie des 231 tangos, valses et milongas que j'ai traduits dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, sortie en mai 2010 aux Editions du Jasmin, p 284. On aura l'occasion de le voir pendant l'une des rencontres littéraires que j'anime à Paris depuis le début février, à l'Académie Esprit Tango (M° Avron) et à l'Espace Tango Negro (M° Anvers). Sur le livre comme sur les rencontres littéraires, voir les raccourcis de la rubrique Agenda de Barrio de Tango, en haut de la Colonne de droite.