lundi 21 mars 2011

Sortie de La Cantante de Tango en France : le 30 mars 2011 [ici]

Le film franco-germano-argentin La Cantante de Tango, du réalisateur argentin installé à Bruxelles Diego Martínez Vignatti, sorti en Belgique l'année dernière, sortira en France le 30 mars prochain. Je vous en ai déjà parlé à plusieurs reprises, parce que le réalisateur avait été invité en mai 2010, pour les fêtes du Bicentenaire, au micro de la RTBF (voir mon article du 2 juin 2010 à ce sujet), et parce que le film est déjà sorti en Argentine, où il a été projeté notamment au Museo Casa Carlos Gardel (voir mon article du 10 novembre 2010 à ce sujet).

Photo du film extaite du site Internet

La sortie sera accompagnée de plusieurs projections en avant-première un peu partout dans le pays, dont une dès cette semaine à Toulouse, dans le cadre des Rencontres des cinémas d'Amérique Latine.

Solange Bazely, qui est une spécialiste de l'histoire du bandonéon et de la relation entre cinéma et tango, a diffusé ce week-end une critique fort intéressante de ce film qu'elle a déjà vu. Comme sa critique ne peut pas trouver sa place dans les pages du prochain numéro du magazine trimestriel Tout Tango, je lui accorde bien volontiers un peu d'espace dans ce blog dont elle est une fidèle lectrice et qu'elle soutient de tout son enthousiasme, dont ceux qui la connaissent savent qu'il est fort généreux...

* * * *

Cela n'arrive pas tous les ans, un long-métrage dans le milieu du tango argentin. Celui-ci ne tourne pas autour de la danse (même s'il y a quelques scènes) mais du tango chanté. Présenté en août 2009 au festival de Locarno, puis sorti en Belgique en juin et en novembre 2010 en Argentine, ce film débarque enfin sur les écrans français le 6 avril 2011.


On connaît déjà le réalisateur argentin résidant en Belgique depuis 1997 où il a fait l'INSAS (Ecole de cinéma, après un diplôme d’avocat), notamment pour son documentaire Nosotros en 2004, ou son premier long-métrage La Marea, en 2007 avec déjà celle qui, de son égérie, est devenue sa femme, la danseuse, actrice et désormais chanteuse de tango Eugenia Ramírez Miori. Ils font tous deux partie des acteurs de la scène tanguera à Bruxelles et savent donc de quoi ils parlent !


Réalisateur, scénariste et chef-opérateur, Diego Martinez Vignatti nous plonge ici au coeur de l'expérience solitaire d'une femme dévastée par la fin d'une histoire d'amour et pour qui le chant et l'exil volontaire permettra peut-être de refermer les plaies. Amateurs de film d'action s'abstenir, ce film assume le choix du silence, des plans séquences (et des plans fixes), du temps de l'introspection et de la sensation. Obsédée par la perte de son amour, la jeune femme s'enfonce dans la douleur. Malgré un nouveau contrat qu'elle accepte avec ses musiciens au Théâtre Homero (parce que son maître, Oscar Ferrari veut croire qu'elle chantera pour lui), elle finira par quitter Buenos Aires, dans un parcours en taxi où chaque coin de rue lui rappellera ce monde qu'elle quitte.


Dans ce nouveau pays où les éléments se déchaînent, la mer, le froid et le vent balayent peu à peu, à coup de ballades à pied ou à bicyclette, sur les falaises ou la jetée, le malêtre. Une noyade littérale et symbolique dans le chagrin et la mer, la découverte du pétrissage de la pâte à pain et un retour difficile et progressif vers le chant finiront par la transformer et l’amener à pouvoir écrire une nouvelle page de vie sur le mur fraîchement peint de sa nouvelle demeure en bord de mer.


Grâce à des flash-backs et ellipses, le film navigue et laisse comme une option, que se serait-il passé si un autre choix avait été fait ?


Tout le film est centré sur elle et sa blessure absurde (comme dit le tango qu'elle interprète, La última curda), les autres personnages étant flous, de dos, ou en second plan, comme dans ce long plan-séquence où elle suit son ancien compagnon, lui toujours filmé de dos, au son des notes aigües du bandonéon.


La bande-son est particulièrement intéressante notamment par de multiples distorsions du son (parfois étouffé) en accord avec la perception décalée de l'héroïne, quand son regard s'éveille dans le bal, le son s'atténue; la ballade en taxi, la scène sous l'eau sans aucun son. Le seul son direct est quand Helena chante avec ses musiciens sur scène.


La musique de tango prend une place centrale dans ce film, notamment par le chant, soulignant la vie intérieure et la mélancolie des personnages, peu bavards. Même entre frère et soeur, ils ne se parlent quasiment pas.


La voix permet de traduire les tourments d'Helena qui s'exprime en chantant sur scène mais s'enferme dans le silence dès qu'elle l'a quittée. Les paroles des tangos sont un véritable personnage, celui qui dit lorsqu'elle tait.


L'esthétique des cadres est cruciale, de même les paysages choisis, les couleurs et contrastes... qui surenchérissent la sensation d'étrange, d'éloignement, de façon quasi onirique parfois. Rien n'est laissé au hasard. Il y a toujours une fenêtre d'où voir la mer ou la ville, souvent un cadre dans le cadre, comme pour voir la réalité au travers d'une vitre, tant à Buenos Aires qu'en Europe.


Les effets de distorsion d'images renforcent la perte de sens ou des réalités, comme quand elle porte son regard au loin, perdue et où le bal est flou ou lors d'un transtrav (travelling compensé) quand elle vient écouter la chorale chanter et que cela lui procure une forte émotion puis quand on la voit enlacée à un homme, sans bouger alors que les autres couples dansent autour de la piste.


Quelques éléments fantastiques sont disséminés ça et là, comme ce téléphone rouge qui sonne sans arrêt sur la jetée.


Quelques bémols cependant dans le mutisme excessif qui nous éloigne parfois des personnages, avec lesquels j'ai eu du mal à entrer en empathie. Du coup, par contraste, quelques dialogues sonnent faux de même l'utilisation des mains d'Helena lorsqu'elle chante... Certains spectateurs pourraient être laissés au bord du cadre car si "la caméra est capable de lire les pensées et de radiographier l’âme", le spectateur le peut-il ? Le sens aigu du tragique peut friser parfois, selon les sensibilités, l'excès de pathos.


Le réalisateur a refusé une autre actrice, une autre chanteuse qui ne soit sa femme, qui n'a pas été doublée et assure chaque scène, avec force et fragilité.


Carlos Gardel est présent à plusieurs reprises dans le film, d'abord comme modèle suprême pour Helena puis avec Alma en pena dans la version qu'il a immortalisée.


Quelques références subtiles également au cinéaste Hugo Santiago, que ce soit dans le nom du quartet Aquilea, le Café Invasion ou le vieux monsieur qui écoute Eduardo Rovira. Pour ce nouveau film bilingue, français et espagnol, Diego Martinez Vignatti signe une fois encore la réalisation, l’image, et le scénario en collaboration avec Luc Jabon. avec Eugenia Ramírez Miori, Bruno Todeschini, et l'apport incontestable d’Alfredo Piró et d’Oscar Ferrari devenu le Maestro, voire l’ange gardien d’Helena/Eugenia (Ferrari est décédé avant d'avoir pu voir le film. Il était également présent dans le documentaire Café de los Maestros) dans leur propres rôles qui ont formé l'actrice à l'interprétation du tango. On les voit réunis dans la scène de la leçon de chant où Alfredo Piró s'entraîne au vibrato. Signalons les arrangements originaux de Juan Otero en Argentine et Hernán López Ruiz en Europe.


2009-2010 - 1h40 - Scope - Couleur - Dolby SRD - Visa 120115 - Production Tarantula -
Distribution Tamasa - lacantantedetango.com

Solange Bazely (mars 2011)

Pour en savoir plus :
vous pouvez lire tous les articles que j'ai consacrés à Solange Bazely dans ce blog en cliquant sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus, y compris les deux articles qu'elle a elle-même écrits dont celui-ci.
Vous trouverez aussi, en lien permanent sur Barrio de Tango, son blog sur le bandonéon et son histoire dans la Colonne de droite, dans la partie basse.