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En haut : "Un taliban sort, un technocrate entre" Allusion au fait que le ministre de l'Economie a réussi à se défaire d'un secrétaire d'Etat trop proche de Cristina (Au moins, maintenant il peut déployer sa politique sans craindre des coups tordus à l'intérieur de son ministère) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
C’était une promesse de
campagne puis de prise de fonction de l’actuel président :
remettre des figures historiques sur les billets de banque, ces
personnages que Mauricio Macri, au pouvoir de 2015 à 2019 sur un
programme ultra-libéral avait effacé au profit d’animaux
sauvages. Sous prétexte que le rappel des figures historiques créait
de la dissension idéologique dans la population. Quel crétin !
Avec un soin pervers, il avait
donc effacé l’histoire sous prétexte de dépolitiser la monnaie
plutôt que d’inviter les historiens et les vulgarisateurs afin
d’approfondir peu à peu les démarches scientifiques et les
développer à côté du récit idéologisé qu’est l’élaboration
actuelle (nécessaire) du roman national en gestation et donc encore
très peu consensuel. Il avait même fait retirer les billets à
l’effigie de San Martín et de Belgrano, les deux
pères-fondateurs de l’Argentine !
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Les billets actuels Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Hier, au Musée du Bicentenaire,
dans l’enceinte de la Casa Rosada, là où se trouvent encore des
vestiges de deux bâtiments historiques disparus, l’ancienne
forteresse coloniale qui servait de résidence au vice-roi espagnol
puis au gouvernement révolutionnaire à partir du 22 mai 1810, et
les douanes de la fin du XIXe
siècle, le président Alberto Fernández a présenté les nouveaux
billets qui vont être mis prochainement en circulation. Ils sont au
nombre de quatre dont la valeur d’étale de 100 (les billets de
valeur inférieure ont été retirés les uns après les autres
depuis trois ans) à 1 000 pesos. Une gamme de billets dont la
valeur faciale a juste été multiplié par 10 depuis la dernière
série des billets à figures historiques (5, 10, 20, 50 et 100
pesos).
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Les anciens billets, avec les effigies historiques (San Martín a été oublié) |
Les grands hommes détestés par
la gauche ont disparu : Sarmiento (50 pesos) et Roca (100
pesos).
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Le nouveau Evita |
Reviennent dans les
portefeuilles José de San Martín (1778-1850) et Manuel
Belgrano (1770-1820), les deux seuls personnages historiques
unanimement aimés et vénérés par tous les Argentins (même si sur
le plan idéologique, ils sont tirés à hue et à dia par les
différents auteurs qui se piquent d’écrire leur biographie, en se
passant royalement des sources historiques). Au verso des billets,
figurent ce qui est considéré comme leurs plus hauts faits d’armes
et comme emblèmes de leur lutte pour la liberté et l’indépendance,
la Traversée des Andes à l’été 1817 pour San Martín et la
création du drapeau national, à la fin de l’été 1812 à
Rosario, pour Belgrano.
Apparaissent des figures chères
à la gauche décentralisatrice.
Le premier est le général
saltègne Martín Miguel Güemes (1785-1821), le seul héros de la
guerre d’indépendance qui soit mort de mort violente, tué par un
contre-révolutionnaire (tous les autres sont décédés dans leur
lit ou, au moins, alors qu’ils étaient retirés du combat), le
seul aussi qui relie une province historique très éloignée de
Buenos Aires, Salta, à la lutte de la capitale coloniale puis
nationale pour une indépendance alors encore très lointaine (il
était cadet à Buenos Aires quand la ville a été attaquée par les
Britanniques à deux reprises, en 1806 et 1807).
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Même choix pour le gros titre (avec une formule différente mais ça ne change pas grand-chose) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Les deux autres figures sont deux
femmes et ce sont celles que le président avait annoncées il y a
très longtemps déjà, alors que la pandémie paralysait le pays.
Pour la première fois depuis l’introduction très contestée par
Cristina Kirchner, à la fin de son second mandat, de Evita Perón
sur le billet de 100 pesos (1)
destiné à remplacer à terme celui à l’effigie du général Julio A. Roca, premier président d’une période de malheureuse mémoire (la
Generación del
Ochenta, entre 1880 et
1916) et massacreur de Mapuches lorsqu’il commandait la campagne
dite du Désert, dont le but était de faire occuper par des
propriétaires blancs la Patagonie argentine à une époque où le
Chili lorgnait sur ces terres de l’autre côté des Andes (les
années 1870). L’une de ces femmes est María Remedios del Valle
(circa
1768-1847), une des très rares combattantes de la guerre
d’indépendance, qui plus est la seule femme qui accéda (et encore
sur la fin de sa vie) à un grade d’officier supérieur. Et elle
était noire ! Elle a combattu sous les ordres de Manuel
Belgrano, le premier à l’avoir distinguée et fait progresser dans
la hiérarchie militaire. Elle venait du fin fond de la société
coloniale esclavagiste.
L’autre femme, Juana Azurduy de Padilla,
était tout le contraire. C’était une femme issue de la meilleure
société coloniale. Elle était riche et possédait une culture
européenne de qualité. Ceci dit, elle n’a rien à faire sur des
billets argentins puisqu’elle était bolivienne. Certes, elle a
combattu du même côté que Manuel Belgrano et Martín Güemes parce
que dans les années 1810, les deux pays n’en faisaient encore
qu’un mais elle ne l’a jamais fait dans ce qui allait devenir
l’Argentine ni même pour l’indépendance de ce pays au sud du
sien. Elle guerroyait pour chasser les Espagnols de ce qu’elle
appelait le Haut-Pérou et qui a pris son indépendance sous le nom
de Bolivie, en hommage à Bolívar, en guise de compensation
d’ailleurs (Bolívar ne voulait pas entendre parler d’indépendances
séparées pour tous ces pays qu’il voulait centraliser sous son
autorité politique et qui ont échappé à son étau). Sa renommée
a atteint l’Europe, difficilement mais enfin, on trouve des
allusions à ses actions dans la presse européenne du début du XIXe
siècle.
S’approprier cette figure
féminine épique, c’est le péché mignon de la gauche argentine,
surtout péroniste. C’est l’un de ses côtés franchement
pénibles.
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Página/12 titre lui aussi sur les changements au ministère de l'Economie L'info est traitée tout en haut, au centre Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Il semble qu’il ait été
difficile de concilier le nombre de billets à mettre en circulation
(seulement quatre) et le nombre de próceres
à célébrer en ligne avec la politique de développement de la
parité de genre menée par le président Fernández. Le gouvernement
a donc choisi de les présenter par paire homme-femme et le choix qui
a été fait est, pour une fois, historiquement justifiable. On peut
toutefois regretter que Manuel Belgrano, l’intellectuel qui a conçu
avant tout le monde l’indépendance argentine dès 1806 avant de se
battre pour elle y d’y risquer sa vie, méritait de retrouver un
billet pour lui tout seul comme son ami et compagnon d’armes, José
de San Martín.
La droite se montre très
critique mais ne peut pas décemment critiquer les choix qui ont été
faits, surtout avec le retour de Belgrano et San Martín. Elle
tire donc sur le côté : il paraît qu’il y a plus urgent
pour venir en aide aux Argentins. Pour tous (à droite), le
gouvernement ferait mieux de lutter contre l’inflation (comme si
l’inflation réagissait à un commandement de l’exécutif, dans
ce cas, ça se saurait). Pour certains, il aurait mieux valu créer
un autre peso, un peso nouveau, comme De Gaulle avait créé le
nouveau franc, et lui donner une valeur cent fois supérieure. Bref,
passons !
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Pour la photo principale, Clarín a préféré Biden au Japon Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Comme ils avaient commencé à
inonder la presse de leurs récriminations dès ce week-end, le
président leur a répondu dans son discours de présentation en
rappelant que la monnaie nationale est un instrument de souveraineté
et qu’il est essentiel d’en bien traiter les dimensions
symboliques.
© Denise Anne Clavilier
Pour aller plus loin :
(1) Ce billet de 100 pesos va un peu bouger mais pas tant que cela. Celui représentant Julio Argentino Roca (1843-1914) a
probablement fini par disparaître à l’heure qu’il est.