mardi 20 octobre 2009

Au sujet du lunfardo, une conférence de Luis Alposta - article n° 900 [Jactance & Pinta]

En septembre, j’avais consacré mon article 850 à Horacio Ferrer, poète que j’apprécie tout particulièrement comme les lecteurs habituels de Barrio de Tango peuvent bien s’en douter. C’était un article relativement court sur le Café La Poesía, dans le quartier de San Telmo.

Pour ce numéro 900, je voulais un article de fond, de préférence sur un autre poète car les poètes qui méritent d’être mieux connus (ou connus tout court) des francophones sont légion dans le tango depuis 1916 jusqu’à aujourd’hui. Depuis fin septembre, j’avais sous le coude une étude de Luis Alposta dont il s’est inspiré pour une conférence qu'il venait de donner à la Casa del Tango de Rosario, mégalopole de la Province de Santa Fe, deuxième ville d’Argentine pour la population et l’activité, grand pôle économique et culturel, la Barcelone de l’Amérique du Sud, sur la rive du Paraná, au nord de Buenos Aires. Alors tant qu’à être en retard dans la présentation de ce texte en version bilingue (pour toutes les raisons que j’ai expliquées au mois d’août), autant en faire un article au long cours et un emblème pour le blog ! Et puis ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé de lunfardo.

Luis Alposta est un poète prolifique. Beaucoup de ses textes, écrits comme des poèmes, ont été transformés en tangos, souvent après coup et par des compositeurs qui comptent dans le paysage (Edmundo Rivero et Osvaldo Pugliese par le passé, Juan Tatá Cedrón, Acho Estol et Daniel Melingo aujourd’hui). Membre de la Academia Nacional del Tango, il est aussi membre de très longue date de la Academia Porteña del Lunfardo. C’est aussi un essayiste et un grand érudit (vous allez le constater par vous-même) mais ici, c’est essentiellement en poète et en écrivain qu’il s’exprime.

ACERCA DEL LUNFARDO

Es sabido que todos los hombres tienen una característica común que los separa de las demás criaturas: el hombre fabrica objetos. Pero también lo hacen algunos animales; el hombre da forma a objetos convirtiéndolos en herramientas. Pero también lo hacen unos pocos animales. ¡Mas solamente el hombre hace herramientas con las que fabrica otras herramientas! Y de todas las herramientas que el hombre hace, la más característica y constructiva -también a veces la más destructiva- es la palabra.
El hombre llegó a ser un diestro hacedor de herramientas y usador de ellas, por la sencilla razón de que era hacedor y usador de palabras.
(Luis Alposta)
AU SUJET DU LUNFARDO
On sait que tous les hommes ont en commun une caractéristique qui les départit des autres créatures : l’homme fabrique des objets. Mais quelques animaux le font aussi. L’homme donne forme à des objets pour les transformer en outils. Mais quelques rares animaux le font aussi. Pourtant, ce que seul l’homme fait, ce sont des outils avec lesquels il fabrique d’autres outils ! Et de tous les outils que l’homme fait, le plus caractéristique et le plus constructif, et parfois aussi le plus destructeur, c’est le langage.
L’homme est devenu un habile faiseur et utilisateur d’outils pour la simple et bonne raison qu’il était un faiseur et un utilisateur de langage
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Los animales se valen de acciones y sonidos como señales, pero sólo el hombre ha aprendido a utilizarlos como símbolos. Ésta fue la forma más elemental de la tecnología.
Y de aquí, a la palabra que nos ocupa: el lunfardo, “tecnología de la furca y la ganzúa” según lo definió Jorge Luis Borges. En síntesis, una herramienta más.
Claro que esta definición se ancló en el significado original: lunfardo "ladrón", y luego, por extensión: vocabulario esotérico creado y utilizado por los delincuentes. Pero, actualmente, el concepto es mucho más amplio: un fenómeno lingüístico natural, dado que es natural que el hombre cree y recree palabras.
(Luis Alposta)

Les animaux se servent d’actes et de sons comme de signaux mais il n’y a que l’homme qui ait appris à s’en servir comme de symboles. Et ce fut là le 1er degré de la technologie.
De là, le mot qui nous occupe : le lunfardo, "technologie du coupe-gorge et du monte-en-l’air"
(1), selon la définition qu’en donna Jorge Luis Borges. En résumé : un outil de plus.
Bien sûr, cette définition s’ancre dans le sens originel :
lunfardo, voleur, et ensuite, par extension, vocabulaire cabalistique, créé et utilisé par les vauriens. Mais actuellement, le concept est beaucoup plus vaste : un phénomène linguistique naturel, étant donné qu’il est naturel à l’homme de créer et de continuer à créer du langage. (2)
(traduction Denise Anne Clavilier)

Se trata de un repertorio de voces, muchas de ellas traídas por la inmigración, que comenzaron a desarrollar entre nosotros una existencia paralela al habla común, para terminar, en no pocos casos, siendo asimiladas por nuestro lenguaje familiar y coloquial.
Aunque en sus comienzos sólo se lo hablaba en la trastienda del idioma, no por eso dejó de ser escuchado. Y ha sido en la calle, en el conventillo, en el café, en el sainete, en la poesía popular y en las letras de tango, donde ha venido a encontrar el medio más apto para su difusión.
(Luis Alposta)
Il s’agit d’un répertoire de termes, pour beaucoup d’entre eux apportés par les immigrants, qui commencèrent à développer parmi nous une existence parallèle au parler ordinaire, et que notre langue parlée au quotidien, en famille, finit, dans de très nombreux cas, par assimiler.
Bien que dans ses commencements, ce répertoire ne s’employât que dans l’arrière-boutique de la langue, ce n’est pas pour autant qu’on a cessé un jour de l’entendre. Ce fut dans la rue, dans le conventillo
(3), au café, dans le sainete (4), dans la poésie populaire et dans les textes de tango qu’il en est venu à trouver le vecteur le plus apte pour sa diffusion.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Mucho más que en el origen de las palabras, lo que importa es indagar en el color y el calor que puedan ellas proporcionarnos para lo que se quiere expresar. Es por eso que, en el lunfardo, no se trata únicamente de una cuestión de términos, sino también de una cuestión de tono y de intencionalidad. Digamos, además, que no conforma un vocabulario independiente, dado que vive dentro de nuestra lengua sirviéndose de su fonética, de su sintaxis y de buena parte de su léxico. Aparte de su valor críptico o esotérico y delictivo, el lunfardo es, esencialmente, un conjunto de voces de muy diversos orígenes que se ha ido introduciendo en la conversación familiar de todas las clases sociales con fines expresivos, irónicos o humorísticos.
(Luis Alposta)

Beaucoup plus que l’origine des mots, l’important est d’examiner la couleur et la chaleur qu’ils peuvent nous assurer pour ce que l’on veut exprimer. C’est pour cela qu’avec le lunfardo, il ne s’agit pas uniquement d’une question de termes mais aussi d’une question de ton et d’intentionnalité. Ajoutons qu’il ne constitue pas un vocabulaire indépendant, puisqu’il habite notre langue dont il se sert de la phonétique, de la syntaxe et d’une bonne partie du lexique. En dehors de sa valeur codifiée, cabalistique ou crapuleuse, le lunfardo est par définition un ensemble de mots aux origines très variées qui s’est immiscé dans la conversation de tous les jours de toutes les classes sociales avec des fins expressives, ironiques ou humoristiques.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

El lunfardo apareció entre nosotros como una especie de Babel al revés, dado que, lo que en los tiempos bíblicos, y por castigo divino, fue sólo caos y dispersión, en el último tercio del siglo XIX, en Buenos Aires, fue confluencia e integración. Confluencia en un determinado punto geográfico de hombres de distintas nacionalidades que, al integrarse al nuevo medio, habrían de aportar entre otras muchas cosas palabras y modismos.
(Luis Alposta)

Le lunfardo est apparu chez nous comme une espèce de Babel à l’envers, puisque ce qui, en tant que châtiment divin, dans les temps bibliques, n’a été que chaos et dispersion, dans le dernier tiers du 19ème siècle, à Buenos Aires, a été confluence et intégration. Confluence en un point géographique bien déterminé d’hommes de différentes nationalités qui, en s’intégrant à ce nouveau milieu, apportèrent, entre beaucoup d’autres choses, leur contribution de langage et de particularismes.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Digamos ahora que no se trata de un fenómeno privativo de los porteños. Todos los pueblos han tenido siempre sus voces jergales, sus argots; desde las tribus nómades, bohemias y gitanas hasta los parias y los “thugs” de la India. En Inglaterra se lo conoce con el nombre de slang o cant; en Alemania con el de rotwelsch; en España como gerigonza o germanía; en Rusia como zhargon; en Rumania como smechearasca; los gitanos lo llaman caló; los portugueses calao; los griegos koiná; los holandeses bargoens; los bohemios hantynka; los indostanos bailabalán; los chinos hiang-chang. En América, tenemos el malespín de los costarricenses y nicaragüenses; la giria de los brasileños, la replana de los peruanos, el caliche de los mejicanos; el coa de los chilenos y, entre nosotros, el lunfardo.
(Luis Alposta)

Disons à présent qu’il ne s’agit pas d’un phénomène propre aux Portègnes. Tous les peuples ont toujours eu leurs mots jargonneux, leurs argots, depuis les tribus nomades, de bohémiens et de gitans, jusqu’aux parias et aux thougs de l’Inde. En Angleterre, on connaît cela sous le nom de slang ou de cant, en Allemagne sous celui de Rotwelsch, en Espagne sous celui de gerigonza ou germanía, en Russie de zhargon, en Roumanie de smechearasca, les gitans l’appellent le caló, les Portugais le calao, les Grecs la koina, les Hollandais le bargoens, les Bohémiens hantynka, les habitants de l’Hindustan bailabalan, les Chinois hiang-chang. En Amérique, nous avons le malespín des Costariciens et des Nicaraguayens, la giria des Brésiliens, le replana des Péruviens, le caliche des Mexicains, le coa des Chiliens et, chez nous, le lunfardo.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Un error algo generalizado, es el de tomar por lunfardismos ciertas palabras que son corrientes y comunes en el español popular. Voces que, para nosotros, parecen haber nacido “en casa” por el solo hecho de pronunciarlas con cierta cadencia o un particular énfasis. Recordemos algunas: debute: de buena calidad, de lo mejor. Tongo: componenda ilícita, fraude. Napia: nariz. Curda: borracho; borrachera. Tranca: borrachera. Mosca, que ya la utilizaba Quevedo, y tela, ambas con el significado de dinero corriente. Espichar, por morir y fiambre, por cadáver. Pero no sólo se trata de palabras. También existen expresiones recibidas directamente del español popular y una de ellas es "tomar el olivo", que significa guarecerse el torero detrás de la barrera y, figuradamente, huir o escapar. Esta expresión tuvo su origen fuera de la arena, donde más de uno para evitar que corriese sangre, buscó salvarse de un toro trepándose a un olivo. Y ahora, dos palabras de prosapia latina: pipiolo, de pipio, pichón, polluelo, con el significado de principiante o novato, y yantar, del arcaísmo ientare, almorzar.
Y así como no todo lo que reluce es oro, digamos que no todas las palabras a las que se les atribuye un origen lunfardo lo tienen.
(Luis Alposta)

Une erreur presque généralisée consiste à prendre pour des lunfardismes certains mots courants et fréquents dans l’espagnol populaire. Des mots qui, pour nous, semblent nés à la maison du seul fait qu’on les emploie avec une certaine fréquence ou une insistance particulière. Rappelons-en quelques uns : debute : de bonne qualité, de première. Tongo : agissement illégal, grivèlerie. Napia : nez. Curda : ivrogne, ivresse. Mosca, qu’employait déjà Quevedo, et tela, l’un et l’autre dans le sens d’argent sonnant et trébuchant. Espichar pour mourir et fiambre pour cadavre (5). Mais il ne s’agit pas seulement de mots. Il existe aussi des expressions héritées directement de l’espagnol populaire et l’une d’entre elles est tomar el olivo (prendre l’olivier), qui désigne le fait pour le torero de s’abriter derrière la palissade et, de manière figurée, celui de fuir ou de s’échapper. Cette expression trouve son origine en dehors de l’arène, là où, pour éviter que le sang coule, il y en eut plus d’un qui chercha à échapper à un taureau en grimpant à un olivier. Et à présent, deux mots d’ascendance latine : pipiolo de pipio (poussin, oisillon), dans le sens de débutant ou de novice, et yantar, du verbe archaïque ientare, déjeuner.
Ainsi donc, comme tout ce qui brille n’est pas d’or, disons que tous les mots auxquels on attribue une origine lunfarda n’en ont pas toujours une.

(Traduction Denise Anne Clavilier)

Adaptar a nuestra manera de ser y de sentir no pocos de los vocablos heredados del español; crear y recrear palabras e ir sumando voces extranjeras a los entresijos del idioma, es una tarea de la que siempre se ha ocupado el pueblo, sin dejarse amedrentar por cuanta academia pudiera salirle al paso.
Por eso, y sin temor a equivocarnos, podemos decir que cada vez que a alguien se le ocurra solicitar un “certificado de supervivencia” para cualquiera de estas voces, seguirá siendo el pueblo la única autoridad competente en condiciones de extenderlo.
(Luis Alposta)

Adapter à notre manière d’être et de sentir beaucoup des vocables hérités de l’espagnol, créer et continuer de créer des mots et continuer à ajouter des termes étrangers à l’écheveau de la langue est une tâche dont le peuple s’est toujours chargé, sans se laisser intimider par quelqu’Académie que ce soit qui ait pu lui faire la chasse au passage.
C’est pourquoi, sans crainte de nous tromper, nous pouvons dire que chaque fois qu’il arrive que quelqu’un demande un certificat de survivance pour l’un quelconque de ces mots, la seule et unique autorité compétente en condition de le lui fournir sera encore et toujours le peuple
(6).
(Traduction Denise Anne Clavilier)

El estudio del lunfardo sugiere tal cantidad de consideraciones lingüísticas y sociológicas, que extenderse aquí sobre ellas llevaría a modificar los límites y el propósito de estas páginas.
Existe, en cambio, una característica que por lo destacado merece al menos un breve comentario.
(Luis Alposta)

L’étude du lunfardo suggère une telle quantité de considérations linguistiques et sociologiques que s’étendre ici sur elles nous conduirait à modifier les limites et le propos de ces pages.
Il existe en revanche une caractéristique qui, pour sa singularité, mérite au moins un bref commentaire
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Se sabe que en el lunfardo han abrevado, en otras épocas, autores muy significativos de nuestro teatro vernáculo y de la canción popular. Cultivado por poetas y costumbristas de talla, ha terminado por originar una literatura que ya cuenta con sus propias antologías.
Se ha dicho, también, que el mecanismo del lenguaje popular es esencialmente metafórico y que “al pueblo, por instinto artístico, le place el uso de palabras con acepción figurada”. De ahí que haya sido precisamente en la poesía y en las letras de tango donde el lunfardo ha venido a encontrar un mejor destino literario. Y en este punto quisiera demorarme.
(Luis Alposta)

On sait qu’au lunfardo se sont abreuvés, en d’autres époques, des auteurs très significatifs de notre théâtre vernaculaire et de la chanson populaire (7). Cultivé par des poètes et des écrivains traditionalistes de taille, il a fini par donner naissance à une littérature qui compte désormais avec ses propres anthologies (8).
On a dit aussi que le mécanisme du langage populaire est par définition métaphorique et que "le peuple, par instinct artistique, se plaît dans l’usage des mots dans une acception figurée". D’où il découle que ce soit précisément dans la poésie et dans les textes de tango que le lunfardo en est venu à trouver une plus belle destinée littéraire. Et c’est sur ce point que j’aimerais m’attarder.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

La llamada “poesía lunfarda”, en su evolución, ya ha dejado atrás una etapa que, tal vez con un afán de búsqueda, pocas veces ha ido más allá del pintoresquismo, de la agresividad, del realce de cualidades negativas, del juego de palabras y lo anecdótico, sin dejar por ello de lado el humor, la ironía y hasta cierto ingenio.
Fue gradualmente como comenzó a encontrar sus más íntimas motivaciones en un deseo de renovación, en la búsqueda de una mayor expresividad, en la intensificación de sentido y en las vivencias de determinados conceptos.
Después de aquel primer afán, exclusivamente localista, se fueron dando las posibilidades de ver otra realidad, ya no por que fuera pintoresca, curiosa o risible, sino simplemente porque era la nuestra. Y esa realidad ha sido en la voz de algunos “poetas lunfardos” y “del tango” donde ha venido a encontrar su mejor expresión.
(Luis Alposta)

Ce qu’on appelle "poésie lunfarda" a déjà laissé derrière elle, au cours de son évolution, une étape qui, peut-être avec un élan vers une quête, avait rarement dépassé le goût pour le pittoresque, l’agressivité, la mise en valeur de qualités négatives, le jeu de mot et l’anecdotique, sans laisser de côté pour autant l’humour, l’ironie et jusqu’à certaine inventivité.
Ce faisant, elle commença à trouver des motivations plus intimes dans son désir de rénovation, dans sa recherche de plus d’expressivité, dans l’intensification du ressenti et le vécu de concepts déterminés.
Après ce premier élan, exclusivement consacré à ce qu’il y avait de plus typé, se présentèrent des possibilités de regarder une autre réalité, désormais non pas parce qu’elle était pittoresque, curieuse ou drôle, mais simplement parce qu’elle était la nôtre. Et cette réalité-là, c’est sous la plume de quelques poètes lunfardos et tangueros qu’elle en est venue à trouver son expression la meilleure
. (9)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Sé muy bien que el hecho de “escribir en lunfardo” implica un riesgo. Se puede caer en el puro alarde y en el mero virtuosismo de manejar palabras sacadas de un diccionario, olvidando así que la poesía, como la literatura en general, no es un simple juego de malabares, sino una propuesta de mensaje y comunicación.
(Luis Alposta)

Je sais très bien que le fait d’"écrire en lunfardo" implique un risque. On peut tomber dans le pure artifice et dans la simple virtuosité du maniement de mots sortis d’un dictionnaire, en oubliant par là que la poésie, comme la littérature en général, n’est pas un simple jeu de jongleurs mais une perspective de message et de communication.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Buscando una definición de poesía, Borges alguna vez me dijo:
-Yo no sé si puede definirse. Es algo tan elemental. Y además yo no creo que necesitemos una definición. Su definición va a ser siempre más vaga que la palabra poesía, que todos sentimos. Creo, además, que para juzgar un poema mejor es juzgarlo inmediatamente. Digamos que la comprensión viene después... y quizás no importe mucho. Pero sí, que usted siente que algo poético lo ha sido inmediatamente. Si... yo creo que todos sentimo eso. Es como la música. Uno sabe inmediatamente si una pieza de música lo conmueve a uno o no.
Un poeta inglés dijo que la poesía es aquello que modifica inmediatamente al lector. Que cuando se lee, uno siente... bueno... que la sangre circula de otro modo, y que la voz de uno se eleva ante la necesidad de repetir aquello en voz alta.
-Bueno, eso es poesía. Y si no ocurre eso... lo demás es inútil ¿no?
Todo el resto es “littérature”, como dijo Verlaine.
(Luis Alposta, citant Jorge Luis Borges)

A la recherche d’une définition de la poésie, Borges m’a dit un jour :
- Moi, je ne sais pas si ça peut se définir. C’est quelque chose de tellement rudimentaire. Et en plus, je ne crois pas que nous ayons besoin d’une définition. C’est comme la musique. Chacun sait immédiatement si un morceau de musique l’émeut ou non.
Un poète anglais a dit que la poésie c’est cela qui transforme immédiatement le lecteur. Ce qui fait qu’à la simple lecture on sent... comment dire... que le sang circule autrement, que sa propre voix se fait entendre par le besoin de le redire à haute voix.
- Bien, ça c’est la poésie. Et si rien de cela ne se passe.... le reste est inutile, non ?
- Tout le reste, c’est de la
littérature, comme disait Verlaine.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Totalmente de acuerdo. La poesía es algo que se siente, y punto. Pero en tren de buscar una aproximación, digamos de ella que es algo tan simple como el despertarse a la mañana, tan dramático como el estar vivo y tan importante como el poder contarlo. Es el sentimiento puesto a escoger y capturar palabras, para luego liberarlas en el poema y emocionarnos. En el poema y en el tango.
(Luis Alposta)

Complètement d’accord. La poésie est quelque chose que l’on sent, point à la ligne. Mais puisque nous cherchons une approximation, disons qu’elle est quelque chose d’aussi simple que se réveiller le matin, d’aussi terrible qu’être vivant et d’aussi important que pouvoir en parler. C’est le sentiment employé à choisir et à attraper des mots, pour ensuite les libérer dans le poème et nous émouvoir. Dans le poème et dans le tango.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Por otra parte, la metáfora, que en griego significa traslación, traslado, disimulando así visos de “ocultación” que la aproximarían al lunfardo, es una figura retórica mediante la cual nos referimos a algo utilizando el nombre de otro algo con el que se guarda semejanza. Es, también, tender a lo decoroso y noble, buscando que la traslación llegue a embellecer y hasta poetizar el sentido propio de lo que queremos nombrar. Dicho de otro modo, es un nombrar las cosas por asociación.
Como se ve, la metáfora se aparta conscientemente de algo o de alguien para, mediante un rodeo de asociación, volver a ese mismo algo o alguien y enriquecerlo.
(Luis Alposta)

D’un autre côté, la métaphore, qui en grec veut dire déplacement, déplacé, cachant ainsi des objectifs de "dissimulation" qui la rapprochent du lunfardo, est une figure de rhétorique à travers laquelle nous nous référons à quelque chose qui utilise le nom de quelque chose d’autre avec quoi il a quelque ressemblance. C’est aussi tendre à ce qui est noble et beau, en cherchant à ce que le déplacement parvienne à embellir et même à poétiser le sens propre de ce dont nous voulons parler. Dit autrement, c’est une manière de dire les choses par association.
Comme on le voit, la métaphore s’éloigne en toute conscience de quelque chose ou de quelqu’un pour, par l’intermédiaire d’un roulement d’associations, revenir à ce même quelque chose ou ce même quelqu’un et l’enrichir
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Así, por ejemplo, si decimos como Cadícamo, para aludir a la tristeza, “las gotas caen en el charco de mi alma...”, esto es ya una metáfora. Y las metáforas en el tango son numerosas. Se dan como en racimo y, no pocas veces, con una notable belleza y fuerza expresiva.

Celedonio Flores nos dejó muchas de ellas recurriendo, más de una vez, a la terminología de los naipes y del turf:

"Para el record de mi vida
sos una fácil carrera
que yo me animo a ganarte
sin emoción ni final."
(Canchero)
(Luis Alposta citant Celedonio Flores)

Ainsi par exemple, si nous disons comme Cadícamo, pour faire allusion à la tristesse, "les gouttes tombent dans la flaque de mon âme" (10), c’est déjà une métaphore. Et les métaphores dans le tango sont nombreuses. Elles viennent comme en grappes et, la plupart du temps, avec une beauté remarquable et une grande force d’expression.
Celedonio Flores nous en a laissées beaucoup en recourant plus d’une fois à la terminologie des cartes et du turf :
(11)

Pour le record de ma vie,
Tu es une course facile
Où je m’enhardis à te battre
(12)
Sans émotion ni ligne d’arrivée
(Fier à bras, Celedonio Flores)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Hay metáforas que se basan en la capacidad que tiene la imaginación para captar relaciones que la razón jamás hubiera sospechado. Lo contradictorio y arbitrario en función de la realidad poética.

Trenzas de color de mate amargo.
(Trenzas, de Homero Expósito)

Tu forma de partir me di la sensación
de un arco de violín clavado en un gorrión.
(Óyeme, de Homero Expósito)
(Luis Alposta, citant Homero Expósito)
Il y a des métaphores qui se fondent sur la capacité qu’a l’imagination de saisir des liens que la raison n’aurait jamais soupçonnés. Ce qui est contradictoire et arbitraire en fonction de la réalité poétique.

Boucles couleur de mate nature (13)
(Boucles, de Homero Expósito) (14)

La manière dont tu es partie m’a donné la sensation
D’un archet de violon planté dans un moineau
.
(Ecoute-moi, de Homero Expósito)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Ya en el primer tango canción, “Mi noche triste”, de Pascual Contursi, el cotorro (todo triste y abandonado), la catrera (que se pone cabrera cuando no los ve a los dos), el espejo (empañado y que parece haber llorado), la guitarra (en la que ya nadie canta nada) y la lámpara (negándose a iluminar tristezas), pueden considerarse sinónimos metafóricos de la situación anímica del protagonista.
(Luis Alposta)

Déjà dans le premier tango à texte, Mi noche triste (15), de Pascual Contursi, la carrée (toute triste et abandonnée), le pieu (qui se fiche en rogne quand il ne les voit pas tous les deux), le miroir (embué et qui a l’air d’avoir pleuré), la guitare (avec laquelle plus personne ne chante rien) et la lampe (se refusant à éclairer des tristesses) (16) peuvent être considérés comme des synonymes métaphoriques de l’état d’esprit du personnage principal. (17)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Digamos también que el lunfardo, presente en muchas letras de tango, por lo general, responde a un mecanismo de formación metafórica. Cuando llamamos azotea a la cabeza, por ser la parte más alta del cuerpo, y le decimos bobo al reloj porque con sus agujas se la pasa dando vueltas en el mismo lugar y bautizamos bulín a la piecita de soltero que bien puede ser comparada con un nido, estamos construyendo metáforas.
El tango, a través de sus letras, en las que el regreso parece ser una constante, tal vez no sea más que una metáfora totalizadora del paso del tiempo: "Arena que la vida se llevó".
(Luis Alposta)

Disons aussi que le lunfardo, présent dans de nombreux textes de tango, en général, répond à un mécanisme de formation métaphorique. Quand on appelle la tête azotea (faîtage), parce que c'est la partie la plus élevée du corps, et que nous appelons bobo (dingo) la montre parce qu'avec ses aiguilles, elle passe son temps à tourner en rond et que nous baptisons bulín (noeud d'escalade) la chambrette de célibataire qu'on peut très bien comparer à un nid, nous sommes en train de construire des métaphores.
Le tango, à travers ses textes, dans lesquels le retour en arrière paraît être une constante, il n'y a sans doute pas de métaphore qui totalise davantage le passage du temps que "Sable que la vie a emporté avec elle".
(18)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Veamos la etimología de la voz lunfardo propuesta por Amaro Villanueva.
Con respecto al origen del término, este autor fue el primero en asociar la palabra lunfardo con lombardo, planteándonos una proposición etimológica en términos realmente inobjetables.
Leyendo “Los amores de Giacumina”, sainete de Agustín Fontanella, editado en 1906, y la novelita de igual nombre, de autor anónimo, escrita en cocoliche, cuya tercera edición data de 1886, él encontró en ambos textos la palabra lumbardo, en boca de un napolitano, que, según se desprende fácilmente del relato, se refiere al nativo de Lombardía.
Descartado el error, llegó luego a la conclusión de que se trataba de una corrupción fonética del gentilicio lombardo.
Pero la voz lumbardo, ya próxima, fonéticamente, a lunfardo, despertó su curiosidad y su sospecha. Prosiguiendo el rastreo, éste dio sus frutos y, en el “Vocabulario Romanesco” de Chiappini, encontró esta constancia reveladora: “Lombardo, ladro”.
(Luis Alposta)

Voyons l'éthymologie du mot lunfardo proposée par Amaro Villanueva.
En ce qui concerne l'origine du terme, cet auteur fut le premier à associer le mot lunfardo à lumbardo, en nous présentant une proposition éthymologique en termes réellement incontestables.
En lisant
Les amours de Giacumina, un sainete de Agustín Fontanella, édité en 1906, et la nouvelle homonyme, d'un auteur anonyme, écrite en cocoliche (19) dont la troisième édition date de 1886, il trouva dans les deux textes le mot lumbardo, dans la bouche d'un Napolitain, qui se réfère à un natif de Lombardie, tel qu’il se dégage facilement du récit.
Une fois écartée l'erreur, il parvint à la conclusion qu'il s'agissait d'une corruption phonétique du gentilice
lombardo (lombard).
Mais le mot
lombardo, déjà proche phonétiquement de lunfardo, éveilla sa curiosité et ses soupçons. Comme il continuait à suivre cette piste, celle-ci donna ses fruits et, dans le Vocabulaire de la latinité de Chiappini, il trouva cette équivalence révélatrice : Lombardo - Voleur.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

La importancia de semejante testimonio no necesita comentario: había encontrado la palabra lombardo con el significado de ladrón, contando ya con el cambio a lumbardo registrado en el uso local porteño, en el que lunfardo significa, también, ladrón, y luego, por extensión, pasó a llamarse así al vocabulario de ocultación utilizado por los malvivientes.
(Luis Alposta)

L'importance d'un semblable témoignage se passe de commentaire : il avait trouvé le mot lombardo dans le sens de voleur, alors qu'il avait déjà enregistré le glissement en lumbardo dans l'usage local portègne, dans lequel lunfardo signifie aussi voleur, et, ensuite, par extension, c'est le vocabulaire à caractère dissimulé employé par les malfaiteurs qui a fini par s'appeler ainsi.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Los pasos serían entonces: lombardo-lumbardo-lunfardo.
Nos aporta, además, otro testimonio significativo en el plano fonético. La obra “Ensalada criolla”, de Enrique De María, estrenada en 1898 por la Compañía Podestá, registra en uno de sus pasajes la palabra lunfardos, que, con el significado de ladrones, aparece en boca de un napolitano, vendedor ambulante de masitas, aludiendo así a unos chicos que le arrebatan la mercadería. La escena se desarrolla en la Plaza Victoria (hoy, Plaza de Mayo) y, mientras los pibes huyen, el bizcochero grita reclamando la intervención de la policía:

“¡Vigilante! ¡San Jenaro!
¡Que me ruban la masita,
cuesta manga de lunfardos!”
(Luis Alposta)

Les étapes seraient donc : lombardo, lumbardo, lunfardo.
Il nous apporte de plus un autre témoignage significatif sur le plan phonétique. La pièce,
Ensalada Criolla, de Enrique De María, créée en 1898 par la Compagnie Podestá, (20) montre dans un de ses passages le mot lunfardos qui, dans le sens de voleurs, apparaît dans la bouche d'un Napolitain, vendeur ambulant de petits gâteaux, qui fait ainsi allusion à quelques gamins qui lui ont fauché sa marchandise. La scène se déroule sur la Plaza Victoria (aujourd'hui Plaza de Mayo) et, tandis que les mômes s’enfuient, le biscuitier crie en réclamant l'intervention de la police :

Monsieur l'agent ! San Genaro !
Ils me volent le petit gâteau
cette manche de lunfardos !
(21)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

El señor Larousse, más explícito, es quien nos consigna que, en el medioevo, en Francia se llamó lombardos “a los financieros, cambistas, usureros, que en gran número procedían de Italia”.
Ahora bien, mi aporte al tema, dejando de lado los diccionarios, es haber encontrado un antecedente literario que documenta lo dicho anteriormente, y que bien puede ser considerado ilustre dado que lleva la firma de François Villon.

En su balada “Petitorio al Duque de Borbón”, en los cuatro primeros versos de la tercera estrofa, dice:

“… Si pudiese vender mi salud
a un lombardo, usurero de naturaleza,
emprendería, creo, La aventura:
tanto la falta de plata me ha embrujado…”

Por lo dicho en párrafos anteriores, sería a unos lombardos del medioevo a quienes hoy les estaríamos debiendo una palabra. Una palabra que mucho tiene que ver con el tango, con buena parte de la poesía de Buenos Aires y con la esencia de lo porteño.
(Luis Alposta)

Monsieur Larousse, plus explicite, est celui qui consigne qu'au Moyen-Age, en France, on appelait Lombards "les financiers, changeurs, usuriers qui en grand nombre venaient d'Italie".
Or donc, ma contribution au sujet, en laissant de côté les diccionnaires, c'est d'avoir trouvé un antécédent littéraire qui témoigne de ce qui a été dit auparavant et que l’on a bien le droit d’estimer illustre puisqu'il porte la signature de François Villon.

Dans sa ballade Requête au Duc de Bourbon, dans les quatre premiers vers de la troisième strophe, il dit :

"Si je peusse vendre de ma santé
à ung Lombart, usurier par nature,
faulte d'argent m'a si fort enchanté
que j'en prendrois, ce cuides, l'adventure. (22)

Selon ce qui est dit dans les paragraphes antérieurs, ce serait donc à quelques Lombards du Moyen-Age que nous serions débiteurs d'un mot. Un mot qui a beaucoup à voir avec le tango, avec une bonne partie de la poésie de Buenos Aires et avec l'essence de la portègnitude. (23)
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour aller plus loin : visionner l'extrait de l'émission de télévision (5 mn 48 sec) au cours de laquelle Juan Carlos Altavista, dit Minguito, auquel Luis Alposta a rendu hommage en vers le 20 juillet dernier, l'avait salué à l'antenne en lisant en direct plusieurs des poèmes de son anthologie de sonnets en lunfardo...

(1) on entre de plain pied dans la délicatesse de la traduction. Furca, c'est l'attaque par derrière, où la victime, saisie à la gorge, ne peut pas se défendre. Ganzúa, c'est deux choses à la fois : le rossignol avec lequel le cambrioleur force une serrure et le cambrioleur lui-même.
(2) crear y recrear : le préfixe "re" en espagnol désigne rarement la répétition. Il marque l’insistance, l’emphase, la quantité ou l’abondance. La répétition, quant à elle, s’exprime à travers une périphrase volver a + infinitif ou les adverbes ou tournures adverbiales nuevamente, de nuevo, otra vez.
(3) conventillo : type d’habitation collective extrêmement sommaire, souvent insalubre, mal isolée et à loyer fort peu modéré, qui se mit à pousser comme des champignons dans Buenos Aires et les grandes villes proches du Río de la Plata (La Plata, Rosario, Mar del Plata, Bahía Blanca), lors de l’urbanisation anarchique, de mauvaise qualité et ultra-rapide qui répondit à la grande vague d’immigration pan-européenne qui déferla sur la région dans les années 1880 à 1930. Les statistiques dont on dispose permettent de calculer qu’entre 1870 et 1895, la population de la seule capitale argentine avait augmenté de 370%. Or rien que dans l’été 1871, de fin janvier à début mai, 7,3% de la population portègne avait péri pendant l’épidémie de fièvre jaune. Voir dans la rubrique Petites Chronologies, dans la Colonne de droite, le Vademecum historique qui reprend les dates clés de l’histoire argentino-uruguayenne.
(4) le sainete : à Buenos Aires, on appelle sainete un théâtre populaire typiquement portègne et rioplatense né vers 1880 et qui a prospéré jusque dans les années 20. D’après El Libro del Tango, de Horacio Ferrer, le sainete a disparu à la fin des années 30 lorsque les directeurs de théâtre ont voulu exploiter un genre très populaire pour en tirer un maximum de profit. Ce faisant, ils l’ont si bien stéréotypé qu’ils lui ont fait perdre ce qui faisait précisément son succès, à savoir sa spontaneïté, sa volubilité, son inventivité verbale et dramatique, son caractère rebelle et indiscipliné, son fort contenu politique et social à comprendre entre les lignes. Le saintete, d’un mot qui signifie intermède dans le théâtre du Siècle d’or espagnol, était une pièce courte, généralement en un acte, et qui reproduisait, avec une distance critique et un humour parfois grinçant, parfois burlesque, la vie des gens ordinaires, ce que vivait ce peuple très majoritairement masculin d’immigrants aux langues et aux traditions très diverses, affrontés aux multiples difficultés du vivre ensemble, du vivre entre hommes dans une société sans femmes (disponibles) et de l’enracinement dans un pays neuf, à construire ou à (ré)inventer. Voir
mon article sur le récent hommage rendu au Sainete porteño par le Centro Cultural Marco Del Ponts à Buenos Aires en mars 2009.
(5) espichar, fiambre : espichar, c’est crever (ouvert par une pique, embroché), fiambre, c’est une préparation alimentaire froide à base de viande cuite (type jambon persillé ou fromage de tête, en gastronomie française). Mais autant on peut traduire en français fiambre par viande froide ou par macchabée (à l’origine un nom de famille, celui de patriciens juifs qui, au 3ème siècle av. JC, opposèrent la plus vive résistance à la politique d’assimilation paganisante d’un roi héllénistique), autant il est délicat, pour ne pas dire erroné, de traduire espichar par crever, parce qu’en français (et en français très châtié), crever est le verbe qui s’emploie pour les animaux. Il est devenu argotique parce que l’employer pour les hommes ravale ceux-ci au statut d’animaux. Ce qui donne à ce verbe une couleur dépréciative qui n’existe pas dans espichar. Quand on dit de quelqu’un qu’il a crevé ou qu’il va crever, on lui manque ouvertement de respect. Ce qui n’est pas le cas lorsqu’on dit qu’il a passé l’arme à gauche ou qu’il est parti les pieds devant.
(6) Sur les prétentions qu’ont toujours eues les pouvoirs publics d’Ancien Régime et de dictature dans le monde hispanique de régir le langage et sur la dimension éminemment politique de ces prétentions, voir mon article publié en septembre sous le titre
Mujica dit des gros mots et qui porte sur l’analyse socio-politique par l’écrivain uruguayen Jorge Majfud de la querelle intentée par la droite au candidat socialiste à l’élection présidentielle du 26 octobre en Uruguay, dans cette même rubrique Jactance & Pinta (pour le sens de ce dernier titre, se reporter à cet article bilingue sous le lien).
(7) Luis Alposta a été très ami avec un grand de ces deux genres, le dramaturge, essayiste et poète Cesar Tiempo, aux côtés de qui il a un temps siégé à la Academia Porteña del Lunfardo.
(8) Luis Alposta lui-même est l’auteur d’une savoureuse Anthologie du Sonnet lunfardo publiée chez Corregidor en 1977. L’adjectif costumbristas, que j’ai traduit pas traditionnalistes, se réfère plus exactement aux coutumes typiques, aux caractéristiques et aux identités locales de terroir. Le terme n’a pas d’équivalent exact en français et qui plus est, les équivalents en question renvoient à une démarche et un état d’esprit souvent passéiste, voire réactionnaire (Léon Daudet, Frédéric Mistral) alors que le costumbrista argentin cultive l’identité propre argentine en tant qu’elle s’éloigne et se départit de l’identité coloniale espagnole.
(9) Luis Alposta utilise ici une métaphore très commune en Argentine et pratiquement inconnue en français : la voix (ou la gorge, garganta) des poètes. En français, on parlera de la voix d’un chanteur (ou d’un orateur) et de la plume d’un poète.
(10) Vers extrait du tango Garúa de Enrique Cadícamo et Aníbal Troilo.
(11) Ici Luis Alposta cite deux quatrains, l’un tiré de Cuando me entrés a fallar et l’autre tiré de Canchero. Je ne vous présente que le second. L’article est déjà bien assez long comme ça, non ? Si en plus il faut vous expliquer par le menu les règles des jeux de cartes argentins qui fondent les métaphores de Flores, on n’est pas sorti de l’auberge, comme dirait l’autre. Et vous allez voir un peu plus loin si, pour nous francophones, c’est simple de comprendre, de chic, sur le champs et sans coup férir, les bribes de citations de Mi noche triste qui passent comme une lettre à la poste auprès du public argentin auquel s’adressent cette conférence et cet article.
Pour les connaissseurs que je m’en voudrais de frustrer, voilà ce quatrain qui sert d’exemple :

Cuántas veces con un cuatro
a un envido dije ¡Quiero!...
y otra vez me fui a baraja
y tenía treinta y tres.

(Cuando me entrés a fallar)

(12) Ma traduction introduit un jeu de mot qui n’existe pas dans le texte original. Ganarte, c’est l’emporter sur toi, te battre comme adversaire. Le verbe n’implique aucune notion de violence (battre = l’emporter sur ou frapper qqn, golpear a algiuen).
(13) Mate amargo : littéralement mate amer. Le mate est une boisson par nature âpre et très amère. Il arrive donc que les Argentins l’adoucissent avec du sucre, voire du miel ou de l’édulcorant, que l’on met dans le thermos d’eau chaude, cette eau à 80° que l’on verse ensuite au fur et à mesure sur les feuilles (yerba mate) contenues dans le mate (le récipient, à l’origine sans doute une petite calebasse évidée et séchée ou une section de bambou). On appelle donc mate amargo le mate que l’on boit sans sucre. En français, on parle de boisson nature, ou telle quelle (je bois mon café tel quel), ou sans sucre (comment prenez-vous votre thé ? à quoi on répondra spontanément sans sucre ou nature). Boire le mate amargo est tantôt un signe d’authenticité (seuls les vrais Sud Américains sont censés pouvoir boire cette boisson de cette façon, en affrontant son âpreté et son amertume caractéristiques), soit un signe de pauvreté (s’acheter du sucre était encore un luxe dans les faubourgs de Buenos Aires jusqu’à il n’y a pas si longtemps et c’en est toujours un dans les villa miseria en périphérie des grandes villes).
L’infusion de mate a une couleur verte. Dans le mate, la yerba mate elle-même varie du vert au brun (mais quand on boit le mate, on ne voit pas le liquide). Cette couleur verte n’a donc rien à voir avec l’image employée ici par Homero Expósito. En Argentine, on parlera volontiers de pelo color de té pour décrire des cheveux blonds (comme le fait Homero Manzi dans Papá Baltasar, pour décrire l’ange qui accompagne les Rois Mages dans leur tournée de distribution des cadeaux aux enfants sages). Le cheveu couleur thé est un vrai exotisme, comme le thé lui-même, les filles des cabarets, les milongueras, élégantes demi-mondaines à la recherche d’un riche protecteur, se teignaient volontiers en blond pour paraître... françaises, ce qui faisait très chic. Les filles des faubourgs conservaient elles leurs cheveux naturels, généralement châtains ou bruns (elles étaient des morochas, des brunes).
(14) Trenzas : des tresses. Il s’agit ici de la chevelure féminine dans ce qu’elle a de désirable et sensuel au regard des hommes (à une époque où, en public, toute femme convenable cachait ses cheveux sous un chapeau). En français, l’évocation de tresses fera surgir l’image d’une fillette impubère en tablier d’écolière. Or il ne s’agit évidemment pas de ça ici. Boucles convient donc mieux à ce contexte, que ce soit chez Homero Expósito ou chez son devancier, Homero Manzi.
(15) Sur l’histoire de Mi noche triste, de Samuel Castriota et Pascual Contursi en 1916 pour l’ajout du texte, et sur ce titre de gloire que porte ce tango d’être le premier tango canción, reportez-vous à mon article sur les Grandes dates du tango argentin dans Petites Chronologies, dans la partie médiane de la Colonne de droite, et à mon article sur
une interview-conférence de Pepe Kokubu, très éclairante au sujet de ce tango fondateur.
(16) Collection de citations à peine reformulées. Luis Alposta a mis en italiques les termes lunfardos (cotorro, catrera). Le reste du vocabulaire n’est pas du lunfardo. Bien entendu, dans le public, tout le monde est en mesure de chanter les bribes que livre le conférencier sans même avoir besoin d’y réfléchir une demi-seconde. Ce n’est peut-être pas tout à fait notre cas, en francophonie.
(17) Le narrateur est en effet gravement déprimé parce que sa compagne l’a abandonné dans la tristesse d’un logis misérable. Perdre sa compagne, se faire abandonné par elle était un terrible drame dans la société portègne qui comptait alors environ 5 hommes pour 1 femme. Vers 1880, on estime qu’il y avait à Buenos Aires 7 hommes pour 1 femme. Bien évidemment, ce déséquilibre démographique n’affectait pas les patriciens, où les hommes faisaient sans mal des mariages dignes de leur rang. Ils allaient ensuite grâce à leur argent s’offrir les services des prostituées des bordels de luxe dont la ville débordait et ne se privaient pas d’entretenir aussi une maîtresse, autant de femmes qui étaient de ce fait inaccessibles à la grande majorité, pauvre, des hommes de la ville.
(18) Arena que la vida se llevó : l’un des derniers vers de Sur, de Homero Manzi et Aníbal Troilo.
(19) Cocoliche : un langage moitié espagnol, moitié italien que parlaient les immigrants de la Botte à leur arrivée en Argentine (ceux qu’on a appelés les gringos). Beaucoup d'auteurs de théâtre populaire en ont fait leur régal dont Armando Discépolo, le frère aîné (comédien et dramaturge) d'Enrique Santos Discépolo, et des auteurs de tango comme Discépolo lui-même et plus étonnant, Homero Manzi dans des textes peu connus, il est vrai.
(20) La famille Podestá a été une très prestigieuse et très nombreuse famille du théâtre portègne, des années 1890 aux années 1940. Rien à voir avec le chanteur Alberto Podestá, qui de son vrai nom s’appelle Washington Alé et doit son pseudonyme artistique à Carlos Di Sarli, qui le lui a imposé en 1942 lorsqu’il l’a débauché de chez Miguel Caló pour l’intégrer à son orchestre.
(21) C'est du cocoliche pur jus. Il dit ruban au lieu de roban, cuesta au lieu de esta, manga au lien de banda et lunfardos au lieu de ladrones. Du point de vue grammatical aussi, son discours est bancal : il utilise le présent (il ne sait pas conjuguer le prétérit) et le singulier (la masita), comme les Italiens qui disent la pasta (là où nous disons les pâtes), ce dont ont hérité les Portègnes (¿te gusta la pasta? à Buenos Aires, ça veut dire : est-ce que tu aimes les pâtes fraîches ?)
(22) Je reprends ici l'authentique texte de François Villon dans la forme syntaxique originelle, très éloignée de notre français du 21ème siècle.
(23) Néologisme, pour éviter toute ambiguité entre ce qui est portègne (neutre) et le Portègne (masculin), c’est-à-dire l’homme de Buenos Aires.