mercredi 8 juillet 2009

Chambardement gouvernemental [Actu]

Ce matin, les Argentins se sont réveillés avec un remaniement ministériel de derrière les fagots (de mi flor). Au lendemain des élections du 28 juin, la Présidente avait pourtant juré ses grands dieux qu’elle n’avait aucune raison de changer quoi que ce soit, mais deux démissions et 10 jours plus tard, la cascade ministérielle de ce matin vous a des airs de Chutes d’Iguazu...
Essayons de nous y retrouver.
Le premier ministre, Sergio Massa, qui porte là-bas le titre de Jefe de Gabinete, nommé il y a à peine un an, après le non de Julio Cobos (voir cet article, qui a inauguré les colonnes de Barrio de Tango le 19 juillet 2008), disparaît. Il est remplacé par Aníbal Fernández, qui, jusqu’alors Ministre de la Sécurité et de la Justice, louchait très fort du côté du poste de chef de Gouvernement.
L’efficacité et la rigueur de Sergio Massa seront sans doute regrettées par de nombreux Argentins mais les habitants de Tigre (petite ville de banlieue résidentielle au nord de Buenos Aires) se réjouiront peut-être de récupérer leur maire, qui s’était mis en vacances de son mandat municipal pour se consacrer à la direction du Gouvernement.
A la surprise générale, Julio Alak, ancien maire péroniste de La Plata, un fidèle kichneriste qui était jusqu’à hier soir PDG de Aerolineas Argentinas, la compagnie d’aviation récemment renationalisée (lire mes articles à ce sujet), devient Ministre de la Sécurité et de la Justice. Et Aerolineas, qui a tant besoin d’un peu de stabilité après la tempête, voit arriver à sa tête Mariano Recalde, 37 ans, ex-candidat malheureux aux dernières élections (pour Frente para la Victoria). C’est un proche de l’actuel leader du syndicat péroniste CGT, Hugo Moyano, l’appui politique et social indispensable des deux mandatures kichneristes successives. (Avant de devenir le Secrétaire général de cette centrale syndicale surpuissante, Moyano était un dirigeant de la section des camionneurs, et il en a et le vocabulaire et la carrure et le comportement fonceur. C’est dans un dîner à ses côtés que Néstor Kirchner avait fait sa première apparition publique quelques jours après la prestation du serment présidentiel de sa femme, le 10 décembre 2007).
Le Ministre de l’Economie valse lui aussi : Carlos Fernández est remplacé par Amado Boudou, qui occupait jusqu’à présent les fonctions de directeur général de la ANSeS, institution publique de sécurité sociale qui gère depuis le début de l’année la totalité du régime de retraite par répartition devenu enfin universel et obligatoire (lire mes articles sur la suppression des régimes de retraite de base par capitalisation, les AFJP).
A la tête de la ANSeS, Cristina Fernández de Krichner (1), la Présidente, a nommé Diego Bossio, qui était jusqu’à présent le patron du Banco Hipotecario. Ce jeune économiste de 29 ans est, disent les méchantes langues, l’un des rares experts en la matière que la Présidente daigne écouter.
D’où la question qui brûle toutes les lèvres : qui va remplacer Diego Bossio à la direction de cette banque qui finance les nouveaux prêts immobiliers, lancés, avec succès, il y a quelques mois ?
Vous suivez toujours ? Bravo. Attention, car ce n’est pas fini. Là, ça va nous intéresser au premier chef, nous qui nous passionnons pour la culture argentine...
José Nun fait aussi sa valise et laisse le Secrétariat à la Culture à un député qui est aussi un cinéaste. Eh non, ce n’est pas Pino Solanas (2)... Le nouveau ministre s’appelle Jorge Coscia. Il a été directeur de l’INCAA (l’institut national du cinéma et des arts audiovisuels). Jorge Coscia a sur son prédécesseur l’avantage d’être du métier et d’avoir laissé de son passage à l’Institut du Cinéma un très bon souvenir à presque tout le monde, journalistes et artistes. Politiquement, Coscia se définit comme un péroniste de gauche et il était jusqu’à présent député du Frente para la Victoria, l’alliance politique à laquelle appartient la Présidente et son ex-président de mari (le mandat de Coscia arrivait à échéance en décembre, il démissionne donc avec 6 mois d’avance). Son prédécesseur part, quant à lui, sur un constat d’échec qu’il a l’honnêteté de ne pas chercher à dissimuler.
Et pour ne pas perdre de temps, toutes les passations de pouvoir auront lieu dès ce soir à 19h. A noter que tout ce remaniement s’est opéré alors que la Présidente était en déplacement à l’étranger, notamment à cause de la crise institutionnelle au Honduras (elle soutient le président destitué, Zelaya, comme tous ses homologues de la région). Le journal La Nación voit donc dans ce remaniement la patte de Néstor Kirchner lui-même et fait de ce nouveau gouvernement le résultat d’oiseuses discussions d’alcôve.
Et les rumeurs vont bon train quant au devenir politique du Secrétaire d’Etat à l’Agriculture et du Secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, un de ceux dont Pino Solanas a demandé la tête la semaine dernière. Tous deux semblent devoir rester en place dans leur ministère respectif mais pour combien de temps encore ?
Bref (total, comme disent les Argentins), ici et là-bas, la politique est un monde de brutes qui ne s’épargnent aucun coup de coude dans les côtes... Mais quand il n’y pas plus grand-chose à l’affiche, ça permet de causer !
Pour aller plus loin :
Consulter l’édition de ce jour de Clarín
Consulter l’édition de ce jour de Página/12
Consulter l’édition de ce jour de La Nación
Lire l’article de ce jour dans La Prensa
(1) Pour ne pas vous perdre au milieu de tous ces Fernández, suivez les prénoms.
(2) Pino Solanas, il est un petit peu en froid avec la Présidente depuis quelques jours... Ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas été approché et si c’est le cas, il a dû refuser vertement... Quant à moi, ça me fait rudement plaisir de voir que vous suivez tout ça avec autant de soin et que vous commencez à repérer qui est qui... Lire à propos de Pino Solanas
mon article sur les bons résultats qu’il a faits aux dernières élections.