vendredi 8 mai 2009

Emplois fictifs à Buenos Aires [Actu]

Dans un article de fin avril, L'arroseur arrosé, je vous parlais de la campagne menée par le Gouvernement de la Ville autonome de Buenos Aires qui appelait à la dénonciation publique des cas de profits illégaux commis par des fonctionnaires territoriaux (lire l'article). La démarche était pour le moins inélégante de la part du Gouvernement et a scandalisé beaucoup de citoyens dans la capitale argentine.

Le Gouvernement de la Ville a publié récemment les résultats de l'audit mené dans les charges salariales et la situation n'est pas triste, comme on dit familièrement en français pour signifier qu'elle est passablement scandaleuse.

En fait, l'audit a révélé 6000 cas irréguliers, 6 000 personnes qui touchent un salaire ou une partie de salaire qu'elles ne devraient pas toucher.

Un seul de ces cas a été effectivement porté devant la justice et va faire l'objet de poursuites pénales. Un autre cas a été réglé par conciliation : la fraudeuse s'est engagée à rembourser l'argent indument perçu sur un échéancier négocié.
Le Gouvernement portègne semble avoir appris de l'expérience : à son arrivée aux affaires, il avait démis d'une manière très humiliante une centaine d'employés en motivant la sanction par de supposées malversations, les employés démis ont porté plainte et la Ville a été condamnée pour licenciement abusif pour la quasi-totalité des plaignants (sauf deux personnes, reconnues coupables d'indélicatesses mineures). Cette fois-ci, le Gouvernement prend des gants (1) et ne se porte effectivement en justice (en tout cas jusqu'à ce jour) que contre un seul cas sur 6 000 !

Le quotidien Clarín a révélé hier les 10 situations les plus ubuesques et on peut constater, vue l'énormité des fraudes, que le Gouvernement a bien appris sa leçon (il y a largement de quoi porter plainte !).
Ceci dit, on est en période électorale et les réactions des Portègnes sur le portail Web de la ville montrent que l'opération (2) n'est pas vraiment populaire.

Voici quelques exemples de fraude, pas piqués des vers (3) :

Un enseignant décédé le 15 juin 2007 et dont quelqu'un a continué à toucher le salaire (soit 1700 $ par mois), jusqu'en avril 2008.

Un prêtre payé comme employé de service dans un hôpital pour 35 h de travail hebdomadaire. L'enquête indique qu'il ne faisait en fait que venir célébrer la messe comme aumônier.

Dans le même hôpital, un employé continuait à percevoir l'intégralité de son salaire alors qu'il se trouvait en arrêt maladie (licencia médica) de longue durée (1 513 jours au moment où la supercherie a été détectée) alors que selon le statut du personnel, au bout de 1 050 jours (donc après 3 ans), le salarié n'est plus payé.
Dans un école, le même cas a été enregistré : en l'occurrence, la personne, en arrêt-maladie depuis 2006, n'aurait dû percevoir que 25% de son salaire depuis 13 mois. Or elle a continué à percevoir la totalité, soit un trop-perçu de plus de 50 000 $ sur les derniers 13 mois.
Il n'y a cependant pas nécessairement dol de la part de ces deux salariés. Ce trop-perçu peut être le fruit d'une simple ignorance du droit qui s'applique ou, si l'arrêt médical est justifié, celui d'une incapacité à juger de la situation, le problème de santé occupant tout l'esprit et toute la disponibilité de la personne et de sa famille.

Une femme qui n'est plus venue travailler depuis 1979 est toujours inscrite sur les listes de la Direction Générale de l'Education nationale. Son supposé supérieur hiérarchique ne l'a jamais vue.

On a repéré aussi un salarié qui ne travaille qu'en fin de semaine et jours fériés et qui signe le registre de présence à l'avance. L'inspecteur est passé le 8 du mois et il avait déjà signé pour les 11 et 12 ! Ce qui n'est pas bien malin de sa part, quand une telle opération d'audit est montée et qu'on en fait tant de bruit dans toutes les gazettes !

Une enseignante avait un tableau de service de 52 heures de cours par semaine, dans 4 écoles différentes, avec un emploi du temps qui montre qu'elle est atteinte du don d'ubiquité.

Dans le même genre, une personne qui émargeait à la fois à la Ville de Buenos Aires et à celle de Matanza (dans la banlieue sud de la Capitale). Entre octobre 2008 et avril 2009, cette personne a touché des émoluements correspondant au travail effectif de plusieurs personnes. On pense que sur ce cas, la Ville va se porter en justice.

Le salarié affectivement poursuivi l'est, quant à lui, pour faux et usages de faux : il était censé travailler à l'hôpital Fernandez mais n'était jamais présent sur le lieu de travail. Or sur le registre de présence, sa signature figure bien, mais sous des formes diverses et variées. Il semble bien dans ce cas qu'il y ait dol et volonté de fraude et peut-être avec des complicités.

En savoir plus :
lire l'article de Clarín du 7 mai 2009

(1) "Prendre des gants" : tomar precauciones.
(2) C'est davantage la façon de mener cette opération et cet appel à la dénonciation qui a provoqué une réaction de rejet que la lutte contre la corruption et l'abus des deniers publics elle-même qui sous-tend l'opération et avait en grande partie valu son élection à Mauricio Macri en juin 2007.
(3) "pas piqué des vers", "pas piqué des hannetons" (francés popular) : significa de buena calidad pero sólo se dice de manera irónica.