Une de Página/12 d'aujourd'hui
Jusqu’à présent, je ne vous ai pas beaucoup parlé du contenu de la double campagne électorale actuelle, parce que 25 ans après le retour de la démocratie en Argentine, cette campagne électorale est comme toutes les campagnes électorales : pas beaucoup d’idées de fond très originales, des coups bas qui pleuvent de tous côtés, des provocations en tout sens, des querelles sur les personnes, bref, c’est assez peu tanguero et plutôt lassant. Mais là, Mauricio Macri vient de faire très fort et ça, il faut que je vous le raconte...
A 10 jours du scrutin, le Chef du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, l’un des principaux opposants au niveau national au Gouvernement fédéral tenu par la Présidente Cristina Fernández de Kirchner, vient donc d’ouvrir une grosse polémique en annonçant que sa politique à lui serait de reprivatiser le régime de retraite dit des AFJP (Administradoras de los Fondos de Jubilaciones y Pensiones) ainsi que la compagnie d’aviation Aerolineas Argentinas.
Résumé des épisodes précédents :
Le Gouvernement a décidé l’année dernière de renationaliser la compagnie Aerolineas Argentinas qui venait de subir 18 années de gestion privée plus catastrophiques les unes que les autres sur tous les plans : commercial, économique et social. La compagnie avait été vendue en 1990 par le Gouvernement pseudo-péronniste de Carlos Menem pour une bouchée de pain à Iberia qui l’avait elle-même revendue à Marsans avec des jeux d’écriture et des prêts de l’Etat espagnol qui ne parvient plus à retrouver ses sous. Et Marsans avait progressivement dépouillé la compagnie argentine au profit d'Air Comet, sa propre compagnie de courts et moyens courriers, et d’autres projets dont il semble bien que la renationalisation les ait fait avorter. Depuis que Aerolineas Argentinas a été reprise en main par l’Etat, sa gestion s’est assainie, les pertes d’exploitation (artificiellement créées par Marsans) ont diminué et la qualité du service commercial s’est améliorée (plus de ponctualité, moins de grève et surtout, c’est très visible sur les visages en cabine, un personnel qui a retrouvé une indéniable fierté d’appartenance). Il reste l’énorme dette provoquée par la gestion aberrante de Marsans qui n’a jamais payé ses taxes d’aéroport, ni à Ezeiza ni même souvent à l’étranger, et qui a oublié plusieurs factures de fournisseurs (des grosses factures). Ce qui fait que l’Etat argentin, en prononçant l’expropriation de Marsans, a surtout, hélas, racheté des dettes mais il a aussi assuré l’avenir des liaisons internes et externes du pays, sans parler du symbole de fierté nationale qu’est cette compagnie depuis sa fondation à la fin des années 40 par le premier gouvernement de Juan Perón.
Quant aux AFPJ, il s’agit là aussi d’une des mesures phares du Gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner. Là aussi, il s’agit de défaire ce qui avait été mis en place par Carlos Menem lors de la grande vague néo-libérale de la décennie 90. C’est Carlos Menem qui avait en effet institué un système de retraite par capitalisation, en alternative à un système de retraite par répartition qui n’était pas obligatoire. Le krach boursier d’octobre dernier a mis en valeur la catastrophe économique qu’était le système des AFPJ pour les affiliés dont les retraites ne franchissaient parfois pas la barre des 300 $ par mois (regardez dans la partie centrale de la Colonne de droite ce que vaut le peso argentin par rapport à l’euro, vous serez édifié) alors que les revenus des dirigeants des fonds étaient plus que confortables (prélevés sur une commission de 40% des cotisations déposées) et les salaires des employés une vraie misère. Le système a donc été supprimé comme système de retraite de base. Il continue d’exister comme système complémentaire. Et le système de retraite par répartition est obligatoire depuis le début de l’année, ce qui garantit sa pérennité pour quelques années, si toutefois le Gouvernement parvient, au fil des années à venir, à faire baisser le niveau du travail au noir (estimé à environ 40% de l’activité salariée en Argentine acturellement).
A 10 jours des élections législatives de mi-mandat au niveau fédéral et des élections législatives à Buenos Aires, c’est l’idée que vient de lancer Mauricio Macri, l’actuel champion du libéralisme en Argentine, à la tête du groupe PRO au niveau national et local, et dont l’ancienne suppléante au Gouvernement de la Ville de Buenos Aires, Gabriela Michetti, se présente à un siège de députée nationale. La politique que Mauricio Macri appelle de ses voeux est donc celle qui fut conduite dans les années 90 par Carlos Menem, aujourd’hui sénateur, inculpé dans différentes affaires peu reluisantes de corruption, d’abus de pouvoir et de fraude dans la vente de biens immobiliers nationaux et enfin, comme si tout cela ne suffisait pas, de complicité avec des terroristes (les poseurs de bombe de l’attentat de l’AMIA). Qui plus est, cette politique a abouti, au bout de 10 ans, à l’effondrement monétaire et économique de l’Argentine en décembre 2001. Mais il est vrai que Carlos Menem est aussi au sein du Parti Justicialiste (fondé par Perón) le porte-drapeau de l’opposition interne à Néstor et Cristina Kirchner. Alors à la guerre comme à la guerre : on est en campagne électorale.
Aussitôt rentrée de Genève où elle vient de défendre le rôle de régulateur économique de l’Etat pour lutter contre la crise et prévenir son renouvellement futur, devant l’Assemblée Générale de l’Organisation Internationale du Travail, la Présidente est immédiatement partie à l’attaque contre Mauricio Macri et a défendu avec fermeté sa politique, qui est, selon toute apparence, une politique au long cours, plutôt cohérente d’ailleurs et très fidèle aux principes du péronisme : assurer l’indépendance politique et économique de l’Argentine en développant les activités financées par des fonds argentins eux-mêmes, ce à quoi elle ajoute le respect des droits de l’homme (1).
Au même moment, la campagne électorale voyait les quatre grands candidats qui se présentent à Buenos Aires au niveau national s’affronter dans un débat démocratique dont Clarín, Página/12 et La Nación se font aujourd’hui l’écho. En illustration de cet article, j’ai mis l’image de la Une de Página/12 pour l’emblématique photo où vous voyez deux champions de cette campagne :
En fauteuil roulant, c’est Gabriela Michetti, l’ancienne seconde de Macri qui reste fidèle au leader malgré le fait qu’il a exigé sa démission comme Vice-Jefa de Gobierno (Gabriela Michetti est connue pour ses positions libérale et comme fervente catholique).
A droite de l’image, ce grand monsieur aux cheveux blancs, c’est un Sénateur, porteur du projet du Parti Socialiste Autonome, Proyecto Sur, un péroniste pur et dur, attaché à une gauche sans concession pour le capitalisme international. Ce monsieur, c’est le cinéaste (le très grand cinéaste) Fernando Solanas, dit Pino Solanas. C’est lui qui a écrit les très belles paroles de Vuelvo al Sur, sur une musique d’Astor Piazzolla, un tango qui fait partie de l’un de ses films d’il y a une vingtaine d’années.
Jusqu’à présent, je ne vous ai pas beaucoup parlé du contenu de la double campagne électorale actuelle, parce que 25 ans après le retour de la démocratie en Argentine, cette campagne électorale est comme toutes les campagnes électorales : pas beaucoup d’idées de fond très originales, des coups bas qui pleuvent de tous côtés, des provocations en tout sens, des querelles sur les personnes, bref, c’est assez peu tanguero et plutôt lassant. Mais là, Mauricio Macri vient de faire très fort et ça, il faut que je vous le raconte...
A 10 jours du scrutin, le Chef du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, l’un des principaux opposants au niveau national au Gouvernement fédéral tenu par la Présidente Cristina Fernández de Kirchner, vient donc d’ouvrir une grosse polémique en annonçant que sa politique à lui serait de reprivatiser le régime de retraite dit des AFJP (Administradoras de los Fondos de Jubilaciones y Pensiones) ainsi que la compagnie d’aviation Aerolineas Argentinas.
Résumé des épisodes précédents :
Le Gouvernement a décidé l’année dernière de renationaliser la compagnie Aerolineas Argentinas qui venait de subir 18 années de gestion privée plus catastrophiques les unes que les autres sur tous les plans : commercial, économique et social. La compagnie avait été vendue en 1990 par le Gouvernement pseudo-péronniste de Carlos Menem pour une bouchée de pain à Iberia qui l’avait elle-même revendue à Marsans avec des jeux d’écriture et des prêts de l’Etat espagnol qui ne parvient plus à retrouver ses sous. Et Marsans avait progressivement dépouillé la compagnie argentine au profit d'Air Comet, sa propre compagnie de courts et moyens courriers, et d’autres projets dont il semble bien que la renationalisation les ait fait avorter. Depuis que Aerolineas Argentinas a été reprise en main par l’Etat, sa gestion s’est assainie, les pertes d’exploitation (artificiellement créées par Marsans) ont diminué et la qualité du service commercial s’est améliorée (plus de ponctualité, moins de grève et surtout, c’est très visible sur les visages en cabine, un personnel qui a retrouvé une indéniable fierté d’appartenance). Il reste l’énorme dette provoquée par la gestion aberrante de Marsans qui n’a jamais payé ses taxes d’aéroport, ni à Ezeiza ni même souvent à l’étranger, et qui a oublié plusieurs factures de fournisseurs (des grosses factures). Ce qui fait que l’Etat argentin, en prononçant l’expropriation de Marsans, a surtout, hélas, racheté des dettes mais il a aussi assuré l’avenir des liaisons internes et externes du pays, sans parler du symbole de fierté nationale qu’est cette compagnie depuis sa fondation à la fin des années 40 par le premier gouvernement de Juan Perón.
Quant aux AFPJ, il s’agit là aussi d’une des mesures phares du Gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner. Là aussi, il s’agit de défaire ce qui avait été mis en place par Carlos Menem lors de la grande vague néo-libérale de la décennie 90. C’est Carlos Menem qui avait en effet institué un système de retraite par capitalisation, en alternative à un système de retraite par répartition qui n’était pas obligatoire. Le krach boursier d’octobre dernier a mis en valeur la catastrophe économique qu’était le système des AFPJ pour les affiliés dont les retraites ne franchissaient parfois pas la barre des 300 $ par mois (regardez dans la partie centrale de la Colonne de droite ce que vaut le peso argentin par rapport à l’euro, vous serez édifié) alors que les revenus des dirigeants des fonds étaient plus que confortables (prélevés sur une commission de 40% des cotisations déposées) et les salaires des employés une vraie misère. Le système a donc été supprimé comme système de retraite de base. Il continue d’exister comme système complémentaire. Et le système de retraite par répartition est obligatoire depuis le début de l’année, ce qui garantit sa pérennité pour quelques années, si toutefois le Gouvernement parvient, au fil des années à venir, à faire baisser le niveau du travail au noir (estimé à environ 40% de l’activité salariée en Argentine acturellement).
A 10 jours des élections législatives de mi-mandat au niveau fédéral et des élections législatives à Buenos Aires, c’est l’idée que vient de lancer Mauricio Macri, l’actuel champion du libéralisme en Argentine, à la tête du groupe PRO au niveau national et local, et dont l’ancienne suppléante au Gouvernement de la Ville de Buenos Aires, Gabriela Michetti, se présente à un siège de députée nationale. La politique que Mauricio Macri appelle de ses voeux est donc celle qui fut conduite dans les années 90 par Carlos Menem, aujourd’hui sénateur, inculpé dans différentes affaires peu reluisantes de corruption, d’abus de pouvoir et de fraude dans la vente de biens immobiliers nationaux et enfin, comme si tout cela ne suffisait pas, de complicité avec des terroristes (les poseurs de bombe de l’attentat de l’AMIA). Qui plus est, cette politique a abouti, au bout de 10 ans, à l’effondrement monétaire et économique de l’Argentine en décembre 2001. Mais il est vrai que Carlos Menem est aussi au sein du Parti Justicialiste (fondé par Perón) le porte-drapeau de l’opposition interne à Néstor et Cristina Kirchner. Alors à la guerre comme à la guerre : on est en campagne électorale.
Aussitôt rentrée de Genève où elle vient de défendre le rôle de régulateur économique de l’Etat pour lutter contre la crise et prévenir son renouvellement futur, devant l’Assemblée Générale de l’Organisation Internationale du Travail, la Présidente est immédiatement partie à l’attaque contre Mauricio Macri et a défendu avec fermeté sa politique, qui est, selon toute apparence, une politique au long cours, plutôt cohérente d’ailleurs et très fidèle aux principes du péronisme : assurer l’indépendance politique et économique de l’Argentine en développant les activités financées par des fonds argentins eux-mêmes, ce à quoi elle ajoute le respect des droits de l’homme (1).
Au même moment, la campagne électorale voyait les quatre grands candidats qui se présentent à Buenos Aires au niveau national s’affronter dans un débat démocratique dont Clarín, Página/12 et La Nación se font aujourd’hui l’écho. En illustration de cet article, j’ai mis l’image de la Une de Página/12 pour l’emblématique photo où vous voyez deux champions de cette campagne :
En fauteuil roulant, c’est Gabriela Michetti, l’ancienne seconde de Macri qui reste fidèle au leader malgré le fait qu’il a exigé sa démission comme Vice-Jefa de Gobierno (Gabriela Michetti est connue pour ses positions libérale et comme fervente catholique).
A droite de l’image, ce grand monsieur aux cheveux blancs, c’est un Sénateur, porteur du projet du Parti Socialiste Autonome, Proyecto Sur, un péroniste pur et dur, attaché à une gauche sans concession pour le capitalisme international. Ce monsieur, c’est le cinéaste (le très grand cinéaste) Fernando Solanas, dit Pino Solanas. C’est lui qui a écrit les très belles paroles de Vuelvo al Sur, sur une musique d’Astor Piazzolla, un tango qui fait partie de l’un de ses films d’il y a une vingtaine d’années.
Vuelvo al sur
Como se vuelve al amor
Vuelvo al sur
Con mi deseo, con mi temor
Je reviens au Sud (2)
Comme on revient à l’amour
Je reviens au Sud,
Avec mon désir, avec ma peur
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Comme on revient à l’amour
Je reviens au Sud,
Avec mon désir, avec ma peur
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Vous pouvez écouter cette merveille, qui fut créée dans le film par Roberto Goyeneche, sur Todo Tango, par la chanteuse actuelle Lina Avellaneda (elle porte le nom d'une commune de la ceinture sud de Buenos Aires) : cliquez ici.
Pour aller plus loin :
Lire mes articles sur Aerolineas et sa renationalisation mouvementée
Derrière le présent article qui ouvre désormais cette série, vous allez tomber sur une découverte archéologique à cause d’un dessin de Daniel Paz qui caricature Marsans prétendant avoir des droits sur ce vieux galion espagnol. A l’époque de la découverte, Marsans réclamait des sommes exorbitantes à l’Argentine pour des actifs aéronautiques fantômes, que le voyagiste espagnol avait de fait déjà liquidés depuis belle lurette.
Lire mes articles sur les AFJP, leur disparition et les nombreux scandales financiers liés à leur gestion économique aberrante.
Lire mes articles sur Carlos Menem et ses actuels démêlés judiciaires.
Lire mes articles sur Aerolineas et sa renationalisation mouvementée
Derrière le présent article qui ouvre désormais cette série, vous allez tomber sur une découverte archéologique à cause d’un dessin de Daniel Paz qui caricature Marsans prétendant avoir des droits sur ce vieux galion espagnol. A l’époque de la découverte, Marsans réclamait des sommes exorbitantes à l’Argentine pour des actifs aéronautiques fantômes, que le voyagiste espagnol avait de fait déjà liquidés depuis belle lurette.
Lire mes articles sur les AFJP, leur disparition et les nombreux scandales financiers liés à leur gestion économique aberrante.
Lire mes articles sur Carlos Menem et ses actuels démêlés judiciaires.
Pour lire mes articles concernant la politique menée par Cristina Kirchner, cliquez sur le mot-clé gob argentin dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.
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Pour en savoir plus :
Lire l’article de Página/12 sur le débat-querelle de Macri contre les Kirchner
Lire l’article de Clarín sur le même sujet
Le quotidien de droite La Nación n’en parle même pas sur sa Une web. Rappelons d’ailleurs que si la disparition des AFJP a divisé la représentation nationale argentine, l’expropriation de Marsans du capital d’Aerolineas Argentinas a été votée par une très large majorité constituée d’élus de tous bords, et ce dans les deux chambres.
Lire l’article de Página/12 sur le débat entre les quatre grands candidats nationaux se présentant à Buenos Aires
Lire l’article de Clarín sur le débat à quatre d’hier.
Lire l'article de La Nación sur le débat d'hier.
(1) Les droits de l’homme n’étaient pas la priorité de Perón. En pleine guerre froide et avec l’impérialisme des Etats-Unis à sa porte, Perón, indépendamment même de sa personnalité, n’aurait pas eu les moyens de se maintenir au pouvoir dans un cadre authentiquement démocratique. La démocratie implique que l’Etat soit fort. Elle n’est pas viable lorsqu’il est menacé d’être mis en tutelle par un autre pays. Perón a donc mené sa politique dans le cadre d’un Etat autoritaire et policier, où régnait une censure certaine, tout en respectant la Constitution. Ainsi il a toujours eu une opposition au Parlement. Perón a été renversé par un coup d’Etat soutenu par la CIA en septembre 1955. Il avait été élu en 1946 avec 56% des suffrages exprimés dans une élection libre et sincère, la première élection démocratique depuis 16 ans en Argentine. Voir à ce sujet mon article sur l’histoire de l’Argentine et de l’Uruguay dans la partie centrale de la Colonne de droite, rubrique Petites chronologies.
(2) Le sud dont il est question ici, ce n’est pas la Patagonie. C’est le sud de la ville de Buenos Aires. Ses faubourgs ouvriers, rebelles, remuants, bref de gauche...