jeudi 1 avril 2010

Le pont du Bicentenaire [Coutumes]

Alors que commence aujourd'hui le long week-end de Semaine Sainte (en Argentine, les Jeudi et Vendredi Saints sont fériés, c'est un vrai chassé-croisé sur les routes et tout le monde reprend le travail lundi), le Gouvernement vient d'annoncer que le lundi 24 mai sera un jour férié dans tout le pays.

Rien à voir avec le lundi de Pentecôte qui, s'il est férié en France, en Belgique et dans certains cantons suisses, n'existe pas en Argentine (pas plus qu'en Espagne). Non, le 24 mai, il s'agit de faire le pont avec la fête nationale, qui sera aussi cette année celle du bicentenaire, le 25 mai, où les Argentins célébreront la toute première déclaration d'indépendance de leur pays, lorsque la colonie a voulu se séparer de l'Espagne qui venait de tomber sous la coupe de Napoléon, lequel avait installé sur le trône de l'Escurial son frère, Joseph, l'usurpateur que les Espagnols surnommèrent bien vite Pepe Borracho, à cause de son penchant pour la bouteille (Pepe l'Ivrogne). Cette déclaration était une initiative d'une certaine frange de l'aristocratie de Buenos Aires, le 25 mai 1810, dans l'enceinte du Cabildo, qui était jusqu'alors le siège de la vie politique régionale, la résidence officielle du Vice Roi.

Les célébrations de ce Bicentenaire se préparent donc en ce moment. Les Argentins vivent toujours dans l'improvisation par rapport à notre propre relation au temps. On a donc appris mardi, de la bouche de la Présidente Cristina Fernández de Kirchner, en visite à Luján, que ce ne serait pas l'archevêque de Buenos Aires, le Cardinal Jorge Bergoglio, sj, qui présiderait le Te Deum du 25 mai prochain (il passe pour un adepte de la droite et du coup, la Présidente et lui maintiennent entre eux des relations assez fraîches) mais l'évêque de Luján-Mercedes (Province de Buenos Aires), Monseigneur Agustín Radrizzani, réputé plus proche de la gauche péroniste actuellement au pouvoir.

Le Te Deum de cette Fête Nationale tout à fait particulière sera célébré dans la Basilique de Luján et non à la Cathédrale Métropolitaine, située sur Plaza de Mayo à Buenos Aires, comme on s'y serait attendu et comme l'aurait voulu, paraît-il, Néstor Kirchner, le mari de la Présidente et ex-président lui-même. La raison officielle et symbolique en est simple, la Vierge de Luján est la sainte Patronne de l'Argentine (et en plus, a dit le Chef de l'Etat, sa mère et sa soeur en seraient des fidèles adoratrices). Il est vrai aussi que, depuis l'arrivée au pouvoir des Kirchner, le Président puis la Présidente se sont arrangés pour décentraliser presque tous les ans le Te Deum du 25 mai et éviter ainsi le contact avec le cardinal jésuite (1).


Fileteado représentant la Vierge de Luján par le fileteador Carlos Carboni
(un cadeau du peintre à Luis Alposta en 1984,
et que Luis Alposta a sous les yeux lorsqu'il travaille à son bureau, chez lui)

A mon retour de Buenos Aires, je vous avais fait un petit retour sur images sur une excursion que je devais à la gentillesse de Luis Alposta, de son épouse et de leur fille, qui m'ont fait visiter Luján avec un petit crochet par Tigre sur le retour vers la capitale. En marchant à travers la ville et en visitant la basilique, je ne pouvais pas ne pas penser à Virgencita criolla (Sainte Vierge de chez nous), cette très jolie chanson écrite par Luis et dont je vous donne ci-dessous les premiers vers (avec traduction, comme d'habitude)...

Et si vous voulez voir un peu à quoi ressemble cette petite citée, où la naissance du poète Enrique Cadícamo avait été déclarée le 15 juillet 1900 (2), vous pouvez cliquer sur le lien vers cette Promenade au bord de l'eau, publiée le 27 septembre dernier.

¡Hay fiesta de kermese
y es por la Virgencita
que en procesión se mece!

Es una Virgencita
de corona polenta
y cuatro pingos bayos
le van abriendo senda.

Virgencita Criolla, Luis Alposta (musique de Juan Tata Cedrón)

C'est la fête, la kermesse
la fête pour la Sainte Vierge
qui en procession est bercée !

C'est une Sainte Vierge
à couronne safran
et quatre canassons bais
vont lui ouvrant le chemin.

(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pour en savoir plus sur les préparatifs de ce Te Deum 2010 :
lire l'article de ce jour sur le site Página/12
lire l'article du 30 mars sur le site de Clarín
Si vous lisez les articles d'hier sur le site La Nación et d'avant-hier sur celui de Crítica de la Argentina, vous aurez en prime l'anecdote racontant quel signe (à tomber par terre, c'est le cas de le dire !) la Vierge aurait envoyé à la Présidente pour qu'elle désigne Luján comme lieu du Te Deum du Bicentenaire. On pourrait croire à un poisson d'avril. Mais ce n'en est pas un : les articles sont tous datés de mars !


(1) Pourtant la Compagnie de Jésus a un long et glorieux passé en Argentine où elle a constamment mené une pastorale d'adaptation des pratiques chrétiennes, tant liturgiques que sociales, à la réalité sociologique et culturelle du pays. Il en reste de nombreux témoignages à Buenos Aires, à commencer par la Manzana de las Luces, aujourd'hui grand centre culturel au cœur de la capitale et autrefois maison-mère de la Compagnie pour ce qui est aujourd'hui le Paraguay, l'Argentine et l'Uruguay. Et l'Université du Sauveur, fondée et tenue par la Compagnie, est un autre de ces témoignages de cette action de développement culturel, intellectuel et économique menée par les jésuites dans la région (dont ils furent chassés pour cette raison à plusieurs reprises). Voir mon article du 23 septembre 2009 sur la réception comme docteur Honoris Causa de Horacio Ferrer à la Universitad del Salvador.
(2) Enrique Cadícamo est né à General Rodríguez, à quelques kilomètres de Luján, mais il n'y avait d'état-civil alors dans ce qui n'était encore qu'un hameau rural. Son père, Angel, alla donc déclarer son dixième enfant dans la bourgade la plus proche, qui était Luján. Son statut de sanctuaire marial pour tout le sud de l'Amérique du Sud et de sanctuaire national en a fait aujourd'hui une vraie petite ville et un centre d'attraction de tout le voisinage pour les loisirs du dimanche.