mardi 24 novembre 2009

Clase 70 : Millésime 70 ou l’enfance et la jeunesse racontées par Alorsa [Disques & Livres]

Alorsa (col ouvert) et Cucuza (cravate verte) à El Faro, en août 2008 (1er anniversaire du cycle El Tango vuelve al Barrio).
Cucuza présentait Alorsa avant de lui laisser le micro pour quelques récits et chansons.
Debout à gauche, le patron du Bar el Faro.

A la familia Pandelucos

Alorsa, auteur-compositeur-interprète de grand talent, que mes lecteurs réguliers connaissent depuis l’ouverture de ce blog, était né le 24 novembre 1970 à La Plata, la capitale de la Province de Buenos Aires. Comme vous le savez, il est malheureusement décédé, chez lui, dans sa ville natale, le 30 août dernier, d’un infarctus aigu qui nous a tous abasourdis...

Comme vous le savez aussi, malgré les 11 000 km d’océan qui nous séparaient, j’ai eu la chance de le connaître personnellement et de l’avoir comme ami.

Dans son premier disque, composé uniquement de morceaux originaux, Tangos y otras yerbas, et qu’il avait lui-même publié sous forme d’un album double comportant un CD et un DVD enregistrés en public (1), Alorsa avait intégré cette chanson magnifique, dont je vous livre ici une version bilingue (Alorsa avait lu et approuvé cette traduction). J’ai conservé, dans le texte original, ses trucs d’écriture comme les majuscules qui jouent aux cartes et le mélange anarchique de nombre en lettres et en chiffres...

Clase 70Soy nacido por cesárea, 3 kilos 7 cincuenta
Soy de la clase 70, no me acuerdo de Perón.
No usé pañal descartable, ví la tele en blanco y negro
Tengo muda en super 8 mi primera comunión.
Alorsa

Je suis né par césarienne, 3 kilos 750
Je suis du millésime 70, je ne me rappelle pas Perón.
Je n'ai pas eu de couches jetables, j'ai regardé la télé en noir et blanc
J'ai ma première communion en super-8 muet
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Ví a Piluso y a Minguito, por Balá dejé el chupete
me sé todas las canciones que hizo Pipo Pescador.
Ví a Monzón mirar la hora, la gran willy, los seamonkeys
Grité en el 78 los goles del matador.
Alorsa

J'ai vu Piluso et Minguito (2). Grâce à Balá (3), j'ai laissé ma tétine
Je sais par coeur toutes les chansons de Pipo le Pêcheur (4).
J'ai vu Monzón regarder l'heure, le coup à Willy et les Seamonkeys (5)
J'ai acclamé en 78 les buts du Tueur. (6)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Milonga, milonga mía
La de la clase 70
Si cuando saco la cuenta
Me pongo sentimental.
Alorsa

Milonga, ma chère milonga,
celle du millésime 70
Ça, quand je fais l'addition,
Ça me rend sentimental
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

La última vuelta del Haley, la coca en botella’e vidrio
Ví pasar los militares y la hiperinflación.
Ví a los árbitros de negro, me salvé de la colimba
Y lloré con las Malvinas, la pucha que lo tiró.
Alorsa

Le dernier passage de Haley, le coca en bouteille de verre,
j'ai vu passer les militaires et l'hyper-inflation
J'ai vu les arbitres en noir, j'ai échappé au service militaire
Et j'ai pleuré sur les Malouines. La pouffiasse qui a empoché le bénéf !
(7)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

En Berlín se cayó el muro, los yankis siempre a los tiros
Conocí un poco del mundo con los verdes a la par
Por extrañar los churrascos, por los mates con la vieja, (8)
Por los amigos y el barrio, al final me quedé acá.
Alorsa

A Berlin, le Mur est tombé, les yankis dans les parages comme toujours
J'ai un peu connu le monde grâce aux billets verts en parité fixe.
Parce que je regrettais la viande grillée et le maté avec ma mère,
les amis et mon quartier, pour finir, j’ai décidé de rester.

(Traduction Denise Anne Clavilier)

Con las piruetas del diego me llené de fantasía
Ví llegar el microondas, la video y la internet
Yo que dí mi primer beso con los discos de vinilo
Quién diría que ahora escucho en compactos a Gardel.
Alorsa

Avec les pirouettes du Diego (9), j'ai fait le plein de rêves
J'ai vu arriver le micro-onde, la vidéo et Internet
Moi qui ai donné mon premier baiser sur des disques de vinyle
qui aurait dit que maintenant j'écouterais Gardel en compacts
.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Ajout du 28 novembre : les parents d'Alorsa m'ont dit il y a quelques jours que cette chanson était une des préférées de leur fils. J'ajoute que c'est aussi l'une des préférées des programmateurs musicaux de la 2x4 le samedi matin (très tôt, la tranche 3h-6h, là-bas) : je l'entends tous les samedis matin à un moment ou à un autre de cette tranche horaire. Le site de la 2x4 se trouve dans la rubrique Ecouter dans la partie basse de la Colonne de droite.
(1) La distribution du disque, c’était aussi Alorsa qui s’en chargeait. Aujourd’hui, l’album est difficile à trouver. Il faut attendre que les parents d’Alorsa aient pris leur décision sur l’édition et la distribution du prochain disque, 13 canciones para Mandiga, qu’Alorsa venait tout juste de terminer fin août, pour savoir quelles solutions ils retiendront (voir mon article sur la présentation de 13 canciones para Mandinga, le 3 octobre dernier, à La Plata).
(2) Piluso et Minguito sont deux personnages fictifs rendus très célèbres par leurs deux interprètes au point que les acteurs ont été identifiés aux personnages en question. Vous pouvez aller lire sous le lien
mon article sur un hommage que Luis Alposta avait rendu à la mi-juillet dernier à Minguito, c’est-à-dire au comédien Juan Carlos Altavista.
(3) Un animateur de télé très populaire dans les années 70. Il animait une émission enfantine au cours de laquelle il a demandé aux enfants d’envoyer leurs tétines pour en faire une vraie montagne que les enfants étaient très fiers de voir s’élever émission après émission. Alorsa avait participé à la collecte...
(4) Pipo Pescador est un musicien qui s’est fait connaître grâce à son travail pour les enfants mais qui est aussi un compositeur pour tout public. Il est assez difficile maintenant de trouver ses disques parce qu’il passe pour ancien. Mais si vous en trouvez, achetez !
(5) Monzón : Un des rares matchs où le champion de boxe Carlos Monzón regardait la pendule parce que son adversaire lui faisait passer un très mauvais quart d’heure. Willy, c’était le surnom (anglo-saxonnisé) du tennisman argentin Guillermo Vilas, qui avait inventé une passe par laquelle il renvoyait la balle entre ses jambes. Les Seamonkeys, c’est un nom déposé, une marque sous laquelle étaient vendus des petits crustacés d’aquarium qui ont fait un tabac auprès des petits et des grands dans les années 70 en Argentine. C’était une mode impulsée par les Etats-Unis dans tous les pays qu’ils tenaient sous leur influence commerciale et en Amérique du Sud, à cette époque-là, ils faisaient la pluie et le beau temps.
(6) El matador : on peut traduire le tueur ou le matador (celui de la corrida espagnole). C’était le surnom de Mario Kempes, un joueur de la Sélection nationale de football de la Coupe du Monde qui s’est tenue en Argentine, en 1978, sous la Dictature. Kempes avait été sacré meilleur buteur de la compétition, gagnée par l’Argentine, cette année-là. Diego Maradona, déjà footballeur renommé, avait été écarté de la Sélection à cause de son trop jeune âge.
(7) Reportez-vous à mon Vademecum historique pour comprendre les allusions aux avatars politiques que l’Argentine a connus à cette époque agitée (voir la rubrique Petites chronologies, en partie médiane de la Colonne de droite). Les billets vert en parité fixe, c’était une décision du Gouvernement Menem dans les années 90, une décision mégalomaniaque qui allait conduire le pays à la faillite générale de décembre 2001 avec l’effondrement de tout le système financier du pays. Alorsa avait profité de cette parité monétaire artificiellle pour voyager. Il avait parcouru, sac à dos et guitare en bandoulière une bonne partie de l’Amérique du Sud et avait poussé jusqu’en France et en Italie (probablement en Grèce aussi, mais il ne m’a jamais parlé de la Grèce). En France, il avait séjourné à Arcachon, chez des amis à lui, et il gardait un souvenir très vif de la Dune du Pilat, des dégustations d’huîtres et de l’apéro du soir, avec le pastis ou le petit blanc...
La vieja, el viejo : c’est la manière normale et très affectueuse en Argentine et singulièrement dans cette région du Río de la Plata, de désigner les parents. Alorsa avait dédié à sa maman, Olga, une Canción de Cuna para mi vieja, que je vous ai présentée et traduite le 18 octobre, pour la Fête des mères argentine.
(9) Surnom de Maradona : El Diego. On l’appelle aussi El Diez (le 10, c’était le numéro de son maillot de sélection nationale).