Les responsables de la FIFA ont décidé de suspendre Diego Maradona de toute activité liée au football jusqu’au 15 janvier prochain, pour sanctionner l'intempérance verbale dont il a fait preuve contre la presse, au soir de la qualification de l’équipe argentine à Montevideo.
La presse argentine ne s’en plaint évidemment pas. Les journalistes sportifs ont été plus que secoués par le volcan à injures en quoi s’était transformé le directeur technique à l’issue d’un match décisif avant lequel eux mêmes n’avaient pas non plus ménagé l’entraîneur.
Je pense à Alorsa, qui aurait su, avec son élégance et sa finesse ordinaire, à la fois dénoncer la mauvaise éducation de Maradona et lui pardonner cette explosion de rancoeur, au nom du talent et des grandes joies que le footballeur lui avait données dans son adolescence et sa toute jeunesse...
Dans son Cauchemar (La Pesadilla), dont j’ai cité deux vers le 1er septembre, dans Barrio de Tango, pour vous annoncer, depuis Buenos Aires, la triste nouvelle de la mort de cet auteur-compositeur-interprète de grand talent dont j’ai eu la chance, le bonheur et la fierté d’être une amie, dans son cauchemar donc, Alorsa disait :
Ay, ay, ay, ay, qué pesadilla, mamá, no me dejes solo!
Soñé que yo iba a la cancha y no había más choripanes
Que cuatro viejos echaban a Maradona de los mundiales
Alorsa (La Pesadilla, refrain et 2ème couplet)
Oh là là ! quel cauchemar, Maman, me laisse pas tout seul !
J’ai rêvé que j’allais au stade et qu’il n’y avait plus de sandwich aux merguez (1)
Que trois petits vieux (2) avaient sorti Maradona de la Coupe du Monde.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Que trois petits vieux (2) avaient sorti Maradona de la Coupe du Monde.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Alorsa n’était pas voyant, il ne lisait pas dans le marc de café (à la différence de la gitane imaginaire dont la prédiction ouvre Vuelve el Tango, le Tango est de retour, un autre très beau texte de lui). Non. Il faisait juste allusion à la Coupe du Monde de 1994, aux Etats-Unis, quand la FIFA avait exclu Maradona de la compétition pour des tests anti-dopage qui ont toujours été contestés par l’intéressé et son pays et dont les résultats étaient effectivement douteux. Mais Maradona n’hésitait pas à l’époque à proclamer son admiration pour Fidel Castro et aux Etats-Unis, ça ne passait pas. Qui plus est, Maradona n’a jamais caché sa profonde aversion pour la stratégie de la FIFA qu’il a plus d’une fois soupçonnée à haute voix d’être vendue aux intérêts du commerce international et de se soucier comme d’une guigne des vraies valeurs du football.
Entre le match du Stade du Centenaire à Montevideo et le verdict de la Fédération internationale, Maradona a présenté ses excuses à tout le monde, à la presse comme aux officiels de la FIFA et de l’Uruguay. Concrètement, il se trouve privé d’un seul match (et de l’entraînement qui va avec), celui qui se disputera le 22 décembre entre la sélection argentine et celle des Pays-Bas, dont l’entraîneur n’est autre que Johan Cruyff, l’un des rares joueurs qui avaient fait opposition de conscience en 1978 pour ne pas participer à la Coupe du Monde en Argentine, sous la Dictature Militaire...
En 2002, alors que Diego Maradona connaissait de très graves soucis de santé qui l’avaient plus d’une fois conduit à la frontière de la mort, Alorsa lui avait consacré une magnifique chanson, qui se termine ainsi :
con la sonrisa de pibe,
con el brazo guerrillero
y el corazón de arrabal,
la zurdita endemoniada
y el martillo en el garguero,
cada día te quiero más.
No hace falta más que entrecerrar los ojos
para verte gambetear
ole ole, ole ole, ole ole ole ola,
para verte gambetear
ole ole, ole ole, ole ole ole ola,
para verte gambetear.
Alorsa (Para verte gambetear, dernier couplet et coda)
para verte gambetear
ole ole, ole ole, ole ole ole ola,
para verte gambetear
ole ole, ole ole, ole ole ole ola,
para verte gambetear.
Alorsa (Para verte gambetear, dernier couplet et coda)
Avec ton sourire de môme,
Avec ton bras levé de guerrillero,
Et ton coeur du faubourg,
Ta jambe gauche qui fait des étincelles
Et ta grenade dégoupillée sur la langue, (3)Chaque jour je t’aime un peu plus.
Il suffit d’à peine fermer les yeux
Pour pouvoir te voir dribbler.
Olé, olé, olé, olé, olé, olé, olé, ola
Pour pouvoir te voir dribbler
Olé, olé, olé, olé, olé, olé, olé, ola
Pour pouvoir te voir dribbler.(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour pouvoir te voir dribbler.
Olé, olé, olé, olé, olé, olé, olé, ola
Pour pouvoir te voir dribbler
Olé, olé, olé, olé, olé, olé, olé, ola
Pour pouvoir te voir dribbler.(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour en savoir plus sur la suspension annoncée aujourd’hui, lire l’article de Clarín.
Et pour en savoir plus sur Alorsa et son groupe, la Guardia Hereje, vous pouvez accéder à tous les articles que je leur ai consacrés ici, dans Barrio de Tango, en cliquant sur le nom d’Alorsa dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus (sous le titre) ou dans la rubrique Vecinos del Barrio, dans la Colonne de droite, sur le côté. Alorsa y figure toujours en première position. (Un jour, je ferai basculer son raccourci dans la rubrique Toujours là, mais je n’en ai pas encore le courage).
En espagnol et pour écouter sa musique, vous pouvez aller sur son blog toujours accessible à ma connaissance et sur sa page Myspace (via son blog, c’est facile). Le lien se trouve dans la rubrique Zorzales, grillons et autres cigales, dans la partie basse de la Colonne de droite. Vous pouvez aussi écouter et télécharger l’émission n° 174 de Tango City Tour où je rendais moi-même hommage à Alorsa au lendemain de ses obsèques et l’émission n° 285 de Fractura Expuesta, dont toute la première partie est consacrée à notre ami. Les sites de ces deux émissions de radio écoutables sur Internet se trouvent dans les liens de la rubrique Ecouter, en partie inférieure de la Colonne de droite.
(1) choripan, c’est un sandwich garni de chorizo, une saucisse qui est un résumé de la gastronomie argentine, très proche de notre saucisse de Toulouse. On la fait d’ordinaire griller au barbecue et elle entre dans la confection du locro (dont je vous donnais la recette hier). Le choripan (contraction de chorizo y pan), c’est LA nourriture du match de foot par excellence. Autour du stade, s’installent des vendeurs à la sauvette qui font griller les saucisses et vous les débitent en sandwich dans des conditions d’hygiène à faire souvent pâlir les nordistes que nous sommes mais qui ne sont pas sans ressemblance avec certaines baraques à frites et à merguez à proximité des manifestations sportives populaires en France.
(2) cuatro viejos : en Argentine, pour désigner un petit nombre indéterminé, on emploie le chiffre 4, en français, le chiffre 3 ("avoir 3 cheveux sur le caillou", être presque chauve). Les vieux en question c’est João Havelange, le président de la FIFA jusqu’en 1998, et son conseil d’administration. Joseph Blatter, l’actuel président, en faisait partie. Cf. mon article sur l’Eglise Maradonienne et ses pastiches de prière qui sont à mourir de rire et qui attaquent de front la FIFA et ses instances dirigeantes, avec un aplomb très arrabalero (faubourien), insolent et transgressif.
(3) Alorsa parle en fait d’une grenade dans la gorge (garguero / garganta). Mais en français, je trouve que l’image n’est pas très compréhensible. Je lui avais demandé il y a un an la permission de déplacer la métaphore pour les besoins de la traduction et il m’y avait autorisée. Je lui en donne acte publiquement aujourd’hui.