A l’issue de quelques jours de débat à la Chambre puis au Sénat, le Congrès argentin vient d’approuver un changement que les organismes de droit de l’homme réclamaient depuis de nombreuses années dans le code pénal. C’est le premier coup marquant du nouveau ministre de la Justice, Julio Alak, qui, après avoir été maire de La Plata, avait passé un an à la tête de Aerolineas Argentinas, récemment récupérée par l’Etat, avant d’atterrir, à la surprise générale, au Ministère de la Justice et de l’Intérieur après les élections législatives du 28 juin 2009.
Les nouvelles dispositions changent les règles de prélèvement d’échantillons pour les tests ADN nécessaires à l’identification des personnes disparues ou dont l’identité a été falsifiée à la naissance ou pendant la petite enfance, tandis qu’on les arrachait à leurs parents pour les confier en adoption à des familles affidées à la Dictature militaires. C’était l’une des grandes revendications des associations de Madres de Plaza de Mayo, qui recherchent les adultes disparus sous la Dictature, Abuelas de Plaza de Mayo, qui recherchent les enfants volés à ces adultes disparus, et H.I.J.O.S., qui recherchent leurs parents et/ou leurs frères et soeurs, pour ne citer que les trois ONG les plus emblématiques de ces combats.
En effet, jusqu’à présent, seule était recevable le test génétique effectué sur un prélèvement sanguin. Ce qui impliquait que la personne soupçonnée d’avoir une identité falsifiée souhaitait l’établissement de la vérité de sa propre histoire. Or la vie psychique des hommes est un peu plus complexe que cela, comme l’a bien montré le parcours psychologique de Alejandro Sandoval Fontana tout au long du procès de son père, qui s’est terminé fin avril 2009 (lire mon article à ce sujet). Ce jeune homme, très attaché à son père adoptif, auquel il voulait éviter la prison et qui, malgré cela, se montra particulièrement odieux envers lui au cours des audiences, avait refusé de donner son sang. On avait alors procédé au prélèvement de son ADN sur une brosse à dent et un peigne, saisis dans sa salle de bain, un test dont la défense avait eu beau jeu de contester la fiabilité.
Bien entendu, l’identification toute récente de Martín Amarilla Molfino (lire mon article à ce propos) a apporté de l’eau au moulin des partisans d’une modification de la procédure, qui ont pu emporter le vote au Sénat hier haut la main (1) : 57 voix pour et seulement une contre.
La Banque Nationale de Données Génétiques qui vivait jusqu’à présent sous double tutelle, ce qui en rendait la gestion fort complexe, est désormais placée sous l’autorité du Ministère des Sciences et des Technologies, un portefeuille réé en décembre 2007 lors de l’entrée en fonction de l’actuelle Présidente, soucieuse d’armer son pays avec une politique de développement et de recherche digne de ce nom (2). L’institut est doté d’une direction jouissant désormais d’une grande autonomie. Le vote a été plus serré : 38 pour et 20 contre.
Troisième modification de taille, les ONG pourront désormais se constituer partie civile dans un procès contre un criminel de la Dictature, en tant que telles, sans pour cela avoir besoin de représenter l’une ou l’autre partie à l’affaire. Jusqu’à présent, par exemple, Abuelas (les grands-mères de la Place de Mai) était partie aux procès au nom des parents disparus ou des grands-parents, vivants ou décédés, qui avaient engagé une procédure pour retrouver leur petit-enfant. Sur ce point, le Sénat se partage en 50 voix pour et 7 contre.
Enfin le délit contre l’honneur, que les journalistes appellent le délit de calomnie (ce qui nous fait bondir, nous autre, pour qui la calomnie reste un délit à bon droit, mais ce n’est pas la même), cesse d’exister. En fait, la présence de ce délit dans le code pénal argentin empêchait les journalistes et les militants des droits de l’homme de publier tranquillement le résultat de leurs enquêtes lorsque celles-ci conduisaient à révéler des manquements de l’Etat dans l’exercice des pouvoirs régaliers de la justice et de la répression. C’était une mention anti-J’accuse d’Emile Zola en quelque sorte (lequel fut d’ailleurs effectivement poursuivi et condamné par la justice de la IIIème République, parce qu’il avait attenté à l’honneur des Corps constitués). En Argentine, le délit contre l’honneur a été utilisé contre la liberté d’expression, pendant et après la Dictature.
Ces trois projets constituaient une promesse que la Présidente avait faite en septembre dernier lors d’un hommage aux membres de la Commission Internationale des Droits de l’homme pour leur dénonciation en 1979 des crimes de la Dictature militaire de 1976 à 1983.
Le jour même, on apprenait que l’actuelle Directrice des Droits de l’Homme au ministère argentin des affaires étrangères était nommée juge à la Cour pénale internationale qui juge, à La Haye, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Elle remplace un juge de la Guyana qui a renoncé à sa charge pour raisons personnelles. C’est une avocate de formation qui a fait ses études à Córdoba (la plus vieille université d’Argentine) et à Buenos Aires. C’est une spécialiste reconnue du droit international et elle a aujourd’hui 54 ans.
Pour aller plus loin, il est intéressant de lire, sur le site de Página/12, un extrait d’un ouvrage qui sera présenté samedi prochain en fin de matinée, au Congrès de la Santé Mentale et des Droits de l’Homme organisé par l’association Madres de Plaza de Mayo : il s’agit d’un livre collectif sur les troubles psychiques dont souffrent les personnes aujourd’hui adultes dont les parents ont disparu pendant la dernière Dictature, alors qu’ils étaient de jeunes enfants. Le traumatisme ne s’efface pas plus qu’il ne s’efface chez nous chez les enfants des déportés morts dans les camps nazis pendant l’Occupation.
Pour aller plus loin :
Lire l’article de Página/12 sur le vote au Sénat
Lire l’article de Página/12 sur la nomination de Silvia Fernández à la Cour pénale internationale et celui de Clarín sur le même sujet.
Lire l’extrait de Subjetividad y contexto - Matar la muerte, publié par Página/12 de ce jour.
(1) Et ne voyez là aucune allusion à certain geste de Thierry Henry qui a permis hier à la France de se qualifier sur le fil pour la Coupe du Monde de Football en Afrique du Sud l’année prochaine, au détriment de la verte Eirin, qui ne décolère pas et on les comprend. Il y a 23 ans, c’était un autre joueur, dont le nom m’échappe à l’instant même mais qui a encore bien fait parler de lui ces derniers temps, un joueur qui a inspiré des tangos et des chansons à n’en plus finir en Argentine, qui avait « inventé » ce coup fumant et strictement interdit par le règlement mais c’était contre l’Angleterre et à l’époque, l’Argentine et l’Angleterre avaient comme un contentieux armé à régler par terrain de foot interposé. Ce qui n’a jamais été le cas entre la France et l’Irlande. Alors parler de main de Dieu comme le font les commentateurs et les internautes de tout poil depuis hier soir, c’est un peu fort de café... Et à propos de foot, vous serez ravis d'apprendre, j'en suis sûre, que l'Uruguay aussi vient de se qualifier, difficilement comme la France, mais c'est le résultat qui compte, n'est-ce pas ?
(2) Même si bien entendu, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, il y a loin de la coupe aux lèvres, que le nerf de la guerre reste encore et toujours l’argent et qu’il est rare.