Le 7 juin 2010, le film argentino-belge ou belgo-argentin La cantante de Tango (1) a été présentée en avant-première argentine au Museo Casa Carlos Gardel, dans le cadre du cycle Tango, Pasión de celuloide dont je vous ai parlé le 1er novembre, pour l'anniversaire de naissance de Homero Manzi (voir mon article du 1er novembre 2010).
Hier matin, Página/12 publiait une interview du réalisateur argentin, installé en Belgique, Diego Martínez Vignatti, à l'occasion de la sortie officielle à Buenos Aires. Le film est déjà sorti en Belgique au mois de mai (voir mon article du 2 juin 2010 à ce sujet). Il s'agit du troisième long-métrage de ce cinéaste, qui avait pensé embrasser la carrière du barreau (comme Homero Manzi) avant que l'élection de Carlos Menem lui fasse quitter la terre natale, livrée à l'ultra-libéralisme du faux péroniste.
Verbatim :
Martínez Vignatti señala que La cantante de tango nació “como todas las películas que yo realizo: con sueños”. Suele definirse como “un cineasta de la sensación cinematográfica antes que como un narrador clásico. Yo veo imágenes, sueño cosas y trato de descifrar y hasta conceptualizar una sensación”. Y es el propio cineasta quien dice que podría definir a La cantante de tango “simplemente como la historia de una joven mujer que canta tangos, de la cual contemplamos su destrucción y su reconstrucción. Pero la película es algo más: el intento de radiografiar el alma de esa mujer”, asegura.
Página/12
Martínez Vignatti signale que "La cantante de tango est née comme tous les films que moi je réalise : sur des rêves". Il se définit comme "un cinéaste de la sensation cinématographique plutôt que comme un narrateur classique. Je vois des images, je rêve des choses et j'essaye de déchiffrer et même de conceptualiser une sentation". Et c'est le cinéaste lui-même qui dit qu'il pourrait définir La cantante de tango "simplement comme l'histoire d'une jeune femme qui chante le tango, et dont on contemple la destruction et la reconstruction. Mais le film est quelque chose d'autre : la tentative de radiographier l'âme de cette femme-là", assure-t-il.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿La definiría como una película feminista?
–Es un intento de descifrar esa complejidad de la que hablaba recién. Y quizás, en el límite, podría decir que es casi una película feminista, en el sentido de que es un hombre que la destruye, pero se reconstruye sola, sin la ayuda de ningún ser masculino. Y eso me parecía esencial para contar la historia.
Página/12
- Vous définiriez le film comme un film féministe ?
- C'est une tentative de déchiffrer cette complexité dont je viens de parler. Et peut-être, à la limite, je pourrai dire que c'est presque un film féministe, dans le sens où c'est un homme qui le détruit mais elle se reconstruit toute seule, sans l'aide d'aucun être masculin. Et cela me paraissait essentiel pour raconter l'histoire.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–Teniendo en cuenta que en su ópera prima el tango fue también protagonista, ¿qué significa este género musical en su vida? ¿Es una manera de conectarse con su país a la distancia?
–Sí, y al mismo tiempo, un montón de otras cosas, porque yo ya era muy tanguero desde antes de irme a Bélgica. Soy melómano, me gustan todas las músicas, pero el tango me pegó muy fuerte a partir de los 18 años, al igual que todo lo que tiene que ver con la poesía tanguera. El tango excede lo meramente musical y por supuesto que también a la danza. Es un sentimiento y también una sensación. Tiene que ver con cómo la gente habla y camina, con el aire que se respira en estas ciudades, los adoquines... El tango está en todos lados: en dos tipos comiendo una pizza a las 3 de mañana, en el canillita e incluso hasta en la protesta social. Todo eso me conmueve, me emociona y, además, me parece de una riqueza vastísima a nivel intelectual. Me doy cuenta de que estoy un poco a contramano de lo que sería mi generación: tengo 39 años y creo haber sido uno de los primeros en haber hecho películas sobre el tango e interiorizarme tanto. Hubo una línea con Hugo Santiago y Pino Solanas pero, en el medio, el tango está medio desaparecido.
Página/12
- Prenant en compte que dans votre première oeuvre, le tango était aussi de la partie, que signifie ce genre musical dans votre vie ? Est-ce une manière de vous conecter à votre pays à distance ?
- Oui, et en même temps, tout un tas d'autres choses, parce que j'étais déjà très tanguero avant de partir en Belgique. Je suis mélomane, j'aime toutes les musiques, mais le tango me colle à la peau très fort depuis mes 18 ans, à l'instar de tout ce qui a à voir avec la poésie tanguera. Le tango dépasse le purement musical et bien entendu la danse aussi. C'est un sentiment et aussi une sensation. Il a à voir avec la manière dont les gens parlent et marchent, avec l'air qu'on respire dans nos villes, avec les pavés... Le tango est de tous côtés : dans ces deux types qui mangent une pizza à trois heures du matin, dans le marchand de journaux et même dans la revendication sociale. Tout cela me touche, m'émeut et en plus cela me paraît d'une richesse infinie sur le plan intellectuel. Je me rends compte que je suis un peu à contrecourant de ce que serait ma génération : j'ai 39 ans et je crois avoir été l'un des premiers à faire des films sur le tango et à m'intérioriser à ce point. Il y a une une ligne avec Hugo Santiago et Pino Solanas (2) mais, dans l'intervalle entre les deux, le tango a à moitié disparu.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–Y en relación con la historia del film, ¿lo que ella siente se ve reflejado en lo que canta?
–Es fundamental. Mi voluntad era suprimir al máximo los diálogos. Ella se expresa cantando. Los tangos fueron elegidos por dos cosas esenciales: por la pertinencia poética de lo que yo quería contar y también por una cierta coherencia narrativa, porque Helena va a cantar para saber quién es ella, lo que siente, lo que sueña, sus frustraciones, sus miedos, sus dolores y sus anhelos. Me parecía que una canción podía hacer avanzar tanto o más la historia que cuatro páginas de diálogo. Y me decidí por eso. Y es el verdadero hilo conductor. Toda la película se apoya en esos cuatro o cinco tangos que ella canta.
Página/12
- Et au sujet de l'histoire du film, ce qu'elle ressent, c'est reflété dans ce qu'elle chante ?
- C'est fondamental. Ma volonté était de supprimer au maximum les dialogues. Elle s'exprime par le chant. Les tangos ont été choisis pour deux choses essentielles : pour la pertinence poétique de ce que je voulais raconter et aussi pour une certaine cohérence narrative, parce qu'Helena (3) se met à chanter pour savoir qui elle est, ce qu'elle ressent, ce dont elle rêve, ses déceptions, ses peurs, ses chagrins et ses désirs. Il me semblait qu'une chanson pouvait faire avancer autant sinon plus l'histoire que quatre pages de dialogue. Et je me suis décidé pour cela. C'est là le vrai fil conducteur. Tout le film s'appuie sur ces quatre ou cinq tangos qu'elle chante.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿Por qué decidió que la propia actriz interpretara los tangos en vivo?
–En realidad, fue un dilema. En los conciertos hay una energía y una emoción que me toca mucho y que no encuentro nunca en los discos. Necesitaba una actriz que cantara y no una cantante que actuara. A priori podría haber convocado a una verdadera cantante para que actuara, pero iba a ser una misión imposible porque actoralmente es una película muy difícil. Otra opción que podría haber elegido era hacer playback, situación que descarté enseguida porque me gustaría saber en qué película hay un playback que no se note y que esté lleno de emoción. Así que, a mi actriz, que ya cantaba, la puse a estudiar tangos con el maestro Oscar Ferrari durante un año. Y yo creo que hice bien en guardar la frescura de la música y no elegir la perfección técnica del playback.
Página/12
Pourquoi avez-vous décidé que ce serait l'actrice elle-même qui interpréteraient les tangos en direct ?
En réalité, ça a été tout un dilemme. Dans les concerts, il y a une énergie et une émotion qui me touchent beaucoup (4) et que je ne retrouve jamais dans les disques. J'avais besoin d'une actrice qui chanterait et non d'une chanteuse qui jouerait. A priori, j'aurais pu faire appel à une vraie chanteuse pour qu'elle joue, mais ça aurait été mission impossible parce que c'est un film très difficile à jouer. L'autre option que j'aurais pu choisir, c'était de faire du play back, une situation que j'ai écartée d'emblée parce que j'aimerais bien savoir dans quel film il y a un playback qu'on ne remarque pas et soit plein d'émotion. C'est pour ça que mon actrice, qui chantait déjà, je l'ai mise à étudier le tango avec le Maestro Oscar Ferrari (5) pendant un an. Et je crois que j'ai bien fait de garder la fraîcheur de la musique et de ne pas choisir la perfection technique du play back.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Le film sera bientôt projeté en France, grâce au travail d'une association de passionnés de cinéma et de tango à la fois. Je vous tiendrai au courant, parce qu'ils me tiendront au courant...
Pour en savoir plus :
Lire l'interview intégrale de Diego Martínez Vignatti dans Página/12
Vous connecter aux deux sites du film : le site pour l'Argentine (avec sa très belle page d'accueil sur un fond qui pourrait être celui de la Mer du Nord et de la côte belge, de la Costa Blanca par mauvais temps ou de Bahía Blanca la ville balnéaire du sud de la Province de Buenos Aires dont le cinéaste est originaire) / le site pour l'Europe (en français et en anglais)
Lire la fiche technique du film sur le site argentin cinéphilique, Escribiendomecine
Ajout du 13 novembre 2010 :
lire également la critique du 11 novembre parue dans Página/12 sur le film
Ajout du 13 novembre 2010 :
lire également la critique du 11 novembre parue dans Página/12 sur le film
(1) En fait, un film co-produit par la France, la Belgique, l'Argentine et les Pays-Bas.
(2) Deux cinéastes argentins qui ont travaillé eux aussi autour et avec le tango comme autour et avec la recherche de l'identité culturelle nationale qui va avec le tango. Voir la fiche de Hugo Santiago sur le site argentin Cine Nacional. Voir la fiche de Pino Solanas sur Cine Nacional (le cinéaste qui est aussi parlementaire de l'opposition dans la Legislatura de Buenos Aires est en cours de tournage d'un nouveau long-métrage au titre très militant).
(3) Le prénom de l'héroïne interprétée par Eugenia Ramírez Mioni, la compagne du réalisateur
(4) Ceux qui connaissent l'espagnol auront repéré l'absence d'accord de nombre entre sujets et verbe energía y emoción (pluriel) que me toca (singulier). Rupture grammaticale très fréquente en Argentine.
(5) Oscar Ferrari, chanteur de tango et enseignant, né en 1924 et mort le 20 août 2008, donc très peu de temps avant le tournage du film. Il avait formé de nombreux artistes en Argentine et participé récemment au documentaire Café de los Maestros, un film à voir prochainement ici à la Médiathèque de Cahors (voir mon article sur la quinzaine Séquence Argentine).