Il s'appelait Emilio Eduardo Massera, il faisait partie des putchistes de 1976 qui renversèrent Isabel Perón, qui avait ouvert l'ère du terrorisme d'Etat en créant (à moins que ce ne fût le vieux Perón lui-même) la Triple A (Alianza Argentina Anticomunista), une milice de barbouzes qui poursuivait tous les militants qui n'étaient pas peronistes, à commencer par les communistes. Il dirigeait alors la Marine, il avait été nommé à l'Amirauté par Juan Perón lui-même, très peu de temps avant sa mort, en 1974, et c'est lui, Massera, qui se mit à la tête des bourreaux qui opérèrent pendant toute la dictature dans ce centre de détention clandestin et ce centre de torture que fut l'ESMA, l'école de mécanique de la marine (Armada), aujourd'hui transformé en centre culturel et centre des droits de l'homme, dans le quartier de Palermo.
Massera est mort hier d'un arrêt cardiaque à l'hôpital naval où il avait été admis le 19 avril à la suite d'un AVC. Les médecins experts auprès des tribunaux l'avaient déclaré incapable, une qualification judiciaire qui équivaut à un non-lieu puisqu'on ne juge que des personnes en capacité intellectuelle d'être jugées et de comprendre ce qui leur arrive. Ainsi tombèrent tous les griefs criminels qui pesaient contre lui depuis la réouverture des procès contre les dictateurs et les bourreaux sous le manda présidentiel de Néstor Kirchner, décédé le 27 octobre dernier, après l'invalidation de la loi d'amnistie générale votée sous celui de Raúl Alfonsín (1983-1989) qui se trouvait dans l'obligation de mettre fin à une trop longue série de procès pour que le pays renoue avec une vie institutionnelle aussi normale que possible (1). Sur toutes ces questions de chronologie historique, voir mon article Vademecum historique dont vous trouverez le raccourci dans Petites chronologies, en partie centrale de la Colonne de droite.
En 1985, Massera avait été condamné à la prison perpétuelle puis il avait été gracié en 1990 par le Président Carlos Menem. En 2005, il avait été déclaré sénile par les experts médicaux, ce qui n'avait pas permis son inculpation dans les nouveaux procès, relancés par la justice sous le gouvernement de Néstor Kirchner. C'est la raison pour laquelle les deux militantes de Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora qu'interviewe Página/12 ce matin (voir une en illustration ci-dessus) disent qu'il s'était fait passé pour fou mais qu'il ne l'était pas. Les deux vieilles dames, qui militent pour que la lumière soit fait sur le sort des disparus adultes de ces années de plomb, dénoncent les protections dont l'ex-amiral a bénéficié tout au long de sa vie depuis 1990 de la part de la Marine argentine, dont des membres l'ont caché et dont l'hôpital a fini par le recevoir pour les derniers mois de sa vie.
Comme on peut l'imaginer, la nouvelle provoque une nouvelle vague d'émotion en Argentine, en particulier dans les rangs de la gauche et des militants des droits de l'homme, d'autant qu'elle survient pendant le procès du putchiste Jorge Videla et si peu de temps après le deuil très profond dans lequel la mort de Néstor Kirchner a plongé cette même partie du peuple argentin.
Le quotidien de gauche et très pro-droits de l'homme Página/12 titre même ce matin : El infierno es poco et donne ce titre au cahier consacré à cette disparition dans l'édition de ce matin (on pourrait traduire : "L'Enfer, ce n'est pas assez [pour lui]").
Pour aller plus loin :
Lire l'interview de Nora Cortiñas, de Madres de Plaza de Mayo Linea Fundadora, dans Página/12
Lire l'interview de Taty Almeida, de Madres Linea Fundadora, dans le même quotidien
Lire l'article de l'historien et vieux militant démocrate Osvaldo Bayer, toujours dans le même journal.
Lire l'ensemble du dossier El infierno es poco de Página/12
Lire l'article de Clarín (prendre cet article avec beaucoup de précaution : la patronne du journal est accusée depuis plusieurs mois par le Gouvernement d'avoir bénéficié du régime dictatorial pour d'une part adopter illégalement deux bébés de parents inconnus et s'emparer de l'unique papeterie argentine produisant du papier journal. La rédaction doit donc donner des gages de démocratie, ce qui fragilise la crédibilité des articles relatifs à ce sujet, quelque puisse être par ailleurs la bonne foi des journalistes qui travaillent à Clarín et dont beaucoup sont des braves gens qui n'ont rien à voir avec la dictature d'il y a 27 ans).
Lire l'article de La Nación (un vieux quotidien fondé au 19ème siècle qui a soutenu tous les gouvernements libéraux de toute l'histoire argentine, or la plupart des gouvernements libéraux argentins au 20ème siècle ont suivi la ligne politique et économique que la Dictature elle aussi a mise en pratique)
Comme vous pouvez l'imaginer, même sans avoir à me rendre au bureau (j'en suis dispensée depuis une semaine), je n'ai pas la disponibilité de vous traduire in extenso ni même sous forme d'extraits une littérature si abondante. Vous pouvez donc confier les articles qui vous intéressent au traducteur automatique en ligne Reverso (rubrique Cambalache casi ordenado, dans la partie basse de la Colonne de droite).
De mon côté, je continue mon travail d'information pour vous que je publierai ce soir : il y a beaucoup de choses dans l'actualité d'hier et d'aujourd'hui que je n'ai pas pu traiter encore et que je tiens à traiter. Au moment même où m'arrive une commande de la Ciudad del Tango du Centro Cultural de la Cooperación qui me demande une participation dans un travail collectif et où j'attends la dernière mouture de l'anthologie de poésie populaire argentine à paraître le mois prochain aux Editions Tarabuste (revue Triages).
(1) La même chose s'est produite dans nos pays occupés par l'Allemagne quelques années après la Guerre lorsqu'il a fallu reprendre la vie normale que ce soit en France ou en Belgique.