Alorsa était né le 24 novembre 2010 à La Plata. Pendant presque 10 ans, il fut un auteur-compositeur interprète d'un très grand talent et il avait réussi à se tailler une belle réputation artistique dans sa chère ville de La Plata, où il animait sa propre petite salle de spectacle, qu'il avait baptisée Tango Criollo Club. Le Tango Criollo Club a été réouvert au début du mois par un autre musicien, Juan Ermelo, avec l'accord des parents d'Alorsa, auxquels je dédie l'article de ce jour.
A mon arrivée sur place, grâce à un remis que m'avait envoyé Radio Provincia Buenos Aires (merci à eux) et que j'avais partagé avec Cucuza.
De dos tout à gauche et en noir, le père d'Alorsa. A droite, à l'arrière plan, la dame en pull violet près de la balançoire, c'est la maman. Tout au fond, sous la bâche frappée du logo de La Guardia Hereje, la petite scène où allaient se produire les artistes.
Alorsa, de son vrai nom Jorge Marcelo Pandelucos, est décédé d'une crise cardiaque foudroyante, le dimanche 30 août 2009. Par chance, s'il est permis de s'exprimer ainsi, je me trouvais alors à Buenos Aires et j'ai pu lui rendre mes devoirs sur place le lendemain. Sur cette disparition qui a endeuillé tout le tango nuevo de Buenos Aires et de sa région, voir mon article du 1er septembre 2009.
Aujourd'hui, Alorsa aurait donc eu 40 ans. Il était né au printemps...
Sur le mur, en face, on prépare la reproduction du logo. De dos, avec son chapeau haut-de-forme que les organisateurs avaient largement distribué aux participants, la photographe Gabriela Hernández, une femme adorable, gentille et excellente professionnelle...
Vingt minutes à une demi-heure plus tard, le dessin prend forme, grâce au maté (au premier plan, il y a un paquet de Cruz de Malta qui a déjà vécu), pas mal de Coca, du soda goût pamplemousse (le must chimique local), des pâtisseries de supermarché et un gros paquet familial de carambars apportés de France, plus exactement de Paris, par la seule touriste étrangère qui ait eu vent de l'événement.
L'ami Talo et son groupe ouvraient le bal. Talo, Juan Carlos Beraza de son vrai nom, est un militant du GEN, un parti social-démocrate (il y en a plusieurs en Argentine) récemment issu de l'UCR. A l'intérieur des instances de son parti, Talo s'occupe de politique culturelle et comme vous le voyez, il joint les actes à la parole, lui ! J'ai fait sa connaissance le 27 août 2009, à l'issue du dernier concert d'Alorsa, celui qu'il avait donné à Buenos Aires, au Festival de Tango, à la Ciudad Cultural Konex, à l'Abasto (voir mon retour sur images du 27 septembre 2009 sur ce qui fut le dernier concert de notre ami).
Ayant accumulé du retard dans le traitement de mes souvenirs d'Argentine pour des raisons indépendantes de ma volonté, j'ai décidé d'attendre cette date symbolique pour publier dans ces colonnes un petit hommage avec ce reportage sur Tarde con Alorsa, cette après-midi festive que j'avais annoncée la veille sur Barrio de Tango (voir mon article du 4 septembre 2010). Elle avait été organisée à l'initiative d'un certain nombre d'amis et d'admirateurs, en premier lieu par la radio locale Radio Estación Sur et les musiciens de La Guardia Hereje, le groupe qu'il animait, le dimanche 5 septembre 2010, pour le premier anniversaire de son départ, su gira comme disent les Argentins (sa tournée). La municipalité de Tolosa avait déclaré l'événement de interés cultural.
Les deux guitaristes de la Guardia Hereje à nouveau réuni sur une scène. A gauche, "dans les coulisses", vous reconnaissez les autres artistes en train d'attendre. Avec sa veste en jean et son crâne nu, vous reconnaissez Cucuza, même de dos. De face, avec son pull orange, vous reconnaissez Lucio Arce. Et le grand maigre, el flaco comme on dirait là-bas, dans l'ombre de l'arbre, vous (ne) reconnaissez (pas trop) -pourtant c'est bien lui- Juan Pablo Villareal, autre auteur-compositeur-interprète.
Après une dizaine de jours de très vilain temps sur tout le littoral du Río de La Plata, ce dimanche-là, ce dimanche de fin d'hiver, le soleil avait bien voulu revenir. Il faisait bon. Les parents d'Alorsa étaient là, avec leur fils, leur belle-fille et les deux petits-enfants. Les musiciens de La Guardia Hereje étaient là eux aussi, les deux trublions de Fractura Expuesta aussi, arrivés par le train. Les confrères chanteurs, Cucuza, Lucio Arce, Juan Carlos Villareal avaient fait le déplacement, qui depuis Buenos Aires, qui depuis San Isidro. Son grand ami Talo était là aussi avec son saxo et son groupe de musiciens amateurs. Plein d'enfants. Plein de thermos et de maté dans les habitants de ce quartier de Tolosa. Une dame inconnue m'a tendu un mate bien chaud après mon intervention au micro. Des animateurs de Radio Provincia Buenos Aires nous avaient rejoint, eux qui avaient annoncé l'événement le vendredi précédent et avaient tenu à m'interviewer en direct à 15h à cette occasion. Le psychanalyste José Retik est venu lui aussi, il était dans le public, c'était Luis Alposta qui lui avait passé l'info, Luis Alposta avec lequel il vient d'écrire un deuxième livre (voir mon article du 1er novembre 2010 sur la sortie de ce second ouvrage de dialogue entre le psychanalyste et le médecin-poète). Il y avait même une Française, tout récemment propulsée Académica correspondiente en París de la Academia Nacional del Tango, venue partager ce moment et lire, dans sa langue, une traduction de Te morfaste las facturas, devant un public médusé et ravi, heureux de savoir que le talent d'Alorsa allait pouvoir être connu et reconnu ainsi de notre côté de l'Atlantique et dans notre langue (1).
Lucio Arce.
Au restaurant La Paila, à Palermo, quelques jours auparavant, Lucio avait déjà rendu hommage à Alorsa en reprenant sa chanson Pobre enano de jardín, qu'il avait annoncée en disant qu'il aurait aimé l'écrire (voir mon retour sur images du 17 octobre 2010 sur ce concert partagé avec Alan Haksten Grupp et une auteur-compositeur-interprète folkloriste argentine... installée en Alsace).
Juan Pablo Villareal.
C'est Lucio Arce qui a décidé de l'accompagner à la guitare. Tout cela a été organisé sur place, dans l'improvisation nationale, avec quelques minutes de répétition, quelques mètres plus loin, dans un recoin de la place...
Et enfin Cucuza qui est aussi de la partie bien que non annoncé au programme.
Plus d'un an après sa mort, cet ami me manque toujours autant.
La plaque souvenir, dévoilée en présence des parents, porte un extrait d'un recitativo (un récit) d'Alorsa, qui s'appelle Al pan pan (entendez "appeler un chat un chat"). Il y parle du rapport des Argentins à leur devise nationale, à l'histoire politique du pays telle qu'on peut la voir sur les billets de banque, à la dévaluation (celle de la crise de 2001) et à l'inflation. Un jour, je vous le traduirai, ce recitativo (2). Le Don José dont il est question dans le texte, c'est San Martín (dont le portrait figure sur les billets de 5 pesos, c'est-à-dire une toute petite valeur, beaucoup trop petite pour un aussi grand personnage, surnommé le Père de la Patrie et le Libérateur). Juan Manuel de Rosas, lui, est sur les billets de 20 pesos et Domingo Sarmiento sur ceux de 50. Quant au billet de 10 pesos, il est aujourd'hui illustré d'un portrait de Belgrano (3), mais Alorsa rêvait qu'il porte celui de Diego Maradona, surnommé El Diez, son numéro de dossard en sélection nationale lorsqu'il était joueur.
Exceptionnellement, je publie cette photo dans une résolution assez haute, pour que vous puissiez lire le texte en agrandissant l'image (cliquez dessus pour la voir en définition originale).
L'après-midi avance. Le mural aussi.
Toutes les radios rassemblées dans le studio de campagne de Radio Estación Sur. Sont présentes Radio Estación Sur, Fractura Expuesta et Radio Provincia Buenos Aires. Dans les mains de Maximiliano Senkiw (debout à droite), un sac plastique rose dont les Français reconnaîtront au premier coup d'oeil la charte graphique : c'est celle des supermarchés Monoprix. Ce n'est pas parce que cette chaîne s'est implantée en Argentine et y distribue des bolsitas rédigées en français. C'est que j'en avais dans mes bagages et en avais enveloppé mon bouquin Barrio de Tango : sous le plastique publicitaire, il y a l'exemplaire destiné à la bibliothèque du Centro Cultural de la Cooperación Floreal Gorini. Je prenais l'avion le lendemain et doutais de ma capacité à faire un saut jusqu'au CCC pour le remettre moi-même en main propre à Walter Alegre, le coordinateur de la Ciudad del Tango, le département tanguero du CCC (Sur les exemplaires disponibles à la consultation à Buenos Aires, voir mon article du 10 septembre 2010) Assis à droite et micro en main, c'est Germán Marcos (les deux animateurs principaux de Fractura Expuesta).
Au micro de Radio Estación Sur, cet après-midi-là, en vivo (en direct), pour expliquer pourquoi et comment j'ai traduit des oeuvres d'Alorsa en français.
Photographiée par Gabriela Hernández, qui m'a autorisée à publier cette photo dont j'ai réduit à dessein la résolution.
De l'autre côté de la rue, la comparsa se prépare. Nous n'aurons pas le temps de la voir. Cucuza et moi avions donné trop tôt rendez-vous à notre remisero, notre chauffeur, qui devait nous reconduire jusque dans nos pénates à Buenos Aires... Gabriela, gentiment, m'a envoyé quelques clichés que je garde pour une éventuelle autre occasion...
Le soir tombe. Le logo de la Guardia Hereje apparaît avec son filet rouge sur le mural...
La nuit est tombée. Cucuza et moi, nous sommes partis et la maman d'Alorsa prend cette photo pour le souvenir et pour me l'envoyer... L'image initiale est un découpage de cette photo : la mention verticale sur la droite.
Un résumé en photos, celles de Gabriela Hernández,
sur un enregistrement de Ezeiza, de et par Alorsa
(parmi les photos qui défilent, celles de mon interview en direct sur Radio Estación Sur)
(1) Une dizaine de textes d'Alorsa, dont Ezeiza, vont paraître très prochainement dans la revue Triages dont j'ai assuré, pour les éditions Tarabuste, la conception et l'écriture d'une anthologie bilingue de 150 pages sur 10 poètes populaires actuels de Buenos Aires. Alorsa ouvrira ce numéro thématique de Triages. Parution en décembre.
(2) Traduire un texte littéraire de ce type, à la fois poétique et plein de jeux de mots et d'allusions à des détails locaux, cela ne se fait pas en trois minutes chrono...
(3) Pour identifier la plupart de ces personnalités, voir mes articles sur l'histoire, le Vademecum historique et les articles sur la Semana de Mayo, dont vous trouverez les raccourcis dans la rubrique Petites chronologies, dans la partie centrale de la Colonne de droite.