Avant-hier, le ministre argentin de l'économie, Amado Boudou, a annoncé que le pays allait faire appel à l'expertise du FMI en matière de statistiques économiques pour refondre l'indice national des prix à la consommation, ce fameux indice des prix utilisé par l'INDEC, l'institut national des statistiques, et dont la fiabilité est régulièrement contesté. Parfois à tort, comme j'ai pu le constater moi-même en effectuant mes relevés de prix personnels, lorsque je fais mes propres courses à Buenos Aires, à chaque séjour hivernal (voir mes articles intitulés Panier de la Ménagère en cliquant sur le mot-clé Economie dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus).
Cette démarche du gouvernement a fait sursauter les Argentins qui gardent un horrible souvenir des interventions passées du FMI, une institution internationale qui a grandement contribué à détruire l'économie des pays sud-américains et africains, en leur prêtant de l'argent contre le respect de normes libre-échangistes et ultra-libérales qui ont, dans la réalité, fait le jeu des Etats-Unis et de bons nombres de pays développés de l'hémisphère nord au détriment des pays que les prêts du FMI étaient justement censés aider à surmonter leurs difficultés.
Aussi le ministre a-t-il dû expliquer en conférence de presse qu'il s'agissait de demander au Fonds Monétaire International un transfert de savoir-faire technique (les statistiques, le FMI sait faire !) et en aucun cas un audit économique. Le FMI ne fera donc aucune préconisation à l'Argentine. Il se contentera d'apporter sa collaboration et son expertise dans l'élaboration d'un indice plus fiable. Il s'agit donc pour Amado Boudou d'élever la qualité des outils d'évaluation de l'activité économique du pays.
Aujourd'hui, à chaque fois que l'INDEC publie des chiffres, qu'ils soient mensuels, trimestriels ou annuels, il y a plusieurs cabinets privés qui éditent d'autres rapports simultanés qui donnent d'autres résultats, sur quoi la presse, l'opposition et les organisations patronales se précipitent en discréditant immédiatement les rapports officiels et en accusant l'INDEC de falsifier les chiffres pour complaire au Gouvernement. Le tout dans un pays où l'on estime que le travail au noir représente environ 40% de l'activité économique. Ce qui ne permet bien entendu à personne, ni à l'INDEC ni aux cabinets privés, de travailler sur des données incontestables. Le Gouvernement cherche à modifier cette situation.
Par ailleurs, le ministre avait commandé il y a plusieurs mois à des économistes universitaires un rapport sur les pratiques de l'INDEC et ce rapport lui est remis aujourd'hui. Il semble mettre tout en oeuvre pour élever la crédibilité de l'institut et mieux outiller l'Etat en manière administrative. Toute la question est de savoir s'il s'agit d'effets d'annonce ou d'un travail de réelle réforme de l'Etat. Seul le temps nous permettra de le savoir. Toujours est-il qu'aujourd'hui, le Gouvernement a annoncé pour la troisième année consécutive l'octroi d'une prime de Noël de 500 pesos à tous les retraités touchant au plus 1500 pesos de pension mensuelle (ce qui représente un niveau de revenu à la fois très bas et majoritaire parmi les retraités : 4 millions de personnes sont concernées par cette mesure, soit 10% de la population environ).
Les propos du ministre m'ont rappelé une conversation très intéressante que j'avais eu l'année dernière à Buenos Aires avec un attaché parlementaire de la Legislatura de Buenos Aires : avec beaucoup d'admiration pour la France et beaucoup d'envie, il m'avait dit que nous avions nous, de ce côté-ci de l'Atlantique et de l'Equateur, "la chance d'avoir des écoles où on apprend à faire des lois". Et il est vrai que l'Argentine ne dispose pas d'institut spécialisé dans la formation des administrateurs de la chose publique. Ainsi la haute administration et le personnel politique manquent-ils singulièrement d'une transmission d'un savoir-faire spécifique dont nos Etats en Europe occidentale disposent depuis longtemps. En France, cette tradition remonte à Napoléon et prend parfois des allures caricaturales tout en relevant néanmoins d'une efficacité que les Argentins nous envient. Espérons que le FMI et l'intégration récente du pays au G20 donneront à l'Argentine l'accès à des transferts de savoir-faire, qui seront nécessairement longs à porter leurs fruits mais qui sont certainement ce dont le pays a encore plus besoin que d'une pluie d'argent liquide si les pouvoirs publics savent peu ou mal l'investir à bon escient.
L'information hier a donné lieu à deux articles très intéressants et assez opposés l'un à l'autre. L'un est paru dans le quotidien pro-gouvernemental Página/12 qui en fait sa une, avec son jeu de mot traditionnel (un nuevo indice veut dire à la fois "un nouvel indice" et "un nouvel index", comme celui du ministre en gros plan). L'autre est paru dans le quotidien libéral, opposé au gouvernement en place, La Nación.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 (édition d'hier) (1)
Lire l'article de Página/12 sur la prime de Noël (édition de ce matin)
(1) A noter la manchette du quotidien, visible sur la une en illustration ci-dessus : le combat du poète argentin Juan Guelman, qui travaille à la rédaction du journal, pour savoir ce qu'il est advenu de sa belle-fille pendant la dictature en Uruguay.
(1) A noter la manchette du quotidien, visible sur la une en illustration ci-dessus : le combat du poète argentin Juan Guelman, qui travaille à la rédaction du journal, pour savoir ce qu'il est advenu de sa belle-fille pendant la dictature en Uruguay.