Lundi dernier, 8 novembre 2010, les affaires politiques ont repris après le deuil qui a suivi la mort de Néstor Kirchner. Le ton du gouvernement est au maintien du cap (mantener el modelo), c'est le mot d'ordre qu'ils ont tous à la bouche, à commencer par la Présidente elle-même, et c'est dans cet esprit que lundi, Carlos Tomada, le ministre du travail, a donné une interview au quotidien pro-gouvernemental Página/12 (ci-contre la une de lundi) dans lequel il revient sur le drame de Barracas et la mort de ce jeune militant du Partido Obrero, Mariano Esteban Ferreyra, tué par balle pendant une manifestation de cheminots externalisés par la Ferrocarril Roca (voir mes articles sur ce drame en cliquant sur les initiales MEF dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus).
Carlos Tomada remet en question le système d'externalisation dont le patronat use et abuse en violation de ce qui tient lieu de Code du Travail en Argentine. Je dis tient lieu parce que le statut de la loi sociale en Argentine, un pays où 40 % de l'activité économique n'est pas déclarée (trabajo en negro), est fort différent de ce qu'il est en France, en Belgique et en Suisse.
Bien entendu, cette interview est aussi un plaidoyer pro-domo en soutien à la Présidente, que de très nombreux commentateurs ont dite politiquement fragilisée par le décès de son mari, que la rumeur publique a souvent dit être son mentor. On verra bien ce qu'il en est, en tout cas ce matin, un chroniqueur de La Nación, journal d'opposition, reconnaissait que Néstor Kirchner avait laissé deux veuves, sa femme et l'opposition, qui se trouve comme anesthésiée par l'événement et la galvanisation des forces de gauche qui s'en est suivi (comme c'était assez prévisible, pour qui connaît un temps soit peu l'histoire émotionnelle du péronisme). La Présidente, toute de noir vêtue, est partie à Séoul pour participer au G20 alors que dès le début de cette semaine, sa cote de popularité avait grimpé de 10 points : sa dignité dans l'épreuve, ses rencontres avec les gens qui s'étaient pressés à la veillée funéraire, l'émouvant discours qu'elle a tenu le 1er novembre en reprenant ses activités politiques (voir mon article du 3 novembre 2010) sont sans aucun doute à l'origine de ce regain de popularité et les attaques violentes de Mauricio Macri au lendemain des obsèques y sont peut-être pour quelque chose aussi.
Voici les tableaux que présentait lundi matin Página/12, dont je vous invite à lire les commentaires directement sur le site du journal (1).
Tableaux publiés par Página/12. Cliquez sur l'image pour l'agrandir et la lire.
Ces sondages (ci-dessus), qui présentent les résultats de trois instituts, montre une tendance à la hausse quasiment identique d'une source à l'autre en ce qui concerne l'image de la Présidente et l'appui de la population à son maintien au pouvoir (74% des personnes interrogées veulent la soutenir). Ils indiquent aussi une excellente image posthume du président honoraire avec 69,8% d'avis positifs et seulement 0,4% des sondés sans opinion (on retrouve là cette caractéristique de la vie politique sud-américaine où le secteur des indécis, que nous appelons en français le marais, est très réduit). Du côté des intentions de votes pour l'élection présidentielle de l'année prochaine, on voit que Cristina Fernández de Kirchner (CFK comme Página/12 aime tant la surnommer) arrive largement en tête, que ce soit par rapport à Mauricio Macri (piteux résultat que ces 11,9 ou 11,2 %) ou par rapport à Julio Cobos, l'actuel Vice-Président, qui n'a pas daigné aller se recueillir dans la chapelle ardente, ce qu'il pourrait bien payer très cher en terme de popularité et de présidentiabilité future. Le Alfonsín dont il est question est le grand rival de Julio Cobos dans le camp radical, il s'agit de Ricardo Alfonsín, le fils du président du retour à la démocratie, Raúl Alfonsín, décédé en 2009. Solanas, c'est Pino Solanas, le leader de la gauche à Buenos Aires, le cinéaste, le chef de Proyecto Sur, l'un des mouvements de l'un des partis socialistes argentins (qui n'ont jamais fait leur unité), le Partido Socialista Auténtico (PSA). Duhalde est un ancien président, c'est lui qui était au pouvoir lorsque l'Argentine est tombée dans la faillite en décembre 2001. Il est donc le président qui a succédé à Carlos Menem et précédé Néstor Kirchner et ses résultats sont plus que médiocres pour un ancien chef d'état.
Trois choses à noter dans ces chiffres :
Elisa Carrió, qui s'était présentée deux fois à la présidence, d'abord contre Néstor Kirchner en 2003 et ensuite contre CFK en 2007, et qui a saboté son statut de leader de l'opposition par un comportement politique incompréhensible et incohérent depuis deux ans, ne figure même plus dans les sondages (comme Ségolène en France !).
Quant aux adversaires potentiels de Cristina Kirchner, on voit qu'ils se tiennent tous dans un mouchoir de poche. Alors qu'elle caracole à plus de 45% d'intentions de vote , eux se traînent entre 12 et 7%. Or il suffit de réunir 44% + 1 voix au 1er tour pour emporter l'élection présidentielle sous l'actuelle constitution argentine.
Dans tous les cas de figure, Pino Solanas améliorerait très nettement son score de 2007. Il s'était déjà présenté alors à la magistrature suprême, avec son mouvement Proyecto Sur, et avait obtenu 1,6% des voix, ce qui le plaçait en 5ème position sur les 6 candidats du 1er tour. Cristina avait été élue au premier tour, avec 44,9% des voix, contre 22,96% à Elisa Carrió.
Pour aller plus loin :
lire l'interview de Carlos Tomada dans Página/12 de lundi matin
lire l'analyse de la popularité regonflée de la Présidente dans Página/12 de lundi matin.
(1) Lundi, l'abondance de l'actualité artistique m'avait fait reporter au lendemain le traitement de ces deux infos. Mais ce même lendemain, voilà qu'il fallait rendre compte de la disparition de Massera, l'un des affreux de la Junte de 1976, mort tranquillement dans son lit, en n'ayant subi que quelques années de prison tout en ayant sur la conscience une bonne partie des 30 000 disparus des années de plomb.