CC (comme on la surnomme volontiers) est une célèbre (et très estimable) chanteuse de rock qui vient de se convertir au tango (vous assistez presque à la métamorphose en direct). Son premier disque dans le genre, Celos, rempli de compositions personnelles (elle est auteure-compositrice-interprète), sort en cette fin d’année.
Elle a trouvé son chemin de Damas tanguero alors qu’elle partageait la scène avec Daniel Melingo, invitée par lui dans son tour de chant quelques semaines durant. Soudain le son du bandonéon l’a touchée au vif et réveillée des émotions musicales et artistiques de son enfance dans une famille de Villa Devoto. A 12 ans, à peine plus âgée que son héros, elle faisait pleurer tout le monde à la table familiale en entonnant Chiquilín de Bachín, la célèbre (et splendide) valse d’Astor Piazzolla et Horacio Ferrer créée en 1969 par Amelita Baltar, l’idole de ses jeunes années...
Elle fait longtemps du rock underground avant de sortir son tout premier disque en 1982, l’avant-dernière année de la Dictature Militaire.
Près de Daniel Melingo, Celeste Carballo reçoit une véritable révélation -c’est elle qui le raconte au journaliste de Página/12 qui l’interviewe dans le supplément dominical ЯADAR- et aussitôt elle se met à écrire et à composer des tangos : 14 morceaux en une semaine. "Cela a été un maelstrom tanguero, une découverte. Comme quand tu viens tout juste d’apprendre à faire du vélo, tu ne t’arrêtes pas d’en faire toute la journée. Cela a été une explosion, comme le Big-Bang. J’ai découvert que notre génération (1) n’avait rien dit avec le tango et qu’elle avait beaucoup à dire. Alors il n’y a pas eu une direction thématique mais plutôt une explosion dans tous les sens."
En 2006, Celeste Carballo participe à une série de shows au Centro Cultural Torcuato Tasso, à San Telmo, où des artistes non tangueros furent invités à se confronter à ce genre. Méconnaissable, la chanteuse survitaminée chante posément et avec gravité. Quelqu’un qui est venu écouter et voir la chanteuse de rock punk qu’il aime lui crie depuis la salle : "Mais souriiiiiis !. C’est sûr qu’ils étaient surpris, raconte-t-elle. C’est qu’ils étaient face à quelqu’un d’autre. Une personne qui ne prenait pas les choses à la légère, mais pas du tout, qui montrait un autre visage. Et à ce moment-là, j’ai fait une tête encore pire... Je n’étais pas venue là pour sourire. Le tango, ce n’est pas de la souffrance, mais ce n’est pas de la rigolade le tango, le tango porte sur la vie un regard profond. Je ne suis pas là à chanter l’été, la guitare à la main à côté d’un feu de camp."
Le disque, intitulé Celos (Jalousie), emprunte son titre à un tango de Gotán Project qu’elle y a repris. Edité par BMV Producciones, il est disponible dans le commerce depuis le 2 septembre. Il se compose de plusieurs tangos écrits et composés par elle, Camino real (chemin réel/royal), Qué suerte que viniste (quelle chance que tu sois venu), notamment pendant cette semaine de création bigbanesque, Buenos Aires no tiene la culpa (c’est pas la faute à Buenos Aires), mis en musique par le Maestro José Colángello qui a choisi lui-même ce texte d’elle et quelques grands classiques dont la reprise n’est pas sans péril, comme le très élégiaque El día que me quieras (Carlos Gardel et Alfredo Le Pera) ou le visionnaire et halluciné Preludio para el año 3001 (Astor Piazzolla et Horacio Ferrer, autre morceau créé par Amelita Baltar)...
Le site de Celeste Carballo, Cecewebsite comme elle le surnomme elle-même, ne manque ni de piquant ni d’originalité ni de sens commercial. Elle y expose clairement que son nouveau disque n’est pas une tocade pour épouser l’air du temps ("je ne me suis pas déguisée en tanguera", affirme-t-elle sur la colonne droite de l’écran). Vous pouvez écouter sa musique et sa voix dans la colonne de droite, sur Radiocece (elle y a déposé en écoute libre 4 morceaux correspondant à 4 genres différents de son répertoire) ou dans son espace de téléchargement (vous pouvez y récupérer quelques morceaux en Mp3 et les emporter avec vous dans votre balladeur)... Et vous pouvez même acheter directement ses trois derniers disques... La chanteuse est aussi présente sur My Space.
Dans l’article qu’il lui consacrait dimanche dernier, Página/12 dit d’elle qu’elle a une voix légère comme une plume et une attitude (nous parlerions peut-être plutôt de positionnement) aussi lourd(e) que le plomb. A vous de juger sur pièce...
Celeste Carballo chantera au Teatro Ateneo (Paraguay 918) le 1er novembre à 23h30 pour un show de tango où elle présentera ce nouveau disque.
(1) Elle exagère un peu, CC, en disant ça. Elle est née en 1956 et il y a à Buenos Aires et ailleurs un bon paquets d’artistes tangueros, auteurs, compositeurs, interprètes (sans oublier les artistes plastiques), trentenaires, quarantenaires et cinquantenaires, qui disent ce qu’ils ont à dire et avec talent, en prime ! La rupture entre les générations n’est pas si réelle que ce que l’on se plait à rabâcher. Les ruptures qui ont existé, c’est d’une part une rupture dans le mode de diffusion, notamment commercial, des productions d’après Piazzolla et d’autre part la disparition des grands orchestres de tango qui servirent pendant très longtemps d’école et de lieux de transmission pour les musiciens de tango à un moment où il n’y avait pas d’école, de conservatoire, de liceo superior del tango, toute chose à quoi plusieurs institutions ont à présent remedié (l’école de musique de Avellaneda ou de Morón, les différents orchestres-écoles, les activités pédagogiques de la Academia nacional del Tango, etc...). Mais la création, elle, ne s’est jamais vraiment tarie, en dépit des efforts déployés en ce sens dans les années 70.