On en parlait depuis plusieurs mois sans le voir arriver mais cette semaine, le 2 octobre, le Sénat argentin a voté une nouvelle loi définissant la formule de réévaluation semestrielle des pensions de retraite. Le système de réévaluation des retraites avait été aboli par le gouvernement de Carlos Menem dans les années 90. Dans un pays où l'inflation annuelle atteint les 25%, on imagine sans peine les difficultés auxquelles devaient faire face les retraités... Après de longs débats, le Sénat a fini par accepter la formule de calcul hyper-compliquée proposée par le Gouvernement : les pensions seront revalorisées tous les ans en mars et en septembre sur une tranche de 18% de leur montant global. Même les journalistes renoncent à expliquer la formule qui sera appliquée. L'opposition fait des gorges chaudes de sa complexité, disant par la voix d'une sénatrice de Coalición Cívica (alliance de droite qui était opposée aux élections présidentielles et législatives de l'année dernière au Frente para la Victoria qui rassemblaient péronistes et certains radicaux, les radicaux K) : "La formule proposée par le gouvernement et que les bancs de la majorité cherchent à approuver, ce n'est pas qu'elle n'a pas, comme le dit le Ministre Carlos Tomada (1), le mérite d'être assez simple pour que n'importe quel retraité puisse la calculer, c'est que la seule chose qu'elle fait c'est de cacher la tromperie, le guet-apens qu'ils veulent réaliser avec l'argent des retraités".
A ces vertes critiques, Sergio Massa, le chef de Gouvernement nommé par la Présidente en juillet, a répondu avec sa retenue et son sang-froid habituels : "Si dans l'année qui vient, la tranche indexée n'est pas de 18%, le Congrès peut demander la démission du chef de Gouvernement." Il a été soutenu par les déclarations d'un sénateur de la majorité : "cette part d'indexation, c'est ce que nous pouvons offrir pour l'instant. Peut-être que d'autres mesures ne seraient pas de trop. Mais ça au moins, c'est réaliste."
Une partie de l'opposition à cette loi exige en effet que la tranche indexable soit de 82% du montant de la pension. On imagine qu'en effet, le Gouvernement aurait quelque mal à garantir une indexation aussi étendue du jour au lendemain et dans le contexte économique mondial et intérieur actuel. Il est intéressant de constater que de nombreux sénateurs ont voté en conscience et que c'est n'est pas la discipline de parti qui a présidé à ce vote. Des péronistes ont voté contre, estimant que la tranche était trop étroite. Et la UCR (l'Unión Cíviva Radical, un vieux parti politique de gauche mais très méfiant vis-à-vis du gouvernement en place, du fait de sa longue tradition anti-périoniste) et la Coalición Cívica (indubitablement à droite) se sont unis pour voter contre la mesure qu'ils estiment inconstitutionnelle.
En tout cas, il semblerait que l'audace du Vice-Président qui a voté contre une loi proposée par le gouvernement en juillet a rendu plus difficile la gestion des majorités de votes, au moins au Sénat (que la Constitution lui réserve de présider).
Les retraites seront réévaluées à partir de mars prochain. Les retraités devront encore patienter six mois. C'est long, six mois !
Dans un très beau et court poème, mis en musique par Edmundo Rivero, Luis Alposta décrit un de ces vieux travailleurs, échoué au fond d'un café où il n'a même plus de quoi se payer une consommation. Il est si pauvre que le poète ne l'habille que de rêves de lendemains prometteurs échoués. Le dernier quatrain est bâti sur l'expression "lo puesto", ce qui se traduit en français par "ce qu'on a sur le dos", "ce qu'on a sur soi".
Le voici (avec sa traduction).
Ya no tiene ilusiones que ponerse.
Su fe la desinflaron de un plumazo
y hoy anda con lo puesto, su esqueleto,
llevando un cacho e' nada bajo el brazo.
Luis Alposta - El Jubilado, intitulé aussi Poema Dos
in Un cacho de nada, Ed. Corregidor, Buenos Aires, 2001
in Un cacho de nada, Ed. Corregidor, Buenos Aires, 2001
Sur lui, il ne porte même plus une seule illusion.
Tout ce en quoi il croyait, on l'a crevé d'un trait de plume
Et aujourd'hui il ne lui reste que ce qu'il a sur lui -son squelette-
et il porte un morceau de rien sous le bras.
Traduction Denise Anne Clavilier
(1) l'actuel ministre du travail