jeudi 2 octobre 2008

Patrimonio de la Humanidad [actu]

Photo GCBA


Hier, 1er octobre, après une longue période de discussion de part et d’autre du Río de la Plata, les deux capitales, Buenos Aires et Montevideo, ont adressé leur demande officielle à l’UNESCO pour faire inscrire au Patrimoine de l’Humanité... le tango, art populaire propre à cette région du monde.

Accorder les violons n’a pas été une sinécure entre les deux rivales. Voilà presque trois ans que le projet avait été lancé par Buenos Aires puis interrompu par Montevideo qui exigeait d’y participer, ce qui entraîna des transformations en profondeur du premier projet. Buenos Aires et Montevideo adorent se disputer et quand un sujet de différend s’éteint, elles n’ont de cesse d’en faire jaillir un autre le plus rapidement possible. Sans doute parce que les deux villes sont soeurs. Elles partagent les mêmes idiomatismes linguistiques, la même musique, à quelques nuances près, et appartinrent au même vice-royaume de l’Empire colonial espagnol. Mais l’une a connu un développement beaucoup plus important que l’autre et aspire à elle toute seule la majeure partie de la vie culturelle et même économique de la région. Dans le champ culturel, les deux plus grandes disputes entre les deux capitales sont de savoir si le tango est argentin ou rioplatense (vous voyez qui soutient quoi) et de savoir où se trouve le lieu de naissance authentique de Carlos Gardel et partant quelle est sa nationalité foncière. La première dispute date des premiers succès internationaux du tango et la seconde a commencé au lendemain de la mort de Gardel, fin juin 1935. Judiciairement et diplomatiquement, elle est censée être close depuis février 1936, au moment du rapatriement des restes de l’idole à Buenos Aires. Au niveau académique néanmoins, elle a la vie dure ! Historiens et admirateurs uruguayens de Carlos Gardel continuent à faire des pieds et des mains pour prouver qu’il est né à Tacuarembo (donc chez eux), au grand agacement des tangueros argentins que cette querelle insupporte. Comme me l’a soufflé Luis Alposta dans un sourire : "il aurait fallu que les deux pays consultent la Pythie de Delphes. Vu qu’elle ne rendait que des oracles ambigus, elle aurait répondu qu’il est né dans une ville dont le nom commence par un T" (1).

Or donc, jeudi 1er octobre, au célèbre café 36 Billares de l’avenida de Mayo, l’artère la plus prestigieuse de Buenos Aires, entre les deux palais nationaux que sont el Congreso et la Casa Rosada, s’est tenue la conférence de presse annonçant l’acte commun de candidature. L’animaient du côté argentin Hernán Lombardi, Ministre de la Culture et du Tourisme du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires (cravate rouge), et du côté uruguayen, Eduardo León Duter, Directeur de l’office de Promotion culturelle de Montevideo (cravate anthracite). Josefina Delgado, Sous-Secrétaire du Patrimoine de la Ville de Buenos Aires, assistait aussi à la manifestation. Parmi les personnalités accompagnant une annonce aussi symboliques, Atilio Stampone, Président de la Sadaic (la société des auteurs et compositeurs argentins), Horacio Ferrer, Président de la Academia Nacional del Tango, Raúl Garello, directeur de la Orquesta de Tango de la Ciudad de Buenos Aires, les chanteurs Raúl Lavie, Susana Rinaldi, Guillermo Fernández, les musiciens Osvaldo Requena et José Colángelo et les danseurs Gloria et Eduardo d’une part (célèbre couple de tango-salón) et Miguel Angel Zotto et Mora Godoy (deux étoiles du tango escenario) d’autre part.

Le lieu était symbolique : 36 Billares fait partie des Bares Notables de la capitale argentine et propose un cena-show de qualité. Horacio Ferrer, l’une des rares personnalités du tango à avoir les deux nationalités, l’une par sa naissance à Montevideo, l’autre par sa naturalisation argentine, a récité un poème de sa composition, Susana Rinaldi a pris la parole en sa qualité d’Ambassadrice itinérante de l’Unesco et d’artiste de tango internationalement reconnue et la conférence de presse s’est conclue par une exhibition des tout nouveaux Champions du Monde de Tango, couronnés fin août, Daniel Nacucchio et Cristina Sosa, deux Argentins, qui ont dansé... La Cumparsita (auraient-ils pu faire un autre choix ?), de l’Uruguayen Gerardo Matos Rodríguez.

L’acte de candidature n’est que le premier pas, viendront ensuite de multiples démarches où il faudra que les deux villes puissent prouver le caractère de trésor universel du tango et démontrer les qualités de leur plan de promotion et de défense de ce trésor. Sans doute seront-elles aidées par le succès international dont jouit le tango presque depuis son apparition dans les faubourgs de Buenos Aires dans les années 1880. Dès le début du 20ème siècle, il a en effet gagné l’Europe, où il a conquis ses premiers titres de noblesse en étant admis dans les beaux salons de la haute société parisienne dès 1907.

La réponse de l’Unesco devrait être connue au cours du second semestre de l’année prochaine.

En ce qui concerne Buenos Aires, elle n’en est pas à sa première candidature. La capitale argentine avait déjà essayé en avril 2007 de faire classer au Patrimoine de l’Humanité les paysages urbains du Río de la Plata mais en vain (dommage, ça aurait peut-être empêché certains promoteurs immobiliers de continuer à faire n’importe quoi en front de fleuve !). Parmi les phénomènes culturels inscrits à ce Patrimoine de l’Humanité, on compte des carnavals d’Amérique Latine (en Bolivie et en Colombie), le Ballet Royal du Cambodge, les chants polyphoniques pygmées de la République Centrafricaine. Et, last but not least, la voz del Zorzal Criollo... La voix de Carlos Gardel, vous savez ? celui qui est né dans la Ville R..., pardon, dans une ville dont le nom commence par un T...

J’arrête de dire des bêtises qui fâchent et je vous laisse l’écouter... La Cumparsita... Cela s’imposait !

(1) pour ceux d’entre vous qui ignoreraient la vraie de vraie vérité du lieu de naissance de Carlos Gardel, je leur répondrai qu’il s’agit d’une ville bien connue du sud de la France, qui doit son surnom à la couleur de ses murs et dont la Mairie se prend pour une des collines de Rome. En 8 lettres... Pour donner votre langue au chat, cliquez ici.